Mardi matin, Hostal Rutamar. Je m’éclipse sans bruit du dortoir où dorment encore Iseah et Léon. Javier est debout, et m’attend devant le portail ouvert pour me saluer. Originaire de Mindo (Canoa aura décidément été le village des coincidences), il me distille quelques précieuses recommandations et me charge de saluer la verte bourgade pour lui. Je grimpe dans un premier bus jusqu’à Santo Domingo, que nous atteignons cinq heures et quelques pages de carnet de bord plus tard. Rompu à ces longues journées de voyage routier, je trouve sans peine le bus pour Mindo dans la cohue de l’obsolète gare routière. Assis à côté d’un adolescent obèse exécrable, qui peste sur l’absence de réseau ou insulte ses parents qui refusent de lui acheter les glaces proposées par les marchands ambulants, le second tronçon est éprouvant. Après une énième complainte et alors qu’il s’avachit prenant la moitié de mon siège, je lui jette un regard noir. Il marmonne mollement mais se redresse et se tourne vers la fenêtre. On ne l’entendra plus du trajet. Pas peu fier de cette (facile) victoire, je lance un album de Tommy Guerrero et me laisse porter par la guitare et les percussions jusqu’à Mindo.
Le village est situé au cœur d’une verdoyante vallée, entouré de forêt tropicale d’altitude, la fameuse “forêt de nuages”. L’endroit est très sauvage, et respire la tranquillité, loin des grands axes routiers. Rodney m’accueille au Jardin El Descanso, un havre de verdure qui porte bien son nom (la pause, le repos). Le jardin est luxuriant et foisonne de vie, l’hôtel est une jolie maison de bois toute en ouvertures. Rodney me détaille les attractions et sentiers des parages avec précision et gentillesse. Je prends une douche rapide et file me sustenter, n’ayant pratiquement rien avalé de la journée. Fatigué par la longue journée de transit, je m’endors profondément. Je me sens drôlement bien ici !


Mercredi matin, hôtel El Descanso. Grasse matinée aujourd’hui. Je descends prendre mon petit déjeuner à 8h30, un record ! Je suis descendu avec le journal mais je n’en lirai pas une ligne. Le spectacle qui se déroule sous mes yeux occupe toute mon attention : des dizaines de colibris fusent à toute allure entre les arbres attenant à la terrasse ! J’en repère pas moins de cinq espèces différentes. Je n’en perds pas une miette, mais n’en n’oublie pas néanmoins mon petit déjeuner. Rodney me raconte qu’avant qu’il rachète le terrain pour en faire cette superbe jungle, c’était un terrain de foot…Lorsqu’on lui donne un coup de pouce, la nature reprend ses droits.











Je parviens à m’extirper de ce théâtre aviaire pour aller explorer les environs. Je traverse le petit village et remonte le long d’une piste en lacets vers la “tarabita”, sorte de téléphérique improbable. En chemin, j’essaye de surprendre les oiseaux, qui sont légions dans les entremêlements de branches qui bordent la route. Je repère un pic au son du bruit reconnaissable de son bec martelant le bois.



La “tarabita” est une nacelle d’acier suspendue sur un câble propulsé par un petit moteur. Grâce à elle, je traverse un large canyon recouvert de grands arbres. Quelques deux cent mètres plus bas, on devine le Rio Nambillo, caché dans la verdure.


Arrivé de l’autre côté, j’emprunte un sentier qui longe la rivière, en passant par de nombreuses petites cascades, charmantes. Je ne suis pas mécontent de retrouver la montagne et la forêt après mes semaines insulaires et côtières. Ainsi que les joies de la randonnée, même si mes jambes sont un peu lourdes à mon retour au village, après près de 30 kilomètres de marche.



Je m’installe à la terrasse d’un joli café et commande un chocolat chaud, spécialité du coin. La conversation s’engage avec Cathy et Dominique, un charmant couple de français croisé sur le chemin. Cathy est tombée amoureuse de l’équateur il y a trente ans, et vit depuis à Quito. Elle me raconte comment le pays s’est transformé lors des dernières décennies avec un brin de nostalgie. Mais elle n’a rien perdu de son enthousiasme pour ce fantastique peuple, accueillant, fier, et prodigieusement bienveillant. La discussion, orientée nature, passe du canyoning à la Nouvelle Calédonie, en passant par les chemins de Saint Jacques de Compostelle.

Après ce moment fort sympathique en leur compagnie, je regagne l’hôtel, passe un moment sur la terrasse à observer les oiseaux, et me prépare pour le diner. J’opte pour un restaurant italien recommandé par mes amis éphémères, et la pizza est en effet délicieuse. Je ne tarde pas à rentrer me coucher : je dois être sur le pont demain à 6h pour observer les oiseaux en compagnie d’un guide naturaliste !
Jeudi matin, Mindo. Dans la lueur du petit jour, pas encore très réveillé, j’admire la danse des colibris en attendant mon guide. Alexis arrive à 6h, une ponctualité qui tranche avec la décontraction affichée sur la côte. Je grimpe dans son pickup et nous prenons la piste qui mène à la Tarabita. Il se range sur le côté après quelques kilomètres et nous commençons notre observation de la faune aviaire. Je connais ces terres, pour les avoir arpentées la veille. Mais je mesure l’apport infini d’un spécialiste et de son matériel (jumelles, télescope) pour une telle activité. Doté d’une oreille et d’un œil exceptionnels, et d’une étonnante agilité, Alexis repère promptement les premiers spécimens puis règle le télescope en un clin d’œil pour les offrir à ma vue. Le safari débute par de jolis faucons perchés très haut et très loin.

Puis nous marchons un moment, Alexis me louant l’incroyable diversité du pays, qui compte 1682 espèces d’oiseaux recensées ! Érudit, il m’explique les comportements des différentes familles, leurs habitats, leurs habitudes alimentaires. C’est un bonheur de l’écouter, et de le regarder travailler : il dresse l’oreille, reconnaît aux cris l’espèce émettrice, projette son regard dans la direction d’où parviennent les sons, scrute la zone en quête de couleurs et mouvements, repère l’oiseau, attrape et règle le télescope. Le tout en un éclair !

Impossible de répertorier ici toutes les espèces aperçues, nous en avons vu près de quarante. Je vous fais part néanmoins des plus marquantes rencontres, tout du moins celles que nous avons pu capturer en photos (à travers la lunette du télescope).
Le petit et trapu toucan “pale-mandibuled” est l’un des premiers qui nous laisse le loisir de l’admirer longuement.

Un court instant plus tard, mes yeux se portent sur un magnifique oiseau, de taille moyenne, à la robe bleue-verte, rouge et grise, et de grands yeux cerclés de rouge entourés d’un masque sombre. Il s’agit du Trogon masqué, une pure merveille !


Un peu plus loin, perché sur la cime, une tâche turquoise se dessine. Le télescope nous aide à distinguer un splendide “swallow tanager”.

Les suivants sont faciles à repérer. Leur grande taille les rend plus bruyants, ils déplacent le feuillage à chacun de leurs envols. Les “crested guans” sont de la même famille que les grosses dindes aériennes aperçues à Tena (episode 5) et dans le Caras (episode 8).

Alors que nous admirons leur grâce un peu lourde, une rareté vient se percher sur la même branche. Un fier “cock-of-the-rock” rouge vif se pavane, crête au vent. L’enthousiasme d’Alexis est contagieux, je mesure ma chance de l’avoir entrevu. Mais je demeure émerveillé par le moindre petit “tanager” coloré rencontré : commun ou pas, il reste une curieuse nouveauté pour moi !

Nous nous postons ensuite un moment pour observer les manœuvres des Toucans “chocos” et “chestnut”, plus gros que leur cousin “pale-mandibuled”, et distinguables grâce à leur large bec bicolore, respectivement jaune / noir et jaune / brun. La technique de déplacement des toucans est passionnante. Piètre voleur, le toucan se hisse au sommet des arbres par de petits sauts successifs de branche en branche. De son perchoir, il se laisse ensuite planner jusqu’à un arbre voisin, puis recommence l’opération.


Parmi mes autres favoris figurent en bonne place le « blue-necked tanager » et ses multiples teintes de bleu, le « buff-throated saltator » que j’ai surnommé « le général » en raison de sa teinte brun militaire et ses gros sourcils sévères, ou encore le « montane woodcreeper » dit « l’élégant », avec son costume rayé. Mention spéciale enfin aux petits « red-headed barbet » et « thick-billed euphonia », furtives tâches colorées au milieu des arbres.





Le tête pleine de ces belles images, nous regagnons El Descanso et débriefons sur les espèces aperçues, sans interrompre le va-et-vient des colibris. Je salue Alexis, le remerciant pour sa gentillesse et son professionnalisme, et prends un petit déjeuner tardif sur la bucolique terrasse.
Après une courte sieste, j’improvise une randonnée vers la réserve Los Tucanes, à l’ouest de Mindo. La marche est agréable, j’admire les verdoyantes collines environnantes, tout en prêtant l’oreille au chant des oiseaux. Je repère d’ailleurs quelques-unes des espèces observées ce matin.



Le chemin se termine à l’approche d’un pont de bois aux portes closes : la réserve est fermée. Mais qu’importe, comme souvent, le plaisir se trouve dans le voyage plus que dans l’objectif. Je fais demi-tour et rejoins vite un petit homme à l’allure insolite: bottes de caoutchouc enfilées par dessus un pantalon de flanelle, parapluie dans la main gauche, machette dans la droite, sac à dos d’écolier et casquette trop étroite en guise de couvre chef. Visage émacié, regard profond, beau et franc sourire révélant une dentition partielle, Pablito aurait pu jouer dans un western spaghetti. Émigré colombien, il travaille dans une ferme des environs. Son élocution aléatoire, et mes évidentes limites en espagnol mettent assez vite fin à la conversation. Mais nous cheminons ensemble jusqu’à Mindo, perdus dans nos méditations, et portés par le doux fredonnement de Pablito. Nous nous quittons à la rivière, où je reste un moment admirer les vautours qui tournoient haut dans le ciel. Je retourne au café de la veille, pour écrire en dégustant un succulent chocolat chaud. À l’hôtel, nous bavardons un moment avec Rodney, puis je sors dîner « en ville ». Excellent repas au « bio Mindo », soupe de Yucas et plat typique à base de poisson et quinoa. Puis retour à l’hôtel où je me couche tôt, afin de rester dans le thème : je me suis levé avec les oiseaux, je me couche avec les poules.
Vendredi matin, terrasse aux colibris. Je profite une dernière fois du spectacle donné par ces infatigables et turbulents oiseaux.








Puis je salue Rodney, le félicitant pour l’ensemble de son œuvre, et me dirige vers l’arrêt de bus pour prendre le car de 11h. Mais il n’y a pas de car de 11h. Le seul et unique bus part à 15h15. J’ai donc le droit à un bonus de Mindo ! Après un savoureux café, je marche vers le « Mariposario », sorte de réserve de papillons à quelques kilomètres du village. Cependant, il pleut, ce qui, je l’apprends, a un effet soporifique sur les papillons. Je le constate en pénétrant dans la « volière », qui ne déborde pas d’activité…Quelques vaillants spécimens colorés virevoltent tout de même, assurant le service minimum. Je prends quelques clichés, admire les jolies orchidées et les fleurs du jardin, et retourne au café où m’attendent mes affaires et un succulent sandwich.



Sous une pluie battante, je grimpe dans le bus qui me dépose à Quito en début de soirée. Je retrouve cette immense métropole coincée au cœur d’une vaste vallée andine. Les volcans environnants sont dans la brume.
À la gare routière, je demande mon chemin, et l’on m’indique la direction du métro. Un métro à Quito ? Première nouvelle ! Je cherche tant bien que mal une bouche, mais finis par demander à un quidam où se trouve le métro souterrain. Il rit généreusement et tend la main vers un grand bus jaune en accordéon : le metro-bus. Le « métro » sauce équatorienne me dépose non loin de l’hôtel Selina, où je retrouve avec plaisir mes comparses aventuriers. Une fois n’est pas coutume, ils font la cuisine pour nous trois. Nous nous racontons nos expériences réciproques sur la côte et à Mindo, et ils me donnent des nouvelles de Julie et Sylvain, aperçus lors de leurs derniers jours aux Galápagos. Nous évoquons aussi nos aventures à venir dans la jungle amazonienne…Hâte de découvrir la réserve nationale Cuyabeno avec mes amis retrouvés !
Je vous embrasse !
Julien
Ci tri julie tous ces oiseaux !
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