Samedi matin, San Cristobal. Je devrais sans doute porter réclamation à la OCC (compagnie de bus). Cela fait en effet deux fois que je paye une place entière et n’en dispose que d’une demie. La petite fille à l’air si doux a du faire de sérieux cauchemars, tant elle m’a labouré les jambes de ses coups de pieds. La nuit a été belle. C’est donc hagard que j’arpente les rues de San Cristobal, dans un froid saisissant, à la recherche du Rossco Backpackers hostel. Je le trouve dans une jolie petite rue aux maisons colorées. Malgré un aspect bazardeux, l’endroit est agréable. Je me pose sur la terrasse et inflige mon visage fatigué à la famille, qui fort généreusement ne m’en tient pas rigueur.

Ma chambre ne sera prête qu’à 15h. J’enfile un chandail pour affronter la différence de température avec la côte (nous sommes à 2000m d’altitude), et pars à la découverte de San Cristobal.

Dans ces rues étroites, des maisons multicolores, de plein pied, laissent passer la lumières si vive des hauts plateaux. Des églises aux façades colorées dessinent la « skyline » de la cité coloniale. Je suis frappé par l’authenticité de ses habitants, dont un grand nombre perpétuent des habitudes indigènes ancestrales. Des femmes en habits traditionnels, jupe de laine noire et ample châle mauve, grands yeux noisettes, pommettes hautes et regard profond, croisent de jeunes mexicaines en jeans et nike de contrefaçon.

Des enfants magnifiques, dont les dents blanches dévoilées par de larges sourires brillent au soleil, vendent bracelets, cacahuètes, ou figurines en bois avec une énergique résilience.

À mesure que je me rapproche du Zocalo, la place centrale, des touristes se mêlent à la foule autochtone, et les rues se parent de jolis restaurants.

Le climat est exceptionnel, le soleil me chauffe le visage, tandis que le vent descendu des montagnes alentours rafraîchit l’atmosphère.

Du Zocalo, j’emprunte la calle Guadalupe, rue piétonne animée qui mène à l’église du même nom, posée en haut d’une colline. Je grimpe les marches et admire la ville, encerclée de montagnes vert-foncé.

Je me dirige ensuite vers le « Na-Bolom », une vaste demeure coloniale qui abrite un musée sur les populations lacandiennes, indigènes de la jungle du Chiapas occidental. La maison est splendide, tout comme la collection d’artisanat, et les photos en noir et blanc de cette tribu Maya perdue dans la forêt.





Mes pas me mènent alors vers l’ouest de la cité, où une autre colline, entourée d’une pinède, propose un autre point de vue sur San Cristobal. Le calme, l’odeur des pins, et la beauté du paysage invitent à la pause. Je m’assoie sur un joli banc et écris quelques pages. Avant de m’assoupir tout à fait, je me lève et chemine vers l’auberge, faisant au passage le plein de fruits et légumes frais.



Ma chambre privative ressemble à celle de Cendrillon, un taudis sous les combles. Mais les épaisses couvertures, et la fatigue croissante devraient m’assurer une belle nuit de sommeil. Pour l’heure, je réserve pour le lendemain une excursion au Canyon del Sumidero, et m’installe sur la terrasse pour travailler sur le blog. Le soleil disparaît peu à peu, et le froid fait son apparition. Une douche chaude et quelques couches supplémentaires ne suffisent pas à me réchauffer complètement, mais un bon dîner arrosé de thé chaud fait l’affaire. Parmi les habitants qui partagent la cuisine, je suis heureux de trouver David, qui a lui aussi choisi le Rossco comme demeure éphémère. Nous conversons un moment puis, lorsque j’estime l’heure décente (20h30), je tombe de sommeil sur ma paillasse (du côté où elle ne s’effondre pas), bien au chaud sous une pile de couvertures. Après deux semaines superbes au Oaxaca, le Chiapas semble lui aussi plein de surprises…
Dimanche matin, Rossco Backpackers Hostel. Dans la cour de l’auberge, nous attendons avec David le bus qui nous emmènera vers le fameux Canyon del Sumidero, en évoquant nos joueurs de tennis favoris des années 90. Foule de souvenirs refont surface à l’évocation de Becker, Courrier, ou Steffie Graph. Je me revois dans le hangar de l’ancien Borotra à renvoyer par un froid glacial les balles de ce bon vieux Simon. Bientôt la sonnerie retentit et met fin aux discussions techniques sur l’incroyable soudaineté du retour d’Agassi ou l’élégance nonchalante de Sampras.

Nous grimpons dans le bus, où une dizaine de personnes sont déjà installées. Notamment un groupe de français marqués des excès de la veille. Le van chemine entre de vertes montagnes, avant d’enjamber un immense canyon. Nous sommes arrivés à destination. Un bateau nous attend, et nous embarquons à une trentaine dans le vaisseau de Jorge, notre guide et capitaine pour les deux prochaines heures. La rivière, sur les premiers kilomètres, ne passe qu’entre de modestes collines.

Notre attention se porte donc sur les nombreux hérons, et surtout sur les crocodiles qui paressent sur les berges, la gueule ouverte pour réguler leur température. Des iguanes noirs les imitent, dormant sur les branches basses d’arbres courts et nus.





Puis les falaises se hissent de part et d’autre du fleuve, et au détour d’une méandre, nous découvrons le Sumidero, abasourdis par l’imposante beauté du paysage. Le canyon est majestueux, ses parois abruptes atteignant à divers endroits les 1000 mètres de haut !





Quelques agaves parviennent miraculeusement à pousser sur ces flancs rocheux, nourries par les eaux qui infiltrent la roche. Celle-ci donne d’ailleurs lieu à des formations fort étranges, comme cet étonnant « arbre de noel » collé à la paroi, ou ces grottes roses et blanches creusées dans la pierre.


La balade se termine sur un immense lac, formé par un barrage retenant les eaux du Rio Grijalva. La vue dégagée offre un panorama superbe sur les alentours.

Sur le chemin du retour, je ne peux m’empêcher de penser au bonheur que j’aurai éprouvé à explorer le vertigineux canyon sur un kayak, en toute liberté. Mais la balade en bateau, bien que moins intime, a tout de même été fort plaisante !



Le reste de l’excursion se révèle beaucoup plus chaotique…Aucun des passagers du van n’a une idée claire sur la suite des évènements, et les frenchies, affamés en ce lendemain de cuite, pestent bruyamment lorsqu’ils comprennent que la pause déjeuner ne fait pas partie du programme…Le chauffeur nous conduit finalement, après un trajet assez long, à deux miradors qui surplombent le canyon. La vue d’ici sur les eaux où nous naviguions un instant auparavant est époustouflante ! En face, de l’autre côté du canyon, je devine une minuscule cabane blanche à l’ombre d’un grand pin, et fantasme des vacances rustiques dans ce nid d’aigle à la vue grandiose.


Un coup de klaxon me sort de mes rêveries, il nous faut partir vers notre prochaine étape, dont nous ignorons évidement tout. Les sympathiques mexicains qui partagent notre van apaisent généreusement la colère des jeunes fêtards en leur offrant cookies et chocolat. Le bus nous dépose à Chiapa de Corso, une ville coloniale sur la route de San Cristobal, sans autre consigne que celle d’être de retour au bus dans 45 minutes. Les français courent trouver un endroit où se restaurer. David également. Je préfère me balader dans la cité, appareil photo en main, et parviens, même en si peu de temps, à capter les ondes vibrantes de tradition de la ville.





Une heure et quarante cinq minutes plus tard, ce tour pour le moins hasardeux, et quelques peu éprouvant (beaucoup de soleil, beaucoup de voiture, beaucoup d’attente, beaucoup de tension), prend fin au Zocalo. Impatients de se mettre au vert, David et moi nous hâtons vers l’hostel. J’y prends la sage décision de passer une journée supplémentaire à San Cristobal, afin de profiter de la ville, dont j’apprécie de plus en plus l’atmosphère authentique et accueillante, et de récupérer pleinement de mes nuits blanches autoroutières.

Revigoré par ce choix, et par une douche chaude, je retrouve David et nous dégotons un petit restaurant mexicain non loin du Zocalo. L’attente, comme souvent, est longue, l’occasion pour David de raconter ses périples à vélo entre Moscou et Athènes, puis sur les routes de Chine. Quelles aventures ! Notre patience est récompensée par des plats délicieux servis avec le sourire. Repus, nous nous baladons un moment dans les rues très animées de la ville. En ce soir de Saint Valentin, des couples de tous âges déambulent joyeusement, en se tenant par la main. Je m’offre un délicieux Paris-Brest chez Oh-la-la, boulangerie française et véritable institution à San Cristobal.

Cette parenthèse gustative me rappelle combien me manquent (sans originalité) le pain, les viennoiseries, le vin, et le fromage du pays. Mais ces privations sont bien maigres à côté de la richesse de mes découvertes depuis quatre mois ! Ainsi cette brève nostalgie des papilles est déjà oubliée lorsque nous rejoignons l’auberge, et je me couche heureux de la perspective d’une journée tranquille dans les rues de San Cristobal le lendemain.
Lundi matin, San Cristobal. Je ne suis pas si mal, dans ma chambrette exigüe. D’autant que la nuit a été calme, puisque les fêtards ont fort gentiment attendu mon lever pour rentrer à l’auberge. Je prends mon temps, petit-déjeune en compagnie de David et d’un sympathique couple de Mexico City, avant de me mettre en route vers 9h30. Je prends la direction du nord, vers un jardin botanique, point de départ d’un court sentier jusqu’à de jolies grottes. Je traverse ainsi les quartiers populaires de San Cristobal, retrouvant les mêmes routes poussiéreuses et les mêmes maisons inachevées qu’à Oaxaca.


Les grilles du jardin sont fermées, et un souriant jardinier, l’air désolé, m’indique que le site fait relâche les lundis. Je m’assoie sur les marches du perron afin d’établir un nouveau plan. J’achète une poignée de cacahuètes à un malicieux petit gavroche, qui m’arnaque habilement de quelques pesos. Je décide de marcher au hasard dans la cité, vers le musée du chocolat. Il est probablement fermé lui aussi, mais qu’importe, je suis simplement heureux de déambuler dans ces belles rues colorées, sous un ciel magnifique.

Loin du centre touristique, mes pas me portent vers le quartier commerçant, qui recèle en son cœur un grand marché fait de bric et de broc. Je m’aventure sous ces toits de tôle et de toile bringuebalant à des hauteurs diverses, au milieu d’une foule de locaux faisant leurs emplettes avec application. Je suis saisi par les nombreuses effluves qui me parviennent simultanément aux narines: odeur douceâtre des papayes, senteur poivrée des sacs d’épices, jusqu’au parfum rance et tenace de la viande chauffée par le soleil. Ce mélange détonant me soulève le cœur, mais je continue mon exploration. Ici, des poulets morts sont alignés, la tête renversée vers le sol. Là, une gran-mère édentée vend de la javel, des bananes, et des crevettes. Plus loin, un minuscule stand de machine à sous se fait une place entre un vendeur d’huile moteur et un marchand de chaussures. Je ressors du marché émerveillé, comme on se réveille d’un rêve dont la bizarrerie et l’excentricité nous ont enchanté.


Je poursuis ma route, sans trouver le musée du chocolat, et sans m’en soucier. J’arrive par hasard, au pied de la colline aux pins, sur un joli square dominé par un belle église blanche et ocre. Il fait bon, sur la place du couvent de la Merced, et j’en fait instantanément l’un de mes lieux préférés de San Cristobal. Peut-être son emplacement idéal, entre la colline plus haut et le centre ville plus bas, peut-être son élégant parc, aux massifs symétriques, peut-être simplement le sourire des quelques locaux qui prennent le frais sur ces bancs. Tout ne s’explique pas, mais je me sens drôlement bien ici. Je m’installe à une minuscule terrasse, commande un café negro, et passe un long moment à lire, en me nourrissant des ondes particulières de l’endroit.



Quelques chapitres plus tard, je me remets en route, contourne la colline et grimpe à son sommet à travers une petite forêt de pins. Nouvelle pause, cette fois-ci pour écrire, puis je redescends vers le zocalo. Je ne peux m’empêcher de repasser par la boulangerie française, pour acheter une douceur pour le dessert…Je retourne ensuite au folklorique marché pour faire le plein de fruits et légumes frais. C’est un bonheur que de faire ses courses sous le regard amusé des commerçants, dont les plus jeunes se moquent gentiment de mon espagnol balbutiant…

De retour à l’auberge, je me renseigne sur mon itinéraire du lendemain, et profite des derniers rayons du soleil pour finaliser et poster le précèdent chapitre. Je me régale d’une salade mêlant harmonieusement les délicieux produits trouvés au marché, ainsi que de la touche finale de chez Oh la la…La nuit est belle, je m’allonge dans un hamac, et contemple les étoiles, et le feu d’artifice improvisé par le voisinage. Comment ne pas ressentir une profonde joie dans de pareils moments!

David me sort la tête des étoiles, il est l’heure de rejoindre quelques-uns de ses amis dans un bar à vin non loin du Zocalo. Nous y retrouvons Ezra et Dan, deux israéliens, et Léa et Marius, un couple de Français. Le vin n’est pas formidable, mais la compagnie est bonne. La conversation vogue aléatoirement du Tennis (l’open d’Australie bat son plein, paraît-il) aux échecs (Dan et David se passionnent pour le jeu depuis peu), en passant par les fascinantes facettes de l’Inde. Il est déjà tard lorsque je rejoins l’hostel après cette fort agréable soirée. Demain, je quitte la colorée et attachante San Cristobal pour une immersion en pleine nature aux bords des lacs de Montebello!
Je vous embrasse !
Julien