Jeudi matin, Turrialba. Je prends le petit déjeuner en compagnie de Marie et William, nous échangeons quelques derniers conseils sur nos destinations réciproques. Puis je les salue, leur souhaitant un superbe séjour en Équateur et aux Galápagos. La nostalgie de l’archipel magique n’a pas le temps de me gagner puisque Juan Carlos, un sympathique Costaricien, fait son apparition sur la terrasse. Nous sommes rejoins par Lisa, et la discussion s’engage autour de l’Inde et de la Chine. Vient l’heure du départ. Nous abandonnons Juan Carlos à son “conference call”, et prenons la route, direction Puerto Viejo à l’extrême sud de la côte caraïbe. Malgré mes nombreuses années d’étude de la langue de Goethe, la conversation se fait en anglais, afin d’éviter un massacre syntaxique. Lisa s’avère une conductrice sûre et un excellent compagnon de route. Le trajet passe à tout allure et il n’est pas 13h lorsque nous parvenons à Puerto Viejo.
Le village se situe à la pointe sud d’une large baie de sable noir. L’animation déborde dans la rue principale, qui longe la mer. Restaurants, bars, boutiques d’artisanat local se disputent l’attention des nombreux badauds en tenue estivale, sur un fond cacophonique de musiques reggae. Lisa me dépose en ville et je rejoins l’hostel Pagalù, plus au calme à deux rues de la plage. L’endroit est très agréable, tout en ouverture et grands volumes, et l’accueil chaleureux. Il y règne une atmosphère amicale, joyeuse, et tranquille. Je fais la connaissance de mes colocataires: Martin, professeur d’allemand aux Philippines adepte du “smart working”, Anthony, jeune nordiste curieux et accueillant tombé sous le charme des Caraïbes, et Jack, colosse de Chicago fan des Bulls et des White Socks.


Je m’installe, écris quelques pages, puis pars en balade, à l’ombre de la forêt qui borde la côte. Après quelques kilomètres, j’arrive sur une grande plage, en face de laquelle se dresse un îlot recouvert de forêt tropicale, roussi par les rayons de soleil de fin du jour. Magnifique. A l’autre bout de la plage, quelques surfeurs s’ébattent dans les vagues, conséquentes. Je m’adonne quand à moi à une session lessive, sans planche, et ressors du tambour de l’eau plein les narines et du sable plein les oreilles.

Pendant ce temps-là, l’hostel s’est transformé en annexe de l’Alliance Française. Ni anglais, ni espagnol, c’est bien la langue de Molière qui résonne dans le patio. Parmi mes nombreux compatriotes, je fais la connaissance de Clémence et Gaël, couple de vendéens en voyage longue durée, en partance pour la Colombie. Ils quitteront le Costa Rica en même temps que Marie et William…qu’ils connaissent d’ailleurs pour les avoir croisé maintes fois lors de leurs tribulations dans le pays. Notre monde est tout petit (bon courage pour vous sortir cette terrible chanson de la tête…). Il y a aussi Constance, qui bourlingue depuis près d’un an entre volontariats et voyages, et Aman, Québécoise d’origine marocaine et ses fabuleux cocktails. Une bien belle tablée pour une soirée très sympathique. Mon séjour ici s’annonce drôlement bien !
Vendredi matin, Puerto Viejo. La nuit a été calme, pas de ronfleur dans la chambre, ni de coq dans les parages. Je me prépare un petit déjeuner copieux, et grimpe sur un mauvais vélo pour rejoindre le Parc National Cahuita, à 17km au nord sur la côte. La route est très agréable en ce début de matinée. Ma monture décrépie ne m’autorise qu’à pédaler à un rythme caribéen, je profite donc du paysage, et de la douce musique des oropendolas, qui sont légion dans la forêt environnante.

Je traverse le hameau endormi de Cahuita, jusque l’entrée du Parc, sur la plage. Les derniers mètres se font sur une route de terre cabossée, qui fait dérailler ma bicyclette antique. S’en suit une scène assez cocasse. Je descends du vélo, le retourne, et commence à pester contre la chaîne, rudement coincée. Je suis alors assailli d’une foule de moustiques qui me harcèlent les mollets. Je fouille dans mon sac à la recherche de mon « repellent », et dans la précipitation son contenu se déverse sur le sol. La bombe enfin en main, je m’aperçois qu’elle est vide. Pestant de plus belle, je me remets à la tâche pendant que les insectes de malheurs me dévorent. Je parviens à remette la satanée chaîne en place, gare le maudît vélo, et me rends au guichet. Derrière, le garde forestier, qui avec ses collègues n’a rien raté du spectacle, se retient de rire. Je regarde mes jambes boursouflées de piqures, mes mains noires de cambouis, puis à nouveau le garde, et nous explosons de rire, ensemble et de bon cœur. Charitable, il me prête une bombe d’anti-moustiques et me souhaite une bonne visite.
Situé sur une petite et étroite péninsule, le parc est une bande de dense forêt tropicale entourée par la mer. Le sentier longe le littoral, dévoilant de magnifiques plages. A l’affût du moindre bruit, je guette les singes et paresseux, scrutant la cime des arbres. Je reste longtemps bredouille, me contentant d’admirer le paysage, compensation assez exceptionnelle. Palmiers, cocotiers, eau claire, nous sommes plus sur un décor de carte postale que sur les rivages déserts de Drake Bay.



Sur les derniers kilomètres, le sentier s’enfonce dans la forêt, et les animaux se montrent enfin. J’entends les mouvements de feuilles caractéristiques d’une présence simiesque. D’abord hauts dans la canopée, un groupe de singes hurleurs descend presque à ma hauteur, en quête de feuilles fraîches. Peu dérangés par ma présence, ils se rapprochent à quelques mètres à peine ! Notamment une belle femelle aux grands yeux pendue par la queue.



Un jeune mâle, ravi d’avoir un public, exhibe fièrement ses testicules dans des poses dignes des peintures des maîtres italiens. Puis la troupe s’en va poursuivre son festin végétarien plus loin. Chouette moment avec nos cousins primâtes !



Je reprends ma route, sur un long pont posé au dessus de marécages. La musique du lieu est fantastique : grenouilles et cigales se livrent à un concours de décibels, tandis qu’au loin on entends les hurlements sourds d’une horde de « monos congos ». Heureusement, le chant des oropendolas adoucit ce vacarme.


Soudain, me rejoint sur le pont un distingué raton-laveur. Dans une attitude de défi mêlé de curiosité, il marche vers moi à pas lents, puis détale au son d’une bruyante famille de locaux qui arrivent dans son dos.

Puis, de nouveau les bruissements sonores, néanmoins plus légers que les précédents. Une famille de capucins traversent la forêt, furtivement.
J’arrive au bout du sentier, qui rejoint la route. Plutôt que de prendre un bus pour retourner à l’entrée du parc, je décide de faire demi tour et de parcourir dans l’autre sens les 9km de chemin. Je croise Martin, en balade, nous discutons un moment, puis chacun repart de son côté. Je m’octroie un peu plus loin, vers la pointe, un bain de mer sur ces plages paradisiaques. Puis une sieste à l’ombre d’un palmier.

Je suis tiré de ma langueur par le sifflet des gardes forestiers, qui signifie la fermeture prochaine du parc. Je rejoins la sortie, remonte sur mon épave, et rentre à l’hostel. Le même parfum de détente règne dans le patio, et après une bonne douche, je me joins aux conversations. Andrew, (très) jeune américain du Delaware fraîchement “graduated from high school” complète l’équipe de la veille. Les filles s’éclipsent et l’assistance devenant plus masculine, le sport prend le devant de la scène dans nos discussions. Basket, baseball, football, et soccer, évidemment. Fourbus par les kilomètres engrangés pendant cette belle journée, j’abandonne mes comparses et me couche, bercé par les oropendolas qui chantent encore, dans ma tête.
Samedi matin, hostel Pagalù. Aujourd’hui, je pars explorer le sud de la côte, et la réserve nationale Manzanillo. On ne change pas une équipe qui gagne, c’est donc sur mon fidèle destrier de la veille que je parcours les 13 km qui me séparent de l’entrée du parc. En prenant le soin de dérailler une demi-douzaine de fois en chemin. La réserve s’étend le long de la mer, comme Cahuita, mais s’étire d’avantage en longueur. Et le sentier, lui, quitte assez vite la proximité immédiate du littoral pour s’enfoncer dans la forêt.

Il est encore tôt, nous sommes donc peu nombreux à pénétrer le parc, et les quelques visiteurs s’arrêtent après quelques centaines de mètres sur une superbe plage.

C’est donc seul que je m’engage sur le chemin qui disparaît derrière les arbres. Après une dizaine de minutes à marcher accompagné de l’inconditionnel chant des oropendolas, je comprends mieux ma solitude : le sentier devient boueux, à certains endroits à la limite du praticable. Marcher ainsi tête baissée, pour éviter chute et entorse, n’autorise guère à lever le nez en quête de créatures bringuebalantes. Mais cela permet de se pencher sur le monde miniature de la forêt. Et il s’en passe des choses, à nos pieds ! Ici un gigantesque Bernard-l’ermite égaré loin de ses bases, là une superbe araignée attendant tranquillement dans le piège soyeux qu’elle a tissé.


Mais le plus surprenant spectacle reste celui des grenouilles lilliputiennes qui sautillent à mon passage. Pas plus grosses qu’un ongle, elles rivalisent d’ingéniosité pour se fondre dans le décor:
Il y a la grenouille militaire et sa tenue camouflage;

La maronne, invisible sur le sol terreux avec ses différentes teintes de brun;

La vengeuse masquée, avec son liseré jaune, à l’abri sous un tronc mort;

La grenouille commando, un échelon au dessus de la grenouille militaire en terme d’invisibilité;

Et enfin, ma préférée, la pumilio bribri, venimeuse et introuvable dans les feuilles mortes avec sa robe bauxite.

La boue réserve d’autre surprises, moins sympathiques, comme cette chute en haut d’une petite butte qui me laisse moi aussi en tenue de camouflage. Ou ce trébuchement qui me vaut une lacération en règle de la cheville, la faute à du vieux fil barbelé caché sous les feuilles.
Je finis tant bien que mal à atteindre la fin du sentier, qui débouche sur une superbe plage, en face d’un îlot tapissé de forêt verdoyante.


Quelques locaux, venus dans ces lieux reculés en bateau, profitent de leur samedi. Ils me regardent, les yeux écarquillés. Il faut dire que ma dégaine inspire, sinon l’effroi, du moins la curiosité. Noir de boue, les chevilles sanguinolentes, je sors tout droit d’un remake caribéen du Blair Witch Project. Le père de famille, bonhomme, s’enquiert de ma provenance, et fini par me demander : « mais pourquoi t’infliger ça ? ». Je réfléchis à sa question en poussant la marche, sur la plage, jusqu’à la prochaine pointe. Là, fatigué, je pose mon paquetage et cours me rafraîchir à l’eau. Le bain de mer fait des merveilles, et je ressors des flots comme un sou neuf. Je me repose quelques instants avant de reprendre la route en sens inverse.

Le cri des singes hurleurs, que je devine hauts dans les arbres, accompagne mon retour vers l’entrée du parc. Il fait beau, et le soleil illumine le paysage, digne à nouveau d’une carte postale.



Je suis surpris de trouver une foule nombreuse sur la plage de Manzanillo, mais nous sommes samedi, et il fait beau, c’est donc finalement assez logique.


Je remonte sur mon vélo, et décide de faire un détour par Punta Uva, une plage magnifique, recommandée par les habitants de l’hostel Pagalù. L’endroit est effectivement superbe, avec son sable fin et sa barrière de corail. Mais il est envahi par des hordes de locaux, qui rivalisent d’inventivité pour faire parvenir le reaggetton que crache les enceintes de leurs pickups jusqu’à leurs chaises longues. Je rebrousse chemin et choisi finalement la plus calme plage Cocles, un peu plus loin, pour une session de bodysurf, qui fait office de second cycle de lavage après cette journée boueuse.
Il fait déjà sombre lorsque j’atteins l’auberge. J’y retrouve avec plaisir mes acolytes pour un debrief de nos journées respectives. Martin, et Aman me conseillent un petit restaurant caribéen à deux pas, et je m’y régale d’un poulet aux épices. Je rentre, bavarde un moment, mais ne tarde pas à m’effondrer après cette intense journée. Demain, le réveil est fixé à 4h30. Je quitterai la chaleur de l’hôtel Pagalù et la douce langueur parfumée de Puerto Viejo pour rejoindre un autre de ces lieux perdus au milieu du grand nul part vert : Tortuguero.

Je vous embrasse !
Julien
Mmmm reaggetton ♬ pour ton plus grand plaisir!
Etait-ce le Lidia’s place pour dîner?
La réserve de Manzanillo est très belle, merci pour ces photos!
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