Vendredi matin, Tribu Hostel. La nuit a été calme. Pas de choix cornélien aujourd’hui, ce sera fromage et désert. Je commence mon footing sous un soleil immuable, mais suis forcé de l’interrompre à mi-parcours, tant l’eau recouvre la plage.


M’adaptant au terrain, je fais une partie du chemin du retour à la nage. Et je suis de retour à temps pour le cours de yoga. J’avoue avoir été longtemps plein de préjugés sur cette pratique en vogue, et avoir différé plus d’une fois mon baptême…Rien de mieux que d’expérimenter pour se faire une opinion plus solide. Et je suis admirablement surpris par le bien que me procure la séance ! L’atmosphère invite au relâchement et à la concentration, et les exercices sont excellents pour étirer les muscles et dénouer les tensions. Avec ma flexibilité noueuse de footballer, je pars de très loin, et je n’en ferai pas une nouvelle routine, mais je renouvèlerai certainement l’expérience !

Après le petit déjeuner, Carolina rassemble quelques habitants pour une matinée ludique sur la plage. L’occasion de découvrir Marcus, géant allemand au regard rieur, Mathias, designer et entrepreneur hollandais spécialisé dans les lampes de vélo, et Alexis, tatoué des pieds à la tête, venu tout droit de son Ibiza natale. Frisbee et tennis ballon sont au programme, et le niveau très hétérogène transforme les jeux en un joyeux cirque. Je laisse les plagistes à leurs ateliers et retourne à l’hostel pour étudier l’espagnol.
Je marche ensuite un long moment sur la plage jusqu’au paradis perdu de Punta Mosquito, mon endroit préféré de l’île. Là, j’alterne baignade, sieste, et écriture, au milieu des pélicans qui prennent le soleil sur un banc isolé. Les couleurs sont une nouvelle fois époustouflantes.




Sur le chemin du retour, je m’arrête pour admirer le coucher du soleil, immanquablement sublime. Je tombe une nouvelle fois sur Jed et Sofia, désolés de n’avoir pu me rejoindre hier soir, et nous nous promettons de nous retrouver pour de bon, ce soir.

J’ai l’impression d’être ici depuis si longtemps…Lorsque je pénètre dans la cuisine où Lisa, Mau, et Red sont déjà aux fourneaux, c’est comme si je retrouvai mes colocataires après une journée de travail. Chacun échange son programme et ses impressions de la journée, nous mettons nos productions culinaires en commun, et nous asseyons pour dîner autour de la grande table, comme une famille éphémère. Après le repas, je passe un moment à réfléchir avec Marcus et Mathias à la stratégie marketing pour écouler ses lampes révolutionnaires, puis rejoins Jed et Sofia en ville.
Attablés à une table de pic-nic attenante au terrain de sport, toujours très animé, le couple joue au Rami. Ils m’apprennent à jouer, mais la conversation prend le dessus et nous posons les cartes. Voyages, Espagne, poker, viande de lion et d’autruche, Utah, chiens, gastronomie mexicaine et yeux de cochons, la discussion est versatile, drôle, et d’une délectable fluidité. Il est déjà près d’une heure du matin lorsque je rejoins l’auberge, où quelques survivants continuent de fêter leur vendredi soir au bar. Je me couche bien vite, dans l’attente de parcourir à nouveau les plages de Holbox, demain.

Samedi matin, Isla Holbox. A 7h30, la mer recouvre déjà très largement la plage septentrionale de l’île. Pas de footing ce matin donc, je nage longtemps dans une eau calme et chaude, le long d’un rivage désert. Je suis de retour à l’auberge juste à temps pour le cours de yoga. Les poses se compliquent et je prends la mesure du manque de souplesse de mes articulations principales…”Patience and exercise is all you need” me dit Lisa. Je me sens étonnamment bien après la séance et petit déjeune en compagnie de la troupe des cuisiniers habituels. Je travaille sur le blog lorsque je réalise que je dois effectuer le check-out. En effet, l’hostel étant plein ce soir je dois changer d’adresse avant de revenir le lendemain. Je range mes affaires en discutant avec Jake et Carolina, tout deux de corvées de chambre. L’occasion d’apprendre que Jake s’est reconverti dans l’écriture de manuels scolaires pour apprendre l’anglais aux enfants asiatiques. J’aime ce genre de virages qui élargissent notre perception des possibles.
Je quitte le Tribu pour me rendre au “Mapache” hostel, de l’autre côté du village. L’endroit est peu accueillant et je suis content de n’y passer qu’en coup de vent…Je dépose mes affaires dans mon nouveau “dorm” et file en direction de la Punta mosquito, au petit trot. Je retrouve mon paradis intact. Je me baigne longuement, flottant en étoile dans ces eaux peu profondes. Après une courte et intense sieste, je raconte à l’écrit mes aventures des derniers jours jusqu’à épuisement de la batterie de mon téléphone.



Je quitte mon enclave hors du temps et trottine jusqu’au Mapache. Le temps de troquer serviette et crème solaire contre chaussures de trail et bandana, et me voilà de retour sur la plage pour le traditionnel coucher du soleil. Lorsqu’il disparaît derrière l’horizon, je poursuis cette journée sportive en rejoignant le terrain de sport au centre du village. Là, je rejoins Jake et quelques locaux pour une mémorable partie de football. Les chocs et les chutes sur le sol en béton laisse des traces sur mon corps, et je finis lessivé, mais je suis heureux d’avoir disputé un vrai match de foot ! Je salue les joueurs, leur donnant rendez-vous le lendemain soir, et rentre me doucher à l’hostel.

Sans repère dans mes nouveaux quartiers, et sans mon nécessaire de cuisine resté au Tribu, j’opte pour une pizzeria côtée du centre. Mais après trois ans à Milan, je crains que mes standards n’aient atteint un niveau tel que les déceptions sont inévitables…Cette expérience culinaire oubliable n’entame pas ma bonne humeur, et je retrouve Jed et Sofia pour un pèlerinage à la lagune magique. Ils repartent le lendemain, et souhaitent voir une dernière fois le plancton clignotant. La nuit, sans lune, est encore plus sombre que la fois précédente, et le phénomène n’en est que plus visible. À l’écart des touristes, restés à l’entrée de la lagune, nous passons un joli moment à regarder les étoiles, alors qu’à nos pieds des éclairs bleutés apparaissent et disparaissent au rythme de nos mouvements.
De retour en ville, nous suivons le son des enceintes crachant le sempiternel reggeaton pour trouver les orthocentres festifs de l’île. En chemin, Allan, mexicain au visage pâle et à la barbe talibanesque, nous interpelle du volant de son « golf kart ». Passablement éméché, et visiblement très seul, il insiste pour nous conduire à destination. Nous évaluons les risques (la vitesse maximum de ces bolides est de 5 km/h), et les bénéfices (atténuer un peu la solitude du jeune homme, contre un petit moment amusant de notre soirée), et prenons finalement place dans la voiturette. Quelques tours de Zocalo plus tard, Allan gare le kart sur la plage, où la fête bat son plein. Dans un espagnol ourlé de boisson, le jeune homme nous apprend qu’il est champion de VTT de descente, plus précisément « numero trés en el mundo ». Difficile à croire au vu du gabarit du gaillard, mais nous lui accordons le bénéfice du doute.

La petite foule de noctambules se déhanche sur des rythmes caribéens, et je croise quelques têtes connues, pensionnaires du Tribu. Entre deux mauvais tubes dansants, on peut entendre le doux clapotis de l’eau sur la plage. Au petit matin, je salue chaleureusement Jed et Sofia, l’une des très belles rencontres de mon séjour à Holbox. De retour au Mapache, je me retrouve enfermé dehors, la nonchalante volontaire ayant effectué mon check-in n’ayant pas trouvé judicieux de me donner les clés. C’est donc seulement vingt minutes plus tard, à 6h30, que je rejoins mon lit, pour une nuit qui sera assurément très courte…Mais que d’aventures extraordinaires aujourd’hui !
Dimanche matin, Mapache Hostel. 8h30. Pour quelqu’un qui n’a dormi que deux heures, je me sens étonnamment frais ! Je petit-déjeune en discutant avec Cris, la jeune hollandaise m’ayant ouvert les portes du sommeil il y a quelques heures. Puis avec Justine, qui termine tout juste ses études…à l’Edhec. Drôle de coïncidence ! Mau est là aussi, comme moi il a du trouver une terre d’accueil ponctuelle avant de retourner au Tribu. Nous discutons un bon moment, entre mes leçons d’espagnol et la mise à jour du blog.

Puis je déménage à nouveau vers le Tribu, retrouvant avec plaisir ses sympathiques occupants. Je résiste à la tentation d’une sieste qui me plongerait dans le noir jusqu’au soir, et poursuis mes studieuses activités. Vers 17h, j’ai le grand plaisir de retrouver Samy, Louise, et leur petit Adam sur la plage. Heureux hasard, Samy, un très bon ami de mon frère, avec qui ils ont d’ailleurs passé une journée à Tulum avant-hier, passe quelques jours en famille au Yucatan. Fraîchement arrivés à Holbox, l’occasion de se voir était tout à fait immanquable ! Nous passons un très bon moment à siroter une bière, immergés dans la piscine sur le toit de leur hôtel, dominant la plage et ses couleurs splendides. Nous marchons ensuite tout les quatre sur le sable, le superbe petit Adam dans les bras de sa maman. Nous nous séparons non loin de l’auberge, car mon rendez-vous désormais habituel avec les footeux approche.


Je dîne rapidement à l’hostel avant de rejoindre le terrain, accompagné de Jake. L’affluence est plus modérée qu’hier, mais nous trouvons tout de même quelques joueurs, pour une opposition honorable. Épuisé après tant d’efforts et si peu de sommeil, je ne suis pas mécontent de voir arriver les volleyeurs, qui installent poteaux et filets pour la partie dominicale, ce qui siffle la fin du match. Je me promets alors de me coucher à peine douché. Mais Jake m’apprend qu’il y a une « jam session » avec d’excellent musiciens au bar du tribu ce soir, ce qui mérite en effet un coup d’œil. Je m’y rends donc, le temps d’une paire de morceaux. Mais la musique est excellente et ce n’est qu’à minuit passé que je m’effondre sur ma couchette, heureux d’une autre magnifique journée à Holbox.

Lundi matin, Tribu Hostel. J’ouvre un œil à 8h30, après une excellente nuit. Je suis en forme pour ma dernière matinée sur l’île. Je poursuis ma phase d’éveil en efforts et en douceur grâce au cours de yoga de Lisa, qui me distille à la fin de précieux conseils pour gagner en souplesse. Au petit déjeuner, je fais la connaissance de Daisy, une Cap-verdienne habitant à Boston et tout juste arrivée à Holbox. La gigantesque calculatrice qu’elle manipule en suivant son court de physique en ligne me ramène à une époque lointaine et révolue, faite d’intégrales, de matrices, et de nombres imaginaires.

Il est temps de faire mes valises. Je plie bagage, dépose mes affaires à la réception, et file sur la plage pour une ultime promenade sur le sable exceptionnel d’Holbox. Ces paysages aux couleurs invraisemblables me manqueront. L’atmosphère unique de ces lieux, faite de beauté, de magie, de spontanéité, de vie, aussi. Et que dire des habitants de l’île ! Un siècle s’est écoulé entre les retrouvailles avec Sandra, Valentin et Tanguy, et les au-revoir avec Samy que je salue devant son hôtel au bout de ma balade. Entre temps, que de belles rencontres ! À commencer par les impromptus hasards qui m’ont fait voir Nicolas tous les jours de sa présence sur l’île…


Je récupère mon paquetage à l’auberge, salue chaleureusement Mau, et Jake, les mandatant pour transmettre mes amitiés aux pensionnaires en vadrouille. Sur le chemin qui me mène à l’embarcadère, les lieux traversés évoquent une foule de jolis souvenirs, et je mesure l’intensité de ma semaine passée ici. Dans le bateau, je regarde l’île s’éloigner, avec nostalgie mais sans regrets, heureux que je suis de retrouver mes compères Julie et Aurelien à l’autre bout du pays. « Something needs to end for something else to begin » a dit ce matin Alexis, le tatoué philosophe d’Ibiza. « Amen brother » aurait répondu Red, parti la veille.


Une fois à terre, je grimpe dans un collectivo direction Cancun, où je passerai la nuit avant d’embarquer le lendemain pour La Paz, au Sud de la Basse Californie. Deux jeunes françaises sont assises au premier rang, et conversent à grands renforts de « en vrai », et ponctuant l’intégralité de leurs phrases de « quoi ». Pendant les quinze minutes qui séparent notre départ réel de notre départ attendu, elles se plaignent sans relâche du retard pris, quand bien même rien de particulier ne les attend à Cancun. Je crois que je préfère encore le reggeaton à leur insupportable litanie, qui alimente notre réputation déjà bien installée de râleurs arrogants et peu sympathiques. Fort heureusement elles s’endorment vite et le van retrouve un calme serein, propice à l’écriture.
Je substitue ensuite mes leçons d’espagnol par une conversation avec le chauffeur de taxi qui me mène à mon hôtel près de l’aéroport, le sujet étant Merida et ses environs, d’où il est originaire. L’hôtel est sommaire, et infesté de moustiques. La dégaine du patron, qui semble tout droit sorti des Soprano, invite à la prudence quant aux réclamations. Il me rapporte tout de même une bombe insecticide, avant de disparaître dans l’arrière-boutique. En l’absence de restaurants à moins de trois kilomètres, je dîne à l’hôtel. Puis m’endors devant un documentaire, mon esprit s’échappant vers les eaux vertes d’Holbox…

Je vous embrasse !
Julien