Équateur – Étape 15: Canoa

Vendredi matin, Puerto Lopez. Je grimpe dans un touk touk clinquant, qui hoquette joyeusement sur la piste poussiéreuse jusqu’à la petite gare routière. Sept heures et trois bus plus tard, j’arrive à Canoa. Je trouve sans peine l’hostal Rutamar, sur l’une des trois rues sablonneuses qui traversent le village, parallèles à la plage. Je n’y trouve pas le propriétaire, mais Aurora et Noah, pensionnaires de l’endroit depuis la veille. Ils m’offrent un café, et nous conversons tranquillement. Tous deux américains, ils sont pêcheurs en Alaska, et entre deux saisons de pêche au black cod, ou concombre de mer, ils ont fui le dur hiver arctique pour le climat plus doux de l’équateur. Amoureux de nature et de liberté, mais aussi de littérature, ils dégagent une chaleureuse sérénité.

Noah et Aurora

Javier, le dynamique patron des lieux fait surface et me mène à ma chambre. Je sors faire un tour sur la plage. Le hameau est minuscule, Puerto Lopez en comparaison est une grande métropole. La plage de Canoa, sable gris, mer sombre, falaises beiges friables, ressemble à celles que j’ai vu les jours précédents. Mais, avec son front de mer très peu construit, et son horizon plus dégagé, elle est plus authentique, plus charmante. Plus propre aussi.

Canoa beach, just do it

Après une bonne balade, et un bain de mer, je m’installe à la terrasse d’un des restaurants du poussiéreux Malecòn. Les tenanciers sont adorables, et la musique est bonne (des tubes rock des 90s). Le ceviche en revanche est une horreur, et la bière éventée. Alors que je m’apprête, un peu écœuré, à regagner mes pénates, une drôle de dame vient s’installer à ma table. Erika est une pille électrique. Elle ne parle pas un mot d’anglais, et passe sans transition d’un sujet à l’autre, dans un monologue décousu qu’un local même aurait grand peine à suivre. J’abandonne assez vite, et me contente de hocher la tête à intervalles réguliers, lâchant ça et là quelques “ah” et “oh” d’appréciation. Épuisé par ce flux continu, rapide et saccadé, je me résous, après un temps honorable, à siffler la fin du match, et quitte poliment la (trop) volubile Erika. J’atteins le Rutamar, le crâne (par la dissonante litanie) et le cœur (par le ceviche) retournés, prêt à m’effondrer dans mon lit. Mais je trouve les pêcheurs attablés, et ils me somment de les accompagner un moment. Heureusement, Aurora à un remède à mes maux : elle me verse un fond de “coco loco”. Contenu dans une noix de coco, ce liquide, que l’américaine pensait être du simple lait de coco lorsqu’elle l’a acheté, est en fait un tord-boyau local, qui frôlent les 50 degrés d’alcool. La mixture me remet d’aplomb instantanément et je passe un très bon moment en leur compagnie. Drôle de journée !

Samedi matin, Canoa. Je n’ai plus un sou en poche. Et le hameau ne dispose pas d’un distributeur automatique. Si je ne veux pas risquer de finir comme le héros de La Musique du Hasard de Paul Auster, à éponger mes dettes en construisant un mur, je dois me rendre à San Vincente, quinze kilomètres plus au sud. L’occasion rêvée pour découvrir le coin à vélo. D’autant que Noah et Aurora ont découvert, cachée dans les collines de l’arrière-pays, une improbable brasserie. Je me mets donc en route, et longe une côte un peu désolée jusqu’à la petite ville de San Vincente. Le distributeur principal est en panne, évidement. Grâce aux indications floues mais sympathiques de joviaux autochtones, je trouve la seule autre banque du lieu, et y attends mon tour une bonne vingtaine de minutes. Je m’installe ensuite à la terrasse d’un café-panaderia, attiré par l’odeur de pain chaud. Je déguste mon palmier et mon café lyophilisé, profitant de la connexion internet pour envoyer quelques messages par delà l’Amazonie et l’Ocean Atlantique.

Je me remets en scelle, reprends la route côtière dans l’autre sens, puis bifurque, après une dizaine de kilomètres, vers l’intérieur des terres. Je traverse une zone agricole qui a le mérite de reverdir un peu le paysage, jusque là dominé par les tristes forêts d’arbres morts. Les oiseaux égayent le trajet, comme ce superbe spécimen noir aux exubérantes taches jaunes orangées qui traverse la route à vive allure.

Oiseau de type cacique

Je quitte ensuite la route pour suivre une étroite piste sablonneuse qui grimpe sur la gauche. Je dois descendre de vélo tant la pente est abrupte. Je me perds dans un dédale de chemins accidentés, mais finis par tomber, presque par hasard, sur la brasserie BeerKingo. Perdu entre deux collines, l’endroit est joli, et pour le moins insolite: au bout d’une belle allée fleurie, de charmantes huttes en bambou au centre desquelles siègent des tables en bois massif, le tout dans un décor Viking. Casques, épées, drakkars, détonnent quelque peu dans cette partie du monde.

Ragnar Lodbrok aurait aussi débarqué en Équateur ?

Un petit homme trapu, bedonnant, à la longue barbe rousse, ronfle dans un hamac, et semble parfaitement à sa place dans cet univers nordico-tropical. Je suis le seul client, mais je patiente un quart d’heure avant qu’un adolescent bagué ne m’apporte, en guise de carte, trois petits verres de bière. J’opte pour la double fermentation au miel. Elle est excellente ! Alors que je la déguste doucement, arrivent deux nouveaux clients: un grand brun tatoué et une petite blonde athlétique aux yeux verts. Je suis heureux de retrouver mes pêcheurs, qui ont décidé de me rejoindre après leur session de surf. Nous sirotons nos bières en parlant littérature française et américaine. Le chemin du retour est tout aussi ludique que l’aller, et nous arrivons fourbus à l’hôtel. Sur le chemin, nous avons acheté de quoi préparer un bon petit plat de viande pour le dîner. Le bœuf mariné aux légumes est un délice, et nous passons une très chouette soirée à refaire le monde. Javier se joint à nous, et, au fil de la conversation, je découvre qu’il a vécu onze ans à Aarhus, et qu’il a même officié dans un de nos bars fétiches lorsque j’y étais étudiant ! Quelle coïncidence !

Dimanche matin, hostal Rutamar. Après la traditionnelle et précieuse conversation hebdomadaire avec la famille, la matinée s’écoule paresseusement, nous nous mettons au diapason de la région. Vers midi néanmoins, nous empruntons des planches à Javier et nous dirigeons vers la plage pour ce qui sera ma toute première session de surf ! Aurora et Noah m’en expliquent les rudiments, et je me jette dans les rouleaux. Que d’efforts pour passer les premiers rideaux, à contre-courant, à la force des bras, giflé de plein fouet par les vagues…Mais le jeu en vaut la chandelle ! La sensation de glisse, l’adrénaline qui se libère lorsque la planche prend de la vitesse…Fantastique ! Malgré de nombreux essais, je ne parviens néanmoins pas à rester debout sur ma planche très longtemps…Ce qui n’altère pas mon plaisir pour autant. Je ressors de l’eau, épuisé, avec un immense sourire sur le visage. Ce ne sera certainement pas ma dernière session de surf !

Noah et Aurora se sont manifestent amusés eux aussi. La glisse nous a donné faim. Nous nous offrons un déjeuner tardif dans un restaurant authentique de la place centrale. Dans la petite bibliothèque de l’échoppe, des guides du routard de vingt ans d’âge et quelques romans à l’eau de rose, en français. Chacun apprécie son repas, et nous rentrons pour une sieste digestive dans les hamacs du Rutamar. Puis, la lumière du crépuscule étant belle ce soir, je vais marcher un moment sur la plage.

Royal Canin, recette “délices du Pacific”

Peu après mon retour, deux nouveaux voyageurs passent la porte de l’hostal. Je reconnais le premier. C’est Iseah, le jeune américain avec qui j’avais partagé un petit déjeuner à Vilcabamba (voire épisode 9) ! A l’époque, je repartais le jour même pour Cuenca afin d’y préparer mon voyage aux Galápagos, quand lui arrivait tout juste pour un mois de volontariat dans une ferme du coin. C’est assez improbable de le retrouver là ! Nous nous saluons chaleureusement. Son acolyte, Léon, est un jeune surfer allemand aux gestes ralentis et au regard perdu. Les deux nouveaux se joignent à la bande, pour une sympathique soirée qui s’achève tôt, le surf ayant éprouvé nos organismes.

Lundi matin, Canoa. Le réveil est difficile. Je suis rompu de bleus et courbatures, séquelles de mon baptême de planche à huile de coude. Je salue Aurora et Noah, qui partent rejoindre Mompiche, un spot de surf plus haut sur la côte. J’ai passé quelques jours superbes en leur compagnie. Leur simplicité et leur liberté sont diablement rafraîchissantes !

Je passe la matinée à lire, et discuter avec Javier ou Iseah, confortablement installé dans un hamac. Vers midi, planche sous le bras, je retourne affronter les vagues. Le début de la session est douloureux, chaque vague appuyant sur les hématomes de la veille. Mais la joie de batifoler dans les rouleaux atténue ces désagréments et je m’amuse, sans pour autant réaliser des progrès significatifs…Pour cela il me faudra prendre quelques leçons en bonne et due forme, plus tard sur mon parcours ! Pour l’heure je rentre me reposer à l’hôtel. Lecture, longue promenade sur la plage, puis retour au Rutamar pour dîner en compagnie des deux jeunes voyageurs. Demain, j’abandonne la côte pour Mindo, dans la forêts de nuages, non loin de Quito, pour admirer les oiseaux. Je quitterai donc la moite quiétude et le charme tropical un peu désuet de Canoa.

Je vous embrasse !

Julien

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