Mexique – Étape 11: Mérida

Samedi matin, Merida. L’auberge est bien calme, à 6h30. Les occupants, qui ne se sont probablement pas couché à 21h, dorment encore. Dans l’agréable fraîcheur matinale, je me prépare un petit déjeuner, en discutant avec…Franco, le tchèque de Palenque. Pas plus de progrès chez lui en anglais que chez moi en tchèque, la conversation ne tourne donc pas autour de nos ressentis mutuels sur le culte du soleil dans la civilisation Maya. Avec son corps maigre et blanc dans son ensemble Marcel/slip/chaussettes/claquettes, le grisonnant quinquagénaire ressemble à un ex-touriste néerlandais devenu coureur de marathon. Ces pensées sportives me ramène à mes obligations quotidiennes et je feuillette l’Equipe en dégustant mes œufs au plat.

Les plots ont joliment respecté la distanciation sociale

Il est encore tôt lorsque je quitte le Nomadas pour aller arpenter les rues de Mérida. Je file d’abord vers le sud, pour acheter mon ticket de bus pour Uxmal, un superbe site Maya dont la visite est au programme du lendemain. Je marche ensuite, au hasard, en remontant vers le nord. Je passe par le Zocalo, découvre une jolie petite place sur le flanc d’une magnifique église, y apposant une épingle mentale.

Zocalo
La chouette placette

Je découvre un peu plus haut une drôle d’avenue, joliment boisée, et bordée de luxueux hôtels particuliers, dont certains clairement d’inspiration française…

Avenue Matignon

Arrivée à la périphérie du centre ville, je fais demi-tour et regagne le cœur de la cité. Revenu sur la petite place, je suis interpellé par la sono du café qui trône en son milieu. « Aline », de Christophe, sort des baffles de piètre qualité de l’établissement. Je me mets alors à chantonner, sous l’œil amusé des serveuses. C’est un signe, j’interromps donc ma marche et m’installe sur un banc inconfortable, entre l’église et le café. Le moment est tout trouvé pour poursuivre mes leçons d’espagnol.

Sous le vent

Après trois chapitres, je me remets en mouvement. Le flux de passants s’est densifié. En ce samedi après-midi, les autochtones font leurs emplettes, en famille. La marée humaine me mène vers l’immense Mercado Lucas de Gálvez. Là, le marché au poisson côtoie les fleuristes, les vendeurs de chaussures, de coques de téléphone portables, et les inimitables « stands pot-pourri » qui étalent leurs marchandises sans liens logiques. Je me perds dans ce labyrinthe, avant de finalement trouver la section des fruits et légumes. Loin des effluves de poissons, l’endroit sent bon le miel, les épices, l’oignon frais et la mangue juteuse. Les commerçants sont bavards, et comme je m’arrête à quatre stands différents pour trouver des « chile grande » (poivrons), je passe un long et délicieux moment dans les travées de ce souk à la mexicaine. J’aime ces immersions dans la vie des autochtones. Et je me laisse à croire, présomptueusement, qu’ils apprécient ma visite, tant leur accueil est chaleureux.

Rungis

Autre dépaysement, la plaza de la technologia est un marché du made in china, haut lieu du consumérisme exacerbé de mauvais produits, qui contraste avec le mercado adjacent, bastion d’une économie durable et locale. J’y achète tout de même un étui pour mon iPad pour une bouchée de pain, le mien ayant rendu l’âme après des années de bons et loyaux services.

La police en Twizzy 😳

Dernière étape de mon après-midi « shopping », le grand magasin «DelSol », hybride des Galeries Lafayette et de La Foire Fouille, où je trouve un Tupperware pour mes salades, afin d’éviter la vaisselle rouillée des auberges.

Les musées sont tous fermés. Il y en a qui tournent le dos à la culture.

Après cette journée dans la peau d’un Meridiano, l’ombre du patio du Nomadas est une bénédiction. Je m’installe au bord de la piscine, et travaille à la publication de mes aventures dans la jungle de Palenque. D’autres habitants font tour à tour leur apparition, et j’abandonne bientôt mes travaux pratiques pour me joindre à la discussion. Parmi les convives, avec qui je vais partager une très chouette soirée, Cris, Carl, et Thomas. Cris est un marin australien haut en couleurs venu apprendre l’espagnol en attendant de pouvoir rentrer au pays. Carl a laissé son travail à Seattle pour voyager quelques temps ici avant de rebondir. Et enfin Thomas, sorte de « Life coach » allemand, est en « voyage d’affaire », puisque sa cliente, descendue dans un hôtel plus luxueux de la ville, a décidé d’exporter ses sessions de coaching à l’autre bout du globe. En outre, il s’avère que nous avons affaire à une célébrité: à ses heures perdues, Thomas est un champion de « building run », des courses très sérieuses organisées dans les plus grands grattes-ciel de la planètes, à vive allure dans les cages d’escalier. Une discipline insolite, et probablement éreintante…

L’équipe planche sur un SWOT

La discussion prend une tournure spirituelle, l’athlète d’intérieur nous racontant ses retraites méditatives pour acquérir la technique « vapassana ». La conversation, pleine d’ouverture et de curiosité, est passionnante. Elle nous porte jusqu’à une heure avancée. Je m’endors à peine ma tête posée sur l’oreiller, prenant tout de même soin de mettre un réveil pour ne pas manquer mon bus du lendemain pour les ruines d’Uxmal.

Dimanche matin, Nomadas Hostel. Pietra, une charmante collègue de Franco, est de corvée matinale pour préparer le petit déjeuner à sa troupe. Son anglais est meilleur que celui de son ami moustachu, elle me félicite de ma jolie omelette coriandre-curry et nous bavardons un moment. La conversation s’arrête net lorsque son mari, un colosse tatoué, fait irruption dans la cuisine, me regardant d’un œil mauvais, probablement inquiet du respect de la distanciation sociale. Je m’en retourne à mon omelette, avec un sourire amusé.

Quelques instants plus tard, me voilà assis dans le bus pour Uxmal, qui me dépose une heure plus tard à l’entrée du site. Uxmal diffère fortement des autres cités mayas visitées, par son étonnante « disneylandisation »: là où les abords de Yaxchilan, Edzna, ou même Palenque sont plutôt bruts, ceux d’Uxmal sont jonchés de restaurants et boutiques de souvenirs. Les touristes sont d’ailleurs au rendez-vous, probablement peu nombreux par rapport à une situation « normale », mais j’ai pris la mauvaise habitude de considérer la solitude pour acquis. Et, surtout, entre les cris des enfants, et les adultes qui tapent de façon répétitives dans leurs mains pour tester l’écho des lieux, les visiteurs sont bruyants. Un peu bougon de ne pouvoir jouir du calme nécessaire pour apprécier la beauté mystique des ruines, je traverse les premières esplanades au pas de course afin de m’éloigner de mes congénères.

Fort contre la mer
Pagode Maya

A l’approche du Jeu de Balle (les mayas étaient décidément précurseurs, ayant inventé un hybride de football et rugby sans les mains), mon humeur change au chant et à la vue d’un superbe oriole d’altamira.

Quelqu’un a compris les règles ?
Bergkamp
Le livre de la jungle

Je prends ensuite de la hauteur jusqu’au Palais du Gouverneur et sa plaza, au cœur duquel on peut admirer un superbe trône en forme de Jaguar bicéphale.

Les réceptions de l’ambassadeur sont réputées pour le bon goût du maître de maison (ensustiâa)
C’est beau, mais ça n’a pas l’air très confortable

De là, la vue sur le grand acropole est extraordinaire. L’abrupte pyramide s’élève au-dessus des arbres, le temple à son sommet tutoyant les nuages.

Uxmal
Perspectives. Ça me rappelle les cours d’art plastique.
Les Pharaons peuvent aller se rhabiller

Les architectures Puuc et Chène du site sont remarquables par la richesse des motifs et statues décorant les façades.

Top Gun
Vraiment réalistes ces décorations d’angle !
Encore un tour de magie qui a mal tourné…

Rattrapé par la meute, je mets fin prématurément à ma traditionnelle séance contemplative, et regagne la sortie. J’en ai tout de même pris plein les yeux !

L’Uxmal Maya

Comme prévu, le retour à la ville est une aventure. Curieusement, le bus qui m’a déposé deux heures plus tôt doit disparaître dans les limbes, puisqu’aucun bus n’est prévu pour la direction opposée. Sereinement, je quitte le site et marche jusqu’à la route. Là, une jeune femme gironde en robe traditionnelle tient une petite échoppe, et répond fort aimablement à mes questions. Elle m’annonce que le meilleur moyen pour atteindre Mérida est de prendre un taxi pour Muna, à une dizaine de kilomètres, d’où un collectivo me mènera à ma destination finale. Elle appelle fort gentiment un chauffeur, et nous bavardons en l’attendant. Je suis ravi de cette opportunité de pratiquer mon espagnol. Adriana a 35 ans, et trois enfants dont l’aîné a 18 ans. Elle me raconte le destin tracé des femmes dans cette région du monde, destinées à se marier très tôt à un mari qu’elle n’ont pas nécessairement choisi. Elle me relate aussi les inévitables changements intervenus dans la société rurale ces dernières décennies, évoquant par exemple ses douze frères et sœurs, ou ses quinze beaux-frères et sœurs…Au fil des quarante-cinq minutes de notre discussion, elle s’enquiert aussi de la situation en France, et du sort des femmes à Paris. Enfin, elle m’invite à considérer une installation définitive au Mexique, puisqu’elle a pour moi une liste d’épouses potentielles, « aussi belles dehors que dedans ». Avant de grimper dans le taxi, je lui promets d’y réfléchir et la remercie pour sa gentillesse et ce bel instant de partage !

Allez le SCO

La suite du plan se déroule sans accroc : le chauffeur me dépose quinze minutes plus tard à Muna, d’où un collectivo me prend presqu’immédiatement jusqu’au centre de Mérida. Sur le chemin de l’auberge, je fais halte sur ma petite place, et après la session pratique, je me lance dans quelques leçons théoriques d’espagnol.

Ces arbres ont quelque chose d’inquiétant…

De retour au Nomadas, je m’installe au bord de la piscine, travaille sur le blog, puis prépare mon itinéraire du lendemain. Préparation que je complète par une aller/retour au Terminal Nordeste, d’où partent les bus pour Chichen Itza, ma prochaine destination.

Ruines contemporaines

L’hostel est bien calme ce soir. Il faut dire que nous avons perdu les volubiles Thomas et Cris, partis sous d’autres cieux. Restent Willem, qui après avoir dormi toute la journée nous quitte bien vite afin de se dégourdir les jambes, et Carl, avec qui je partage un repas frugal. Le conversation est riche et variée : environnement, Dick Cheney, San Cristobal, Colombie, bureaucratie des grandes entreprises, French bread et entreprenariat sont au menu de notre discussion animée. Willem nous rejoint sur la fin, puis la fatigue me gagne et je sombre après quelques pages de « l’origine des espèces », un ouvrage passionnant mais également très efficace à l’heure du coucher…

Lundi matin, Mérida. Je traverse le zocalo au petit jour, contourne le marché Lucas de Galvez encore endormi, pour arriver dans la petite cour d’où partent les collectivos vers le village d’Homún et ses cenotes. Les cenotes sont de curieuses formations géologiques, sorte de gouffres remplis d’eaux, et partiellement découverts, comme autant de fenêtres sur le monde du dessous. La région en compte des centaines, reliées entre elle par un long fleuve souterrain qui traverse la péninsule du Yucatan de part en part. Grottes millénaires et eau cristalline, ces merveilleux théâtres naturels offrent certainement un superbe spectacle ! Je m’installe, impatient d’aller à leur rencontre, dans un van qui ne partira qu’une heure et demi plus tard, une fois plein. Mais l’attente est douce, un vieux troubadour aux yeux brillants poussant la chansonnette à intervalle régulier, s’interrompant fréquemment d’un rire communicatif. Je fais aussi la connaissance d’Adrian, cravate noire sur chemisette blanche impeccable, accompagné de trois compères également endimanchés. Adrian et sa bande sont représentants de commerce, et leur mission du jour sera de vanter les mérites de boules lumineuses marchant à l’énergie solaire (les mêmes qu’au Pouliguen). Le jeune commercial me raconte, dans un anglais parfait (il a vécu quinze années à Tempa), et avec le sourire, les difficultés liées à la pandémie. « Avant, le problème majeur, c’est que les gens nous prenaient pour des témoins de Jehovah… » se marre-t-il. Dans une région où le syncrétisme religieux catholico-maya est si intense, les prosélytes n’ont pas bonne presse…

Le bus démarre, et je laisse Adrian briefer son équipe, pour écrire en regardant le paysage. À ma descente du van, à Homún, je suis accueilli chaleureusement par Irvin et son moto-taxi. Le jeune homme, yeux pétillants de malice et moustache juvénile, me propose un « cenotes-safari » à bord de son bolide anachronique. Je fais la connaissance de Fernanda, 8 ans, capitaine en second du Tuk-Tuk et accessoirement fille d’Irvin. Très professionnelle, elle a le même regard rieur que son père et éclate régulièrement d’un grand rire franc et frais. À prendre le vent, mal-assis à l’avant de cette drôle de machine, et en si bonne compagnie, je ressens un bonheur simple et intense.

Super Mario devant un sacré dégât des eaux

Le premier cenote est aux abords directs de la ville. Guidé par Irvin, je descends le long d’un étroit et sombre escalier de pierre s’enfonçant dans la terre. Et j’arrive tout droit dans la bat-cave du manoir de Bruce Wayne. La grotte, circulaire, est éclairée par un trou en son milieu d’où l’on voit passer les nuages sur fond bleu. Une eau pure et transparente encercle un petit îlot central positionné à l’aplomb du trou. La configuration « en donut » confère à l’endroit un charme tout particulier. Je me jette à l’eau, douce et rafraîchissante. Flottant sur le dos, je regarde les gouttes tomber des stalactites blanc cassé de la voûte. Quelques chauves souris vont et viennent entre les cavités de la roche et l’opercule ouvert sur le monde du dehors. Personne pour troubler la quiétude de l’endroit, Fernanda et Irvin, seuls autres âmes présentes m’attendant patiemment dans un silence religieux.

Gotham city
Cenote décapotable

Nous reprenons la route pour nous rendre un peu plus loin à un second cenote, perdu au bout d’un chemin de terre. Pablo nous accueille en langue Maya, avant de m’inviter, en espagnol, à laisser toutes mes affaires et à le suivre. Il me tend ensuite un masque, et s’engage dans un noir escalier qui semble s’enfoncer dans les entrailles de la terre. Après quelques marches, l’eau nous arrive à mi-cuisse. Je comprends alors l’utilité du masque. Pablo prend sa respiration, et disparaît sous l’eau, avec sa lampe torche amphibie. Je le suis, et débouche quelques mètres plus loin dans une somptueuse grotte, éclairée de quelques spots. La caverne est étroite, exiguë, mais la voûte s’élève en pointe à dix mètres au-dessus de nous, et sous nos pieds le bassin forme un puit dont le fond se trouve dix mètres plus bas. Au bout de la grotte, une cavité permet de se tenir debout, immergé jusqu’aux épaules. Là, un petit poisson-chat aux longues moustaches s’approche, curieux, gobant au passage quelques minuscules crevettes. C’est « coqueto », surnommé ainsi par Pablo car il aime être en lumière, accourant au moindre faisceau de la lampe torche.

Coqueto (ppdm)

La lumière d’ailleurs ne tarde pas à s’éteindre, et nous restons plusieurs minutes dans l’obscurité la plus totale. Jamais je n’avais vu de noir plus complet, et l’expérience est d’une rare intensité. Pendant ces courts instants, mes autres sens prennent le relai, décuplant leur potentiel. Je peux ainsi entendre le silence. C’est formidablement relaxant. Dans le ventre de la terre, cette communion avec la nature est magique, presque mystique.

Monochrome de Whiteman

La lumière revient, et nous nous extrayons de ce merveilleux temple par le petit tunnel sous-marin. “C’est comme une renaissance” résume Pablo.

Les cenotes suivants, s’ils ne possèdent pas la même puissance enchanteuse, sont néanmoins superbes. Dans ces bassins à demi-ouverts, je me régale de la décoration sauvage de ces mystérieuses cavernes, quand je ne m’amuse pas à aller toucher le fond ou plonger des escaliers.

Fakir !
Voyage au centre de la Terre

Fernanda et Irvin me raccompagnent ensuite à Homún, je salue chaleureusement mes formidable guides et m’assoit, à l’ombre, pour attendre le collectivo qui me ramènera à Mérida. De retour en ville, je fais un rapide aller-retour à l’auberge pour récupérer mon paquetage, puis grimpe dans un nouveau bus pour rejoindre Pisté, aux portes du fabuleux site Maya de Chichen Itza. Ce dernier est l’un des plus visités du pays, le plan est donc de dormir sur place pour être le premier à l’explorer, demain matin. Il est déjà près de 21h lorsque j’arrive à l’hôtel. Je trouve un restaurant non loin, dîne rapidement, et profite d’un lit confortable pour me remettre de mes émotions souterraines du jour.

Je vous embrasse !

Julien

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