Samedi matin, Rio Lagartos. Aujourd’hui est un grand jour. Si toutes les planètes s’alignent, je dois retrouver des personnes qui me sont très chères ce soir à l’Isla Cozumel. Mon frère Nicolas et sa femme Dounia débarquent au Mexique pour la première mi-temps de leur lune de miel ! Un long chemin m’attend pour les rejoindre, mais qui n’est rien comparé au périple que le jeune couple est en train d’entreprendre…Des milliers de kilomètres, deux avions, des contrôles en pagaille, des barrières sanitaires, un bus mexicain, un ferry…De multiples étapes qui montrent leur extrême motivation de découvrir le Quintana Roo (et de voir le grand frère bien sûr…).

Dans l’attente de les voir, impatient, je monte dans un premier collectivo et quitte le sympathique village de Rio Lagartos. À Tizimin, c’est un taxi, que je partage avec deux autochtones, qui m’emmène à Valladolid. Je salue la cathédrale et dépasse le Zocalo pour atteindre la gare routière. Là, je prends un bus pour Playa del Carmen, d’où partent les ferrys pour l’île de Cozumel. Pendant tout ce temps, Nicolas et Dounia franchissent les obstacles, les uns après les autres, avec calme et détermination, et se rapprochent ainsi du Mexique. Lorsque j’arrive à Playa, ils sont sur le point d’atterrir à Cancun.
C’est alors qu’un dantesque orage se déclare, déversant ses pluies torrentielles sur les touristes, et créant un tsunami humain autour de la gare routière. Armé d’autant de courage que de bêtise, je m’aventure au dehors et parcours les 500 mètres qui me séparent de l’embarcadère. Trempé jusqu’aux os, j’achète un billet à une guichetière insupportable, et me poste dans la salle d’embarquement, pour une attente humide de presque deux heures. Dehors, le ciel se déchire, dans un spectacle bleu et gris grandiose.

Dedans, c’est la cacophonie la plus complète : cris d’enfants, reggeaton à fond les ballons, et conversations de sourds s’ajoutent au bruit de la pluie qui tambourine sur le toit. Les courants d’air, en prime, ont presque raison de ma patience. Je fais peine à voir, assis près de mon linge qui sèche, grelotant, bouchons d’oreilles enfoncés pour échapper aux décibels. Mais un débonnaire mexicain, mélomane et compétiteur, fait alors sortir de sa pathétique sono l’album mythique de Nirvana : « unplugged in New York ». Je revis au son de « Come as you are » et « smells like teen spirit ». Arrive enfin le moment d’embarquer, dans une confusion arrosée de pluie, dans le rutilant speed boat de la « Ultramar », qui résume en un mot l’état d’esprit du moment.

À une centaine de kilomètres d’ici, Nicolas et Dounia ont atterrit, et sont en train de passer la douane. Une fois au calme dans le bateau, je m’inquiète des navettes suivantes, pour m’assurer que le frangin et sa compagne arriveront à bon port ce soir. Mais l’insupportable employé de la « ultramar » m’annonce de façon péremptoire que le dernier ferry est à 19h…Ce qu’une non moins insupportable collègue me confirmera à quai. La pluie s’est calmée lorsque j’atteins l’Hotel Edem, qui aurait pu s’appeler Éden sans faute de frappe et avec un plus joli jardin. Je me précipite sur mon téléphone pour trouver des informations et des solutions dans le cas où mes attendus comparses ne pourraient pas me rejoindre ce soir. Ils ont d’ailleurs passé haut la main les épreuves pour entrer au pays et sont dans le bus pour Playa del Carmen. J’appelle Nicolas lui faisant part de mon inquiétude, mais il me répond, somnolent mais confiant, qu’il est optimiste de trouver un ferry, même passé 19h. Ferry qu’il trouve sans encombre à 20h, contredisant fort heureusement les renseignements erronés des cona—es de la « Ultramar ».
À 20h40, posté à l’embarcadère, avec sa démarche si particulière, je vois arriver Nicolas, suivi de près par Dounia. Mon cœur se gonfle de bonheur et je ne résiste pas à les serrer tous les deux dans mes bras ! Légèrement cernés mais un sourire radieux jusqu’aux oreilles, je les sens soulagés d’être arrivés jusqu’ici, mais surtout profondément heureux. Nous déposons leurs bagages dans leur charmant Airbnb, à deux pas de l’Edem, puis, affamés, nous filons au Colores y sabores pour nous restaurer. Le personnel est au petit soin, et nous sers une cuisine mexicaine roborative et goûteuse. C’est tellement improbable de se retrouver ici, et dans ses conditions ! Nous passons un très bon moment, comme si nous nous étions quitté la veille, mais avec plein de choses à nous raconter. Puis le sommeil se fait sentir, également chez la patronne qui attend patiemment notre départ pour fermer le restaurant. Nous regagnons nos foyers respectifs, non sans s’être mis d’accord sur le programme du lendemain : une merveilleuse journée avec mon merveilleux frangin et sa merveilleuse femme, dans un cadre merveilleux !

Dimanche matin, San Miguel de Cozumel. Je retrouve Nicolas et Dounia, reposés et radieux, dans un restaurant de la place centrale pour le petit déjeuner. La purée de haricot détonne dans les assiettes, mais le couple se plie aux habitudes locales, avec plaisir. Il fait beau, la pluie et les nuages de la veille ont disparu.

Au programme du jour : le tour de l’île, en scooter. Nous enfourchons nos rutilantes bécanes, et filons, à vive allure (et dans le respect des limitations de vitesse) vers la pointe sud de l’île. La route est déserte, et chemine entre deux rangées d’arbres. Une verte forêt, courte, couvre l’intérieur des terres, quand la mer, que l’on devine à travers les lacunes de la haie, borde notre flanc droit. Une heure de conduite agréable nous mène à la pointe, où une mer bleu azur se détachent de rochers plats. Nicolas et Dounia découvrent leur premier iguane mexicain, une petite femelle cachée dans la souche d’un arbre mort.



Nous remontons en selle, et faisons halte dans une grande baie, où quelques mexicains déballent glacières et parasols. Le sable blanc et les rochers sous-marins forment à la surface un étonnant patchwork de tons bleu turquoise. Masques et tubas sur la tête, nous scrutons les fonds peu profonds de la baie, mais ne trouvons que quelques petits poissons. Néanmoins, dans ces eaux calmes, la baignade est très agréable et nous restons un long moment à discuter tous les trois, ballotés par un léger clapot. De retour sur la plage, une courte sieste s’impose, surtout pour les amoureux en plein décalage horaire.

Nous repartons ensuite vers le nord, et nous arrêtons à la Playa San Martín. Ouverte aux vents, les vagues balayent un sable fin, et l’air marin fait son travail pour nous offrir une splendide variété de couleurs.

Après un déjeuner rapide, et un saut dans les vagues, nous profitons du calme de la plage pour la deuxième mi-temps de la siesta. Dans ce doux paradis, chauffés par la soleil, le temps s’écoule délicieusement au son des vagues.

Nous sommes bientôt gagnés par cette langueur si agréable d’une journée à la plage. Mais il nous faut tout de même regagner la civilisation (toute relative) de San Miguel pour restituer nos machines, et se rincer du sable et du sel de Cozumel.

Fringuants après une bonne douche, nous nous retrouvons en ville pour aller dîner, dans un superbe restaurant. La soirée est sponsorisée fort généreusement par nos merveilleux parents, et nous avons la ferme intention de profiter pleinement de ce superbe cadeau ! Buns de homard, croquettes de poisson-lion, filets de thon, raviolis noirs, vin de Basse Californie, et mescal sont à notre menu, pour un véritable festin. Assis dans un superbe jardin, à l’ombre d’un grand arbre dont les fruits s’invitent parfois dans nos assiettes, avec en prime un personnel aux petits soins, nous passons une merveilleuse soirée. Enivrés d’avantage par le bonheur d’être ensemble que par l’excellent vin mexicain, nous cheminons dans les rues de la ville vers un repos bien mérité, après une fantastique journée !

Lundi matin, Isla Cozumel. Il est 7h40, et Nicolas est à l’heure (si si). Aujourd’hui est un autre grand jour, celui du baptême de plongée de mon petit frère ! Je suis si heureux de pouvoir lui faire découvrir ces sensations si uniques, qui m’ont tant fascinées lors de mon séjour aux Galápagos ! Pascal, notre instructeur français, nous attend à l’école. Une fois les démarches administratives réglées, Nicolas suit attentivement le cours dispensé par le sosie francophone de Bear Grylls. Nous sommes rejoins par Michael, un sympathique suisse-allemand, qui plongera avec nous. Lorsque Michael nous demande ce que nous faisons là (voyage ? vacances ?), Nicolas répond : « I’m on my honeymoon, with my brother ». Je vous laisse imaginer la perplexité dans le regard de Michael…Ce qui nous vaut un franche rigolade lorsque nous expliquons la situation à notre collègue plongeur.

Nicolas est détendu, serein, prêt. Nous roulons jusqu’à un petit port, et c’est parti pour la barrière de corail de Palencar, l’un des spots de plongée les plus réputés au monde. Nous faisons une courte halte dans un « resort » du bord de mer pour accueillir trois quinquagénaires américains, tous plongeurs aguerris, qui partagerons notre bateau mais descendrons à d’autres altitudes. Dernière étape avant la véritable plongée pour les novices : quelques exercices pratiques à faible profondeur. Nicolas s’en tire comme un chef et remonte sur le bateau, confiant pour la suite.

Quelques minutes plus tard, bouteille sur le dos et palmes aux pieds, nous nous jetons en arrière dans une eau chaude et incroyablement claire. L’aventure commence. Nicolas descend, décompressant consciencieusement pour éviter toute gêne aux oreilles, et découvre en même temps que moi le formidable récif corallien de Palencar. Nous nous aventurons dans ces véritables canyons sous-marins, pourpres, au relief étonnant. Ici et là, de surprenant vases striées à la manière de penne rigate accueillent en leur cœur des anémones violettes à l’air menaçant. Le récif est aussi coloré de « bras » jaune-orangé qui semblent sortir des entrailles du corail. Dans ce paysage inédit, poissons trompettes, poissons anges, et même quelques énormes mérous se nourrissent. Quelques coups d’œil à Nicolas m’indiquent qu’il ne manque rien du spectacle. À l’aise dans l’eau, il peut se concentrer sur l’observation de ce merveilleux ballet aquatique. Après près de 45 minutes d’exploration, nos réserves d’air s’amenuisent et il nous faut regagner la surface. Mais nous aurons droit à une seconde plongée dans un petit moment ! Le bateau nous laisse sur la plage, afin de préparer la seconde manche, et nous en profitons pour grignoter un peu et échanger nos impressions. Nicolas semble être, lui aussi, tombé sous le charme de ces immersions dans le monde du silence. Pour mon plus grand bonheur. Et nous avons hâte de remettre ça !

La seconde plongée est tout aussi magique: quelques raies épineuses sur les fonds sablonneux, des poissons perroquets de toutes les couleurs, de gros spécimens de poissons globes, et même ces invraisemblables poissons-balistes avec leurs nageoires « inversées »…

Nous avons même le privilège d’être témoins d’une scène rare. Un poisson ange gît, inanimé, sur le sable. Un gigantesque baracouda, qui ressemble à s’y méprendre au brochet de Merlin l’Enchanteur, se rapproche avec un air mauvais et…clac ! D’un coup sec, de sa mâchoire puissante pleine de petites dents acérées il sectionne le pauvre « angel fish » en deux et s’éloigne, laissant une foule de poissons plus modestes dépecer la moitié restante.

Fascinés, nous reprenons notre plongée dérivante, bercé par un courant fort mais doux. Nicolas est d’ailleurs étonné de la vitesse à laquelle le courant nous porte, et des efforts à consentir lorsqu’il faut le remonter, pour voir l’énorme langouste que nous montre Pascal.
Inévitablement, il nous faut remonter. Mais l’expérience a été magique, et concluante car je suis prêt à parier que ce ne sera pas la dernière plongée pour Nicolas…

Après ces émotions, nous retrouvons Dounia, qui a passé la matinée à la Playa San Martín, à profiter du paysage magnifique et de la quiétude de l’endroit. Nous embarquons à 16h dans le ferry, et Nicolas s’endort profondément au son du très qualitatif « live band » qui délivre notamment un magnifique morceau de Santana.

C’est la panique à Playa del Carmen, et une file sans fin serpente devant la gare routière. La rumeur veut qu’il n’y ait pas de bus vers Holbox, notre prochaine destination. Mais la loi du marché fonctionne ici comme ailleurs, et une taxi-woman nous propose ses services pour nous mener à bon port. Quelques deux heures et dérapages contrôlés sur une route détrempée plus tard, nous atteignons l’embarcadère de Chiquila, d’où un ferry nous dépose à Holbox, plongée dans la nuit. Les rues du village sont si inondées qu’on se croirait à Venise, où Amsterdam, si les dimensions du lieu n’étaient pas si modestes. Nous nous frayons tout de même un chemin jusqu’à la place centrale, où les nôtres se séparent. Malgré le bonheur que j’ai eu de partager ces moments avec mon frère et sa femme, il est temps de les laisser profiter en amoureux de leur lune de miel. Mais nous nous promettons néanmoins de nous croiser par hasard dans les prochains jours !

J’arrive peu après au Tribu Hostel où je retrouve avec plaisir Valentin et Sandra, juste à temps pour la « Pizza Night ». En dégustant des pizzas médiocres mais faites avec bon cœur, nous nous racontons nos parcours respectifs depuis Valladolid. Il est déjà tard, et je suis épuisé, mais c’est leur dernière soirée sur l’île donc je décide de les accompagner dans une expédition nocturne à la recherche de la bioluminescence, qui est décidément partout. Edward, un drôle de personnage new-yorkais, tout droit sorti d’une salle de stand-up, et fraîchement arrivé au « tribu », se joint à nous. Dans l’obscurité, malgré nos GPS et les lampes de nos téléphones, nous mettons près d’une heure à trouver la lagune magique. Nous y rencontrons Jed et Sofia, un charmant couple Mexicano-américain, qui nous confirme que nous sommes au bon endroit. Dans une eau peu profonde, le plancton bleu fluorescent est bien là, et nous jouons avec pendant un joyeux moment. Sur le retour, une autre attraction bleutée prend le dessus: ce sont les yeux des innombrables araignées qui brillent sous le faisceau de nos lampes…Entre routes inondées et bordures infestées de bestioles, nous parvenons tout de même jusqu’à l’auberge.

Nous saluons Jed et Sofia, et je retrouve Tanguy, accompagné de Maxime, un ami de longue date retrouvé quelques jours plus tôt. Il est déjà très tard, et je suis épuisé, mais c’est leur dernière nuit sur l’île donc je décide de les accompagner dans une expédition nocturne à la recherche de bars encore ouverts. Valentin se joint à moi et nous suivons les deux compères. Les bars sont tous fermés, mais la fête continue à un coin de rue, quelque local ayant installé ses baffles à même le trottoir. Là, des noctambules, pour la plupart éméchés, dansent sur des rythmes caribéens. La scène est cocasse et bon enfant. Nous discutons un moment, esquissons quelques pas de danse, et, lorsque la maigre foule commence à se disperser, nous prenons également congé et retournons à l’auberge. Pas mécontent d’être dans mon lit après cette longue et belle journée, je mesure une nouvelle fois l’incroyable privilège que j’ai à vivre ces formidables moments. Et je repense avec émotions à ces jours inoubliables passés avec Nicolas et Dounia.
Je vous embrasse !
Julien