Dimanche matin, Puerto Escondido. Je prends mon temps, les lagunes de Chacahua ne se trouvant qu’à 70 km de Puerto. Je retourne dans le charmant café découvert la veille et commande un desayuno completo. Je déjeune en regardant passer les badauds. Parmi eux, Jonhatan marche au hasard, à la recherche de wifi pour sa journée de travail. C’est drôle de le croiser comme cela, Puerto Escondido n’étant pas un petit village. Il se joint à moi et nous bavardons un moment, Jonhatan partageant ses expériences au Brésil et en Colombie, où il a vécu de long mois.
Je l’abandonne pour aller prendre mon bus, puis arrive, une heure et demie et un collectivo plus tard, au bord de la lagune de Pastoria, dans le village de Zapotalito. J’y fais la connaissance d’Emilie, entrepreneuse du Colorado, et Brian, voyageur Canadien, ayant fui la rigueur hivernale de leurs environnements respectifs. Nous embarquons dans une petite « lancha », qui traverse la magnifique lagune. Sur un îlot recouvert de cactus nichent de nombreuses frégates, tandis que les pélicans prennent le soleil sur quelques cailloux émergeants des eaux brunes du lac.



Arrivés à son extrémité, nous découvrons un passage à travers la mangrove, peuplé d’aigrettes d’une blancheur immaculée, qui conduit à une seconde lagune, tout aussi belle.

Elle nous mène à l’estuaire de Chacahua, marqué à l’ouest par une verte colline dominée par un petit phare blanc et rouge, et à l’est par une jetée de pierre. Sur les rives du lac, quelques habitations sommaires et des embarcadères de fortune renforcent cette impression de bout du monde que je suis venu chercher ici.

Nous accostons et prenons un chemin de terre vers la plage. La baie est somptueuse, et la plage immense ! Tout au bout se détachent deux rondes collines, semblables aux bosses d’un chameau à demi caché sous les eaux bleues azur.

L’endroit est plus animé que je ne le pensais en cette fin de week-end, et les quelques bars posés sur le sable diffusent des rythmes latinos sur de mauvaises sonos, pour des clients «babas-cools » détendus et bronzés.

Les gérants des quelques « cabañas » du site sont tout autant détendus, et trouver un logement pour la nuit se révèle être une entreprise intéressante…Grâce à l’espagnol irréprochable d’Emilie, nous trouvons tout de même notre bonheur, dans deux établissements différents. Au « Terra Tipi », je partage une chambre spartiate avec Brian, disposant tout de même d’une salle de bain et d’un ventilateur en état de marche.

Il me tarde d’explorer les environs, et je laisse ainsi Brian à sa sieste pour tenter de rejoindre les bosses du chameau. Le soleil, impitoyable, est mitigé par une légère brise venant de l’océan qui rend la longue marche très agréable. Passé les quelques cabanes aux toits de paille, je suis seul au monde, et savoure cette sensation d’immensité.

J’improvise un jeu avec une troupe de cormorans : regroupés sur la plage, à mon approche, ils s’envolent de concert pour se poser cent mètres plus loin. Puis recommencent la manœuvre lorsque je les rejoins, fatalement. Ce numéro absurde dure jusqu’à mon arrivée au pied des bosses, près de deux heures après mon départ. Je me jette dans les vagues, et poursuis mon après-midi ludique par une étourdissante session de bodysurfing.

Pour le retour, je décide de rejoindre les autres êtres humains en courant, le formidable « Californication » des Red Hot Chili Peppers dans les oreilles.

Avant de rentrer au Terra Tipi, je fais le tour du minuscule village, entre mer et rivière. Je pousse jusqu’au bout de la jetée, pour regarder les surfeurs se régaler de vagues douces dans une eau translucide.



Au moment d’aller dîner, nous réalisons que le petit paradis s’est vidé d’une bonne partie de ses occupants. Seuls deux restaurants sont ouverts, et le premier est pris d’assaut par une fête de famille mexicaine. Nous rejoignons naturellement Émilie dans le second. Je découvre deux personnages diablement intéressants, ouverts, cultivés, et curieux. Nous évoquons l’attitude si particulière des parisiens, les volontés ségrégationnistes du Québec ou celles des sudistes américains trumpistes et avides d’armes à feu. Le dîner se poursuit longuement, prolongé par le plaisir d’être ensemble mais aussi par le temps d’attente considérable causé par les léthargiques autochtones. Je passe une excellente soirée, entre rires et réflexions, avec mes compagnons de voyage. Avant de me coucher, je m’offre une baignade nocturne. Et constate avec une joie enfantine que le plancton bioluminescent se trouve ici aussi ! En plus des étoiles qui brillent au-dessus de moi, d’autres astres scintillent en dessous. Moment magique ! Après une rapide douche, je m’endors bien vite, bercé par les paisibles vibrations de Chacahua.
Lundi matin, Chacahua. Je me réveille au Paradis. Le ciel matinal passe du rose au jaune, avant de gagner la teinte bleue claire dont il ne se départira pas de la journée. La baignade est délicieuse ! L’eau est d’une hallucinante clarté, je me laisse doucement dériver, en regardant bondir les poissons. D’émouvants souvenirs de mes étés à Bendor me submergent, ces heures heureuses passées entre deux eaux avec mes frères et sœurs, sous l’œil aimant et facétieux de mes grands parents.

Ces émotions profondes, ainsi que l’air marin, m’ont donné faim ! Nous nous retrouvons à nouveau tous les trois attablés pour le petit déjeuner, dégustant de délicieux huevos rancheros. Ces derniers étant servis selon le rythme caribéen des lieux, la matinée est déjà bien avancée lorsque nous sortons de table. Avec Brian, nous nous mettons en quête d’un endroit où louer des kayaks afin d’explorer la lagune, plus tard dans l’après midi. Nous les trouvons dans le jardin de la douce Berenices, qui nous les mets de côté pour 16h. Voilà qui nous laisse une bonne partie de l’après midi pour des activités diverses. Je choisis de l’entamer par un footing sur la plage, tout aussi agréable que celui de la veille. Puis je m’installe confortablement sur la plage, alternant révisions d’espagnol et longues baignades. J’aime véritablement cette endroit. Il y règne une atmosphère unique, propice à la nostalgie, mais une nostalgie sucrée, qui puise dans des souvenirs heureux une formidable énergie.

Voici venue l’heure de notre safari aviaire. Brian et moi embarquons chacun sur son petit kayak bleu, pagaie en main, appareil photo autour du cou. Avec ses deux mètres, Brian dépasse presque de son canot de plastique…Emilie a préféré quant à elle le côté mer pour perfectionner ses aptitudes au surf.


Nous partons à la chasse aux oiseaux, empruntant à droite un petit bras de rivière. Ibis, aigrettes, et hérons sont au rendez-vous. Difficile néanmoins de les approcher de près, car ils s’envolent à notre approche. Nous nous engouffrons ensuite dans un étroit passage à travers la mangrove, et pénétrons ainsi dans un monde étrange, inquiétant, magique. Le bois sec, qui craque sous la brise légère ou l’impulsion des hérons tigres, semblent vouloir nous dire quelque chose. Le chemin serpente, et la navigation, à contre-courant, y est ardue, mais fort amusante !



Nous débouchons finalement sur un grand bassin, où bronzent de blancs pélicans. Il est temps de faire demi tour, nous décidons de concert d’emprunter le même itinéraire tarabiscoté et aventureux, portés cette fois par le courant. De l’autre côté du passage enchanté, nous trouvons une superbe couleur de fin du jour, propice à une belle séance photo. L’estuaire sous les derniers rayons du soleil est une pure merveille !







Nous restituons les kayaks à Berenices, déposons notre matériel de « birders », et partons nager, afin de nous ouvrir l’appétit. Le village est encore plus calme qu’hier, mais nous trouvons une minuscule terrasse au dessus de la rivière illuminée de lampions. Nous y dégustons avec Émilie et Brian de délicieux poissons en papillotes, servis en un temps record, en bavardant joyeusement.


Brian, gagné lui aussi aussi par la nostalgie latente des lieux, nous raconte ses expériences désastreuses d’apprentis pêcheur, entre Lord Jim et Forest Gump. Avec son incroyable pouvoir évocateur, Conrad en aurait fait un bon livre !
Je ne manque pas ensuite mon rendez-vous psychédélique avec les lueurs bleutées, qui clôture une journée fantastique ! Flottant sur les ondes féeriques de Chacahua, je m’endors, heureux.
Mardi matin, Cabañas Terra Tipi. Les habitudes se prennent vite, au paradis. Le bain matinal est délicieux, et les huevos rancheros tout autant. Assis faces à la mer, avec Émilie et Brian, nous prolongeons le petit déjeuner, qui sera notre dernier ensemble ici.

En effet, une “lancha” nous attend à 11h pour retraverser les lagunes jusqu’à Zapotalito. Nous saluons la pétillante Émilie, qui profitera encore quelques jours des vagues de Chacahua, et embarquons avec deux excentriques anglais. La première, une rousse androgyne, arbore une chemise de flanelle et des mocassins à gland, par trente degrés. Le second porte dans une main un énorme oreiller, et dans l’autre une paire de Santiag flambant neuves. La lancha s’arrête non loin pour prendre Alex, une superbe australienne qui quitte Chacahua après quatre mois ici. Nous l’aidons ainsi à déménager tout son fatras jusqu’à Zapolito, où son boyfriend prendra le relai. L’équipage, pour le moins hétéroclite, est au complet, nous pouvons hisser la grand voile et voguer sur la lagune. Je regarde le village s’éloigner avec une émotion certaine, j’ai eu un réel coup de de cœur pour cet endroit magique !

D’autres merveilles nous escortent. Dans le passage mystique entre les deux lagunes, des dizaines d’aigrettes entourent le bateau. Leurs vols s’entrecroisent pour nous proposer un spectacle d’une extraordinaire beauté.

Sous l’impulsion de Brian, le taciturne pilote fait une halte devant l’île aux frégates, où un mâle très pourvu parade, devant un jury de pélicans attentifs et exigeants.


Nous déchargeons le bateau, laissons Alex à ses cartons, et grimpons dans un collectivo brinquebalant jusqu’à Puerto Escondido.
Là, les anglais montent dans un bus pour Mazunte, où ils n’auront pas plus besoin de bottes de cowboy et mocassins à gland. Avec Brian, nous nous donnons rendez-vous pour le dîner, ayant chacun son lot de taches pour l’après-midi. Je trouve un charmant café disposant du wifi, établis mon itinéraire du lendemain vers les Bahias de Huatulco, y reserve bus et auberge, puis trouve un hôtel à Puerto pour la nuit. La nuit commence à poindre lorsque j’en termine avec tout cela. Je prends une douche fraîche et file à la Rinconada, retrouver Brian et Johana dans un restaurant branché du quartier. Johana est une amie de Brian qui habite Puerto depuis quelques mois. Americano-espagnole, elle travaille à la défense des droits des locataires de l’agglomération new-yorkaise. Polyglotte, ayant vécu dans de nombreux pays, Johana a des choses intéressantes à raconter. La discussion vole de l’art conceptuel à la spéculation monétaire, en passant par nos extraordinaires expériences respectives en Corse. Excellente soirée en compagnie de deux beaux esprits. Je rejoins à pied mon hôtel, qui donne sur la playa principal, et m’endors facilement, malgré l’absence de bain de minuit luminescent.

Je vous embrasse !
Julien