Mercredi matin, Quepos. 5h30, heure de réveil habituel depuis mon arrivée au Costa Rica. Je me lève donc sans encombre, quitte un Wide Mouth Frog assoupi, et rejoins la gare routière, pour commencer un périple vers des contrées perdues. Un premier bus me dépose à Uvita, à une cinquantaine de kilomètres plus au sud, sur la côte. Là, je patiente tranquillement en conversant avec Daniela, une quadragénaire suisse-allemande en vadrouille. Fan absolue de voyages, elle a négocié avec mari et enfants trois semaines de liberté annuelles pour parcourir le monde. Elle me raconte son itinérance de huit mois pour rejoindre l’Inde de sa Suisse natale, vingt ans auparavant, une épopée qui l’a menée sur les hypnotisants chemins d’Iran et du Pakistan. Passionnant récit !
Le second bus nous dépose à Palmar Norte, d’où nous partageons un taxi jusqu’au minuscule hameau de Sierpe. De là, nous embarquons sur un bateau, qui s’engage sur les méandres d’une large rivière. La végétation, luxuriante, déborde dans l’eau couleur café au lait.


Les rives s’éloignent progressivement jusqu’à l’estuaire. L’eau se teinte de vert, et les vagues se font plus fortes. Il faut toute la dextérité du capitaine pour dompter les velléités du Pacifique de nous tremper de ses eaux chaudes et salées. La première salve passée, le bateau vire à bâbord et nous longeons une côte entièrement sauvage. Le décor prend des atours d’île déserte, on imagine aisément la cabane de fortune de Robinson posée sur l’une des innombrables petites plages brunes, recouvertes de troncs d’arbres échoués.

Pas la moindre trace de civilisation, jusqu’à une large baie où l’on devine quelques maisons aux toits verts, à demi recouvertes par l’épaisse végétation. Destination atteinte: nous sommes à Drake Bay, le lieu le plus reculé du pays. En l’absence d’embarcadère, la descente de bateau se fait par la plage, immergés à mi-cuisse, les bras levés soulevant nos affaires, et les vagues menaçant à tout instant de briser nos équilibres fragiles. Voilà qui conclu de façon amusante un sacré voyage !

Le village, caché dans la verdure, se résume en une route de terre bordée de quelques hostels, deux restaurants et une épicerie sommaire. Cachés plus loin à l’ouest de la baie, quelques lodges de luxe complètent l’offre touristique du lieu. « Martina’s place », mon auberge, possède tout ce dont un voyageur puisse rêver: un lit confortable dans un dortoir vide, un petit jardin verdoyant, une cuisine équipée, et un accueil simple et chaleureux. L’établissement propose aussi une flopée d’activités en pleine nature. J’opte pour la journée dans le Parc National du Corcovado, objet principal de mon séjour ici. Réservation faite pour le lendemain, je m’en vais à la découverte des environs.


J’emprunte un joli sentier qui surplombe la côte, à travers la forêt, longeant de charmantes petites criques mais aussi de plus longues plages magnifiques. En traversant une rivière sur un pont bringuebalant, il me semble deviner un hoatzin, bien qu’à ma connaissance il n’y en ai guère dans les parages. Il me faudra me renseigner à mon retour au village. Plus loin, trois magnifiques morphos, ces papillons géants d’un lumineux turquoise, me font une fête, virevoltant en harmonie pendant près d’une minute avant de se poser sur le sol. Émerveillé, je poursuis ma route, jusqu’au prochain numéro.


Ce sera celui des capucins à tête blanche. Toute une famille de ces petits singes, parmi les plus intelligents primates du monde, dans les arbres ou à même le sentier, déjeunent avidement. Peu farouches, ils s’accommodent de ma présence, me surveillant toutefois à intervalles réguliers de quelques regards furtifs. Ils sont si proches ! Sur une branche à quelques mètres de moi, un habile spécimen vide goulûment le contenu d’une pastèque. Un autre, sur le chemin, gratte la terre à la recherche d’insectes. Le reste de la troupe saute de branche en branche à la recherche de fruits, me faisant sursauter. Je reste un long moment à profiter du spectacle. Lorsque je me remets enfin en route, le capucin du chemin se dresse sur ses deux pattes postérieurs et montre ses dents, dans une attitude de défi. Deux pas en avant suffisent à le faire fuir. J’ai survécu aux anacondas et aux requins marteaux, ce n’est pas un mignon petit singe qui va me faire peur. Et puis son absence totale d’air bovin le rend inoffensif à mes yeux.





La balade m’a donné chaud, je décide de m’arrêter prendre un bain de mer. J’opte pour une belle et longue plage, dont les vagues, conséquentes, semblent propices au « body surfing ». Elles ne me déçoivent pas, et c’est légèrement sonné que je sors de l’eau chaude et sablonneuse, après être passé « à la machine à laver » dans l’écume de ces dames un grand nombre de fois.

Le soleil commence à décliner et je suis loin de mes bases, il me faut donc envisager le retour. Capucins et morphos m’attendent, aux endroits précis où je les ai rencontré tout à l’heure, pour une seconde représentation. Mais j’abrège les spectacles afin d’arriver avant la nuit.
La douche fait du bien après une si belle, et si moite journée. Je m’installe dans le jardin pour trier les photos, me concocte un dîner « healthy » et me couche avec les poules. Pour ne pas changer les habitudes, le réveil du lendemain est programmé à 5h30, pour l’exploration du Corcovado !

Jeudi matin, Drake Bay. Le rendez-vous est fixé à 6h, sur la plage. J’avale une banane en vitesse et retrouve une petite foule compacte, attendant les consignes des guides.

Nous sommes une trentaine, répartis en cinq ou six groupes. Cela semble beaucoup, mais le parc est si grand que chaque groupe pourra aisément l’explorer de façon totalement indépendante. Notre guide, Javier, réuni l’équipe, franco-américaine: il y a là Nancy, une quadragénaire du texas tatouée de haut en bas, Jay et Christopher, amis depuis 40 ans et leurs années fac à Berkeley, et Sophie, Camille, et Élise, trio de jeunes françaises qui me font penser aux copines de Laura (même âge, même énergie, mêmes expressions). Javier, lui, est natif de ce lieu isolé. Il parle un anglais tout à fait correct et semble connaître son métier. Je ne peux néanmoins m’empêcher de remarquer un (très) important strabisme sur son sympathique visage. Et de me demander alors comment diable fait-il pour repérer les animaux au milieu de ces denses forêts. Me vient en mémoire cette formidable scène de la grande vadrouille, où un allemand louchant passablement essaye infructueusement de « dezinguer » les planeurs de Bourvil et De Funès…Mais, honteux de telles pensés politiquement incorrectes, je décide de lui accorder le bénéfice du doute.
Nous embarquons comme nous avons débarqué la veille : dans une joyeuse confusion, qui me vaut un sacré hématome sur le tibia, une grosse vague ayant perturbé mon arrivée sur le bateau. La traversée, le long de la côte, est surréaliste : les mêmes plages désertes ponctuant la forêt tropicale, mais sous un ciel menaçant, le soleil perçant difficilement à travers d’épais nuages bleus-marine. La mer agitée, la pluie qui fouette les visages, complètent cet onirique tableau. Étrange sensation d’être un naufragé potentiel aux abords d’une terre salutaire.

Nouvel arrimage chaotique, et nous voici sur les sentiers, à l’assaut du Corcovado.

Nous ne tardons pas à apercevoir les singes araignées, ces fameux « spider monkeys », les plus gros primates de ce coin du monde (après nous-autres humains). Pelage roux, buste corpulent et membres longs et fins, ces orangs-outans miniatures sont incroyablement agiles.
La forêt possède des poches de forêt primaire, c’est à dire jamais abattue par les hommes, zones denses aux arbres millénaires, comme les somptueux ceibas marrons et ocres aux larges racines apparentes. Mais aussi des zones de forêt secondaire, plus aérées. Dans celles-ci, nous pouvons observer au niveau du sol de magnifiques espèces de « dindes de la jungle » : great tinamou, crested guan, ou encore un beau great curassow mâle et sa glande jaune sur le bec.


Très vite, nous nous rendons compte que notre guide se sent investi d’une mission : retrouver pour nous le tapir aperçu dans ces parages il y a quelques jours. Le tapir est très difficile à observer et il faut croire que Javier est entièrement absorbé par sa quête, tant il passe à côté des autres merveilles du parc. C’est moi qui repère, par exemple, le premier toucan. Haut perché, il arbore fièrement ses somptueuses couleurs.

Alors que nous traversons l’ancienne piste d’atterrissage, désormais recouverte d’une épaisse couche d’herbe, nous repérons un groupe de singes écureuils s’ébattant dans les arbres longeant la piste. Petits et agiles, pelage rouge doré, visage rond aux « lunettes » blanches autour des yeux, ce sont de loin les plus beaux singes du coin. D’abord haut perchés, ils descendent vers les branches les plus basses en effectuant des sauts vertigineux de plus de dix mètres !

Après ce mignon spectacle, nous remontons la piste, et avant de nous engouffrer à nouveau dans la forêt, un toucan survole la prairie, alors que dans l’autre sens une famille de pécaris la traverse. Ces petits cochons sauvages, bruns foncés et collier noisette, sont aisément repérables à leur forte odeur d’oignons et d’ail. Une glande dans leur dos leur permet ainsi d’émettre ces effluves de mauvais restaurant chinois, qui dans la moiteur réchauffée par le soleil qui se montre enfin nous donne de légers hauts-le-coeur.


Lors de la seconde partie de notre exploration, Javier se montre hors de contrôle. Il disparaît sans prévenir à intervalles réguliers, pour chasser le tapir, nous laissant à la merci des dangers de la jungle. Heureusement, quelques yeux expérimentés dans la troupe nous permettent de contempler tout de même les splendeurs de la vie animale du parc. Ici un toucan à mandibules noisettes, là un élégant faucon des routes.





Les primates ne sont pas en reste : une troupe de singe hurleurs (à nouveaux étrangement calmes) traverse les cimes, au loin.
Puis les singes écureuils font à nouveau leur apparitions, et nous régalent de leurs pirouettes.




Et nous revoyons, plus distinctement cette fois-ci, les acrobates des hautes sphères, les singes-araignées.


Nous sortons de la forêt, sur la piste du tapir, et arrivons sur les berges d’une rivière se jetant dans l’océan. Javier disparaît une nouvelle fois, nous guettons les crocodiles, en admirant les aigrettes qui se reposent sur l’autre rive, ou la flotte de pélicans qui volent en formation dans le ciel bleu.


Plus tard, sur les berges d’une autre rivière, près de l’estuaire, Javier, détournant un instant son attention du tapir, nous indique une forme qui diffère peu des troncs d’arbres échoués. Avec Jay, Nancy, et Élise, nous nous rapprochons de la forme à pas feutrés, tandis que Javier fuit de nouveau, traversant à pied la rivière dans laquelle il nous avait interdit de mettre les pieds…La forme devient en fait un énorme crocodile faisant la sieste, la bête mesure près de 3,50m de long. Nous continuous notre approche, grisés par la vision de ce majestueux animal sorti du fond des âges. Alors que nous ne sommes plus qu’à une dizaine de mètres, le monstre sent notre présence, ouvre sa gueule gigantesque, et rejoint la rivière.




Celle-là même où le bon Javier patauge, retraversant le cours d’eau, bredouille. Je lui glisse, pour rigoler, qu’un tapir vient de passer de notre côté de l’estuaire. Ce qui fait rire l’équipe mais ne semble pas beaucoup l’amuser. Je me remets de ce demi bide en photographiant un superbe grand héron bleu.



Vient l’heure de retourner à l’entrée du parc. Sur le chemin, nous croisons un fer de lance, l’un des serpents les plus dangereux au monde ! Long mais étroit, il n’est pas très impressionnant, mais peut tuer un homme en trois heures et par une simple morsure.

Plus mignons, une famille de coatis mange des fruits à l’ombre d’un petit arbre attenant à la plage.

Quel superbe safari tropical ! Je suis comblé, ma seule déception étant de ne pas avoir aperçu les aras multicolores (Scarlet macaws).

Le retour en bateau se fait sous le soleil, et sur une mer plus calme. Bercé par les flots, je m’assoupis tranquillement. A terre, nous partageons un déjeuner rapide avec l’équipe, puis nous nous saluons. Au moment où je prends congé de mes compagnons, un couple de aras multicolores se pose sur un grand palmier juste devant le restaurant, pour clôturer le spectacle !
Il est 14h30, ce qui me laisse donc quelques heures pour profiter du soleil avant la nuit. Je reprends le sentier côtier, en courant cette fois. Je fais tout de même quelques pauses, pour admirer une nouvelles fois les facéties des morphos et des capucins, qui semblent inclus dans le prix du voyage. Ma plage m’attend. Les vagues sont moins fortes qu’hier, ce qui ne m’empêche pas de m’amuser. Après une sieste à l’ombre d’un palmier, je reprends mon footing. J’arrive à Drake Bay à temps pour voir tomber le jour. Après cette journée bien remplie, je passe une soirée au calme dans le jardin de Martina, en savourant simplement ma présence dans ce paradis perdu.

Vendredi matin, Martina’s place. Aujourd’hui, c’est repos. Aucune activité prévue, pas de bus à prendre. Pour la première fois depuis mon arrivée au Costa Rica, je m’octroie une grasse matinée, et me lève, en forme, à 7h30. Après un petit déjeuner de champion, je me rends à un minuscule jardin qui domine la baie. Le temps est superbe. Je m’installe sur un banc, entouré des deux gros chiens de l’auberge qui me suivent partout, et passe un long moment à écrire. Concentré, je relève tout de même la tête aux passages des couples de aras survolant bruyamment la baie.

Une fois le carnet à jour, je reprends le sentier côtier jusqu’à ma plage favorite. Je m’étourdis dans les vagues, sèche au soleil, puis lis quelques chapitres. Et je répète l’opération plusieurs fois, l’après-midi s’écoulant paisiblement au rythme des vagues qui s’écrasent sur le rivage. Vers 15h, le ciel s’assombrit, l’air s’emplit d’une menace sourde. Je plie bagages et rentre, au pas de course (littéralement) pour éviter le déluge. Sur le chemin du retour, outre morphos et capucins fidèles au poste, je croise à nouveau le couple d’anglais vu aux Galápagos et à Monteverde. Mais les échanges sont brefs: on entend l’orage qui gronde au loin. J’arrive en nage à l’auberge, et sous les premières gouttes de ce qui se transformera en pluie diluvienne. J’ai la surprise de retrouver dans mon dortoir la volubile Daniela, qui commence alors un monologue joyeux mais confus. Je parviens tout de même à m’extirper pour aller me doucher, puis m’installe sur la terrasse pour préparer la suite de mon périple en regardant tomber la pluie.

Premier hic du séjour ici, je vais devoir renoncer à l’ascension du Cerro Chirripo, point culminant du Costa Rica à 3800m d’altitude. Les places sont limitées à 50 par jour et à ma grande surprise les prochaines disponibilités sont pour le 13 Mai…Une discussion avec mes chaleureux hôtes me confirme l’impossibilité d’une telle aventure. Je ne me laisse pas abattre et, le lonely planet dans une main, les internets dans l’autre, je me lance à la recherche d’une alternative. Le Cerro de la Muerte, nom tout à fait attrayant pour un aventurier, est situé non loin de son grand frère Chirripo et semble accessible. Il présente aussi l’avantage d’être situé en face du Parc National Las Quetzales, qui figure en bonne place sur ma liste de souhaits. Je trouve ainsi un logement de luxe situé entre les deux (l’offre d’hébergement étant très limitée dans ce coin perché). Heureux de cette solution, je mets fin à mes recherches et travaille à la mise en page d’un nouvel article.
Un nouvel arrivant débarque sous la pluie battante, et je devine dans son accent une musique familière. Diego est le premier italien que je croise depuis mon départ il y’a presque trois mois ! Je suis ravi de cette opportunité de m’exprimer à nouveau dans la langue de Dante, de Boticelli, et de Paolo Maldini. Diego est skipper sur des voiliers qui font le tour du monde, et entre deux contrats il est venu découvrir le Costa Rica. Nous bravons la pluie pour rejoindre l’un des seuls restaurants de Drake Bay, et passons une sympathique soirée, élargissant le cercle aux tables adjacentes, dans un brouhaha à quatre langues.

La pluie s’est enfin arrêtée lorsque nous rejoignons l’hôtel. Mon séjour ici s’achève après une nouvelle belle journée, reposante et enrichissante. Je me souviendrai longtemps de ce lieu isolé, hors du temps, et de ces vagues qui frappent des plages désertes, sous l’œil des singes et des aras perchés dans la forêt tropicale.
Je vous embrasse !
Julien
Tout ce bleu, tout ce vert, les autres couleurs des oiseaux et de la plage, le grand air, la chaleur et la liberté d’aller où bon te plait…ca fait tellement rêver ! Trop content pour toi, la faMichou !
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