Lundi matin, Puerto Ayora. J’ai pris mes précautions en quittant l’hôtel très longtemps avant mon vol, même si l’idée de rester bloqué ici n’est pas pour me déplaire…Après près de quatre semaines au paradis, il est néanmoins temps de partir ! Et sans regret aucun, tant j’ai profité de chaque seconde passée sur l’archipel. J’hèle une camionetta et lui demande de me déposer au terminal de bus, lançant ainsi un périple qui va me voir emprunter pas moins de quatre véhicules différents pour rejoindre l’aéroport de Baltra. Mais le chauffeur m’accueille en français, me raconte ses années parisiennes à jouer de la flûte de pan à Montmartre ou Montorgueil, et me dépose finalement à l’embarcadère de Baltra. Là, je ne prends pas le bateau de Juan Carlos pour une ultime plongée dans ces eaux limpides, mais le bac qui traverse le canal vers l’île aéroport. Je prends le bus avec le personnel, et participe avec amusement à l’ouverture de l’aérogare. Il est 8h et mon avion ne décolle qu’à 11h34. Les formalités expédiées, je profite du calme pour commencer à mettre à jour mon carnet de bord, n’ayant rien écrit de ma semaine de formation. Je finis par décoller, jette un dernier regard sur la terre rouge de Baltra, et salue les îles enchantées, qui vont longtemps alimenter mes rêves.

L’atterrissage à Guayaquil est brutal. Le bruit, la moiteur salle, la laideur de la ville…Je me fais arnaquer par un taxi, qui me dépose dans une rue terne, où un homme triste m’accueille froidement dans un hôtel sans charme. Dans ma chambre propre mais sans âme, je me jette sur le lonely planet pour établir un plan afin de quitter cet endroit au plus vite. Demain, je fuirai vers la côte et la bourgade tranquille de Puerto Lopez.
Revigoré par cette perspective, je me hasarde à explorer cette ville hostile et mes pas me mènent vers le Malecòn, une promenade de trois kilomètres le long du fleuve. C’est une drôle d’enclave clinquante qui contraste avec le reste de la métropole, où les incitations à consommer sont incessantes. On y voit ainsi de grasses familles équatoriennes s’empiffrer de gourmandises suintantes à faire pâlir un diététicien. Au milieu des usines à cholestérol, je trouve tout de même un restaurant correct, où je dine d’un riz aux fruits de mer plutôt bon. Sur la terrasse, une troupe de quinquagénaires femelles martyrise le pauvre serveur et multiplie les selfies aux poses superficielles. Ce qui semble la seconde maladie dans cette ville après la malbouffe. Un peu écœuré, je reprends le chemin de l’hôtel. Dans un élan de nostalgie, je regarde Master & Commander, qui offre quelques scènes magnifiques tournées aux Galápagos.

Mardi matin, Guayaquil. L’humeur est meilleure que la veille, et je prends avec le sourire le chemin de la gare routière. Ni le chauffeur de taxi detestable, ni les labyrinthes grouillants du terminal terrestre ne m’ôtent le sourire. Je saute dans mon bus pour Puerto Lopez, petite ville sur la côte au sein du Parc National Machalilla. Je reprends l’écriture, et l’évocation de mes souvenirs récents sur l’archipel magique me fait réaliser la chance inouïe que j’ai eu de vivre des moments si beaux, si intenses. La gratitude prend le pas sur l’amertume du retour. J’arrive après quelques heures à destination, sous un soleil voilé. L’hôtel, sur une colline qui surplombe la ville, est sympathique, ses propriétaires aussi. Ma petite chambre donne sur la mer. Je m’installe brièvement et sors explorer les environs. La petite cité est poussiéreuse, son architecture aléatoire, les rues goudronnées sont rares. Les hamacs sont légions, parfois à même la rue. Il règne une atmosphère langoureuse. On se croirait dans cette pub Pulco des années 90 (“il fait trop chaud pour travailler”), sans les citrons.
L’activité se concentre sur la plage, où de nombreuses barques de pêcheurs sont échouées sur le sable fauve. La longue plage est fermée à ses extrémités par de petites falaises jaunes, friables. Et la ville est entourées de collines à la teinte mauve étrange. Il faudra aller voir ça de plus près, demain. Je marche longuement sur la plage, jusqu’à atteindre la pointe nord, loin du village. Rapide baignade, puis lecture en attendant le coucher du soleil.





Je fais demi-tour, et me pose dans l’un des innombrables petits restaurants du bord de mer. La station balnéaire, qui pendant les vacances accueille de nombreux équatoriens, est très calme en ce début de semaine. Après un ceviche trop salé, je rentre à l’hôtel pour une première nuit sur la côte équatorienne.
Mercredi Matin, Puerto Lopez. La nuit a été bonne. Les coqs ici semblent respecter le sommeil des honnêtes gens. Après un petit déjeuner frugal, je descends vers le Malecòn pour y louer un vélo. Je vais m’aventurer plus avant dans le Parc National, avec pour objectif la plage de Las Frailes. Quelques coups de pédale m’emmènent dans ces collines mauves aperçues la veille. Cette teinte surnaturelle vient des arbres gris et sans feuilles qui composent le manteau de l’arrière pays. Ces basses forêts mortes donnent au paysage un air désolé. Ces arbres ternes et cassants ne sont en fait pas morts, ils reverdiront avec les premières pluies. Mais pour l’heure, le décor hivernale contraste avec la température ambiante. Sous la grisaille, ces collines tolkiennesques semblent sous l’emprise d’un charme maléfique.

Le ciel se dégage alors que j’arrive à la playa Las Frailes. Située au bout d’un chemin de terre, protégée par les gardes du Parc National Machililla, la plage est belle, sauvage, paisible. Je me dirige vers l’extrémité de la petite baie, où les eaux claires près des rochers sont propices au snorkelling. Et j’y découvre avec surprise un grands nombre de poissons rencontrés aux Galápagos : poissons perroquets, poissons anges, ces grands poissons plats noirs et jaunes, et même une petite murène violette. Je joue, comme à mon habitude, à plonger et me faire balloter par le ressac, près des rochers, avec les poissons. Je profite de la plage et de ses eaux foisonnantes de vie, jusqu’à ce qu’un garde m’indique la fermeture du lieu. Il est 15h, sans doute l’heure de retrouver le hamac, dans cette région.



Je fais le chemin inverse, restitue mon vélo, fais quelques courses pour le dîner, et rentre à l’hôtel. Je passe un moment à discuter avec le couple de suisse-allemands qui se prépare à dîner, à 17h. Puis avance le blog, au milieu des photos de lions de mer et de fous à pattes bleus, jusqu’au dîner. Fous que je retrouverai demain, lors d’une excursion à l’isla de plata, à une heure de bateau au large de Puerto Lopez !
Jeudi matin, hôtel Alcazaba. Raul est en retard. Ou alors il respecte les traditions du coin. A 9h45, soit trois quarts d’heure après l’heure annoncée, il arrive en touk touk et m’emmène à l’embarcadère. Où je patiente une bonne heure avant d’embarquer. Mais les passagers, qui semblent rompus au rythmes locaux, sont tout à fait tranquilles.
L’equipage se compose de deux amies américaines retraitées à Cuenca, un septuagénaire américain dynamique aux allures de biker, un jeune couple de Quito, moi-même, le capitaine et son matelot, et le formidable « Don Cherry », notre guide. Imaginez un hybride entre Astérix et Christophe (celui qui a crié Aline): 1m50, petits yeux bleus rieurs, belle moustache grise, haut du crâne dégarni d’où partent des cheveux filasses roux comme autant de nouilles chinoises ondulées. Et une énergie hors du commun ! Don cherry, théâtral, tient son personage à la perfection. Il sautille, harangue la troupe, frappe de grands coups sur la carlingue en nous détaillant le programme du jour. Les passagers, hilares, se détendent, profitant de la traversée pour scruter l’horizon nuageux.

Nous accostons sur une plage de sable gris, puis rejoignons les hauts de l’île par un sentier poussiéreux. C’est ici que fous à pattes bleus et frégates ont décidé de nicher et d’élever leurs petits, avant de repartir vers les Galápagos. Pléthores de nids de fous bordent le sentier. Ils sont aisément reconnaissables : autour du centre du nid se dessine un soleil blanc, parfaitement circulaire. Tout en couvant, les fous se tournent constamment, suivant les mouvements du soleil, et formant donc avec leurs déjections ces jolies fresques rondes. Les oiseaux pullules, curieux, ils nous regardent passer, certains à quelques centimètres seulement de nous. Les scènettes sont attendrissantes : mâles et femelles se relayant pour couver les œufs, minuscule oisillon sortant la tête de sous le ventre de sa mère, frères et sœurs attendant le retour nourissier des parents, et même réunions familiales. Le couple le plus drôle est sans nul doute la paire Papa / fillette, la bambine encore toute cotonneuse dépassant d’une bonne tête son petit géniteur (les fous femelles sont nettement plus grande que les mâles). Avant de rejoindre le quartier des frégates, nous passons devant un vaste terrain vague, qui sert de piste d’entraînement aux jeunes fous qui apprennent à voler, dans un ballet aérien pour le moins désordonné…












Afin d’éviter tout risque de cohabitation conflictuelle, les frégates ont élu domicile sur les pentes est de l’île. Les nids de cet intriguant oiseau, aussi majestueux dans l’air que discret sur terre, sont généralement très difficiles à observer. Dans cet endroit unique en revanche, on peut les approcher de très près ! Les jeunes ont la tête blanche, quand les adultes, aperçus en nombre aux Galápagos, ont la tête noire. La saison des amours étant terminée, nous ne verrons pas de poitrine rouge gonflée chez les mâles, à nouveau sobres après être arrivés à leurs fins. C’est assez émouvant de fouler, seuls au monde, ce sanctuaire de vie.





Nous redescendons sur la plage, déjeunons frugalement à bord, avant de jeter l’ancre dans un coin abrité de l’île pour la partie « mer » de notre excursion. Nous nous jetons à l’eau pour une session de snorkelling. Les poissons sont au rendez-vous, et les fonds, tapissés de coraux verts et beiges, sont magnifiques. Poissons multicolores picorant de gros choux-fleurs et brocolis sous marins, on se croirait dans une pub Coraya…Poissons globes, poissons trompettes, poissons anges, murènes, et même une tortue et deux raies épineuses sont au menu. Joli moment.
Nous remontons à bord, où Don Cherry fait son outro, avant de se remettre de ses efforts en feuilletant le journal des sports local. Nous nous séparons à l’embarcadère et je regagne mon hôtel. J’y étudie mon parcours du lendemain, avant de partager la petite cuisine de l’hostal Alcazaba avec les suisses-allemands, d’humeur tardive aujourd’hui. Je me couche heureux des découvertes du jour, sur l’île aux oiseaux.
Je vous embrasse,
Julien
Tellement incroyables ces fous clownesques au chaussettes turquoises !
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