Mardi matin, Cancun. Aujourd’hui, je traverse le pays d’est en ouest pour retrouver mes amis d’Equateur. Après des retrouvailles manquées fin janvier (nous devions nous voir au Chili), nous avons choisi la Basse Californie comme terrain de jeu commun pour les prochaines semaines ! Jacques Cousteau a surnommé cette partie du monde « les Galápagos du Mexique », il était donc écrit que Julie, Aurélien, et moi nous rejoignions ici pour continuer nos aventures marines.

Alors que je quitte mon hôtel, rendant un avis dithyrambique de l’établissement sur booking, sous la menace du patibulaire patron, mes amis poursuivent un périple commencé de nombreuses heures plus tôt à Bogota. Je vole de Cancun à Mexico, eux arrive dans la capitale après une courte nuit à San Jose, Costa Rica. À l’aéroport, porte 65, je guette mes compères, en jugulant mon impatience par quelques mises à jour du blog. Je lève la tête et les trouve devant moi, la mine radieuse malgré leurs 24 heures de voyage. Quel bonheur de les retrouver ! La joie de se voir efface la fatigue, et dans une excitation juvénile, nous échangeons quelques anecdotes récentes de nos aventures réciproques.

Et nous embarquons ensemble dans l’avion pour La Paz. Un taxi nous porte ensuite jusqu’à la Casa Esterito, un charmant hostel de La Paz, à deux pas du Malecón. Le temps de prendre les informations sur les attractions des parages auprès du sympathique Éric, et nous voilà sur la promenade, à admirer les lumières de fin du jour sur la baie de La Paz. Le changement de décor par rapport au Yucatan est spectaculaire. De basses collines brunes et ocres entourent une mer d’un bleu profond. Quand le désert rencontre la mer. J’ai hâte d’en voir d’avantage !



Après le coucher du soleil, nous nous installons sur la terrasse d’un bar à bières pour célébrer nos retrouvailles. Nous poursuivons la fête dans un restaurant chic du Malecón. Une douce euphorie enveloppe la soirée. Nous rions, beaucoup, en partageant nos expériences respectives en Colombie, Costa Rica, et Mexique. Sur le chemin de l’auberge, nous nous réjouissons des moments à venir, à la découverte de la Basse Californie. Je me couche heureux et plein de gratitude. Après tant de merveilleuses rencontres éphémères, après ces jours fantastiques en famille avec Nicolas et Dounia, c’est un plaisir immense de retrouver mes amis !

Mercredi matin, La Paz. Levé de bonne heure après une belle nuit, je profite du ciel magnifique pour aller courir sur le Malecón.

Je retrouve ensuite Julie et Aurélien pour le petit déjeuner. Le gérant de l’hostel nous ayant appris la veille que de jeunes requins-baleines nagent dans la baie, nous nous mettons en quête d’une agence pour aller à leur rencontre. En début d’après-midi, nous sautons dans un petit bateau avec deux sexagénaires mexicaines, un guide, et un capitaine, en direction d’une plage au sud-ouest de la baie. La mer est agitée, et assez trouble, ce qui rend la recherche du plus gros poisson du monde laborieuse. Néanmoins, après une bonne heure de chasse, nous devinons une ombre gigantesque, noire tachetée de blanc, comme un nuage menaçant dans un ciel déjà gris.

L’excitation monte dans l’embarcation alors que nous enfilons nos palmes. Plouf ! Nous plongeons à la rencontre du monstre. L’eau est froide, les vagues s’infiltrent dans nos tubas, et la visibilité sous l’eau ne dépasse pas le mètre. Difficile dans ces conditions de suivre le géant des mers…Tentative avortée, nous remontons à bord. Mais retentons notre chance un peu plus loin, grâce à l’habileté du capitaine qui a suivi la bête. Nous sautons à l’eau, et, à hauteur de vague, impossible de savoir où est passé l’animal…L’instant est éminemment intense, et terrifiant…C’est alors que le requin fait son apparition, passant au milieu du groupe, à une encablure d’Aurélien qui pousse un cri de surprise. L’image se grave sur ma rétine : au premier plan, Aurélien, mélange d’étonnement et d’effroi sur le visage, à sa droite, l’immense aileron du monstre, et derrière, Julie et le guide dos à l’animal. Le tout en un fraction de seconde. Je plonge la tête dans l’eau et ai un brusque mouvement de recul au moment d’apercevoir l’immense queue du requin-baleine à moins de 50 cm de mon crâne. Avant que le poisson ne disparaisse à nouveau dans le brouillard aquatique…Encore secoués, nous remontons à bord. « Ocho metros » nous dit le capitaine. Ça pose la bête…

Impressionnés par ce que nous venons de vivre, mais un peu frustrés de n’avoir vu le squale que très furtivement, nous nous mettons en quête d’un autre spécimen. Nous le trouvons une dizaine de minutes plus tard. Un peu plus petit, nous espérons qu’il sera aussi moins rapide…Cette fois, je parviens à voir la moitié postérieure du requin. Les taches blanches sur sa peau soyeuse scintillent dans cette mer verte et l’instant, bien que très court, est joli. Sur le chemin du retour, Aurélien fait le pitre, pour le plus grand plaisir des deux mexicaines, qui rient comme des…baleines.

De retour à terre, la frustration des conditions sub-optimales s’efface bien vite devant notre incrédulité joyeuse de s’être trouvés immergés à quelques centimètres de ces énormes créatures. Et, qui sait, nous aurons peut-être d’autres opportunités d’observer ces gentils géants de près lors de notre séjour ici… Pour nous remettre de nos émotions, nous remontons le Malecón jusqu’à son extrémité est, en haut d’une petite colline, perchoir idéal pour admirer un somptueux coucher de soleil.



Un peu plus tard, à l’auberge, Isaël, sosie mexicain d’Elton John, nous rencarde sur les excursions à Espiritu Santo, une île magnifique au Nord de la baie de La Paz. En cuisine, nous concoctons guacamole et omelette de pommes de terre, pour un dîner convivial dans la très agréable Casa Esterito. Pour le dessert, nous avons même le droit à une part de gâteau, une joviale famille mexicaine fêtant l’anniversaire de madame à la table à côté. Après cette journée bien remplie, chacun regagne sa chambre pour un repos bien mérité. Très belle première journée dans le paradis désertique de « Baja » !

Jeudi matin, Casa Esterito. Nouvelle matinée splendide, sans le moindre nuage, qui appelle un nouveau footing. Sur le chemin, je croise des boxeurs à l’entraînement. Alors que je les dépasse, ils reviennent à ma hauteur et impriment une cadence élevée. Je parviens à me caler sur leur rythme, et poursuis ce jogging ludique à leur côté. Nous nous quittons à grand renfort de « check » et de rires après cette drôle de communion sportive.



De retour à l’auberge, nous faisons durer un copieux petit déjeuner, avant de rejoindre le Malecón. Là, un bateau nous attend pour notre excursion du jour à l’Isla Espiritu Santo. Elton est là, ainsi que quelques mexicains discrets, qui écoutent attentivement les consignes de Luisa, notre guide. L’embarcation traverse la baie de La Paz, sa mer azur et ses collines terreuses, jusqu’à une grande île ocre et brune au littoral accidenté. Les baies, isthmes, et autres promontoires magnifiques se succèdent sous nos yeux ébahis.

Le bateau s’engage dans une première baie, nous offrant un éblouissant spectacle. À l’ouest, les montagnes qui ferment la baie, abruptes, dominent une eau d’un bleu profond, le sable jaune accentuant les contrastes en terre et mer. À l’est, émergeant d’une eau verte et turquoise, une digue séparant la baie d’une petite lagune accueille de nombreux nids de frégates. Les oiseaux dont la silhouette rappelle les ptérodactyles volent en nombre dans une élégante confusion, où les mouettes et les sempiternels pélicans jouent leur partition à merveille.






Le capitaine mène ensuite la lancha dans une nouvelle baie somptueuse, où de belles tortues se régalent de petites algues à faible profondeur.


Plus loin, nous faisons halte dans un bras de mer étroit et profond. Les falaises dévoilent des formations rocheuses faites de bosses et de trous que l’imagination transforme bien vite en inquiétants visages…La baignade dans les eaux vert amande, fraîches, de ce fjord miniature, est délicieuse.




Pour la pause déjeuner, Luisa choisit une plage dont la beauté dissuaderait tout naufragé de chercher du secours. Les couleurs sont époustouflantes. Algues et rochers forment autant de touches vertes et noires dans l’eau transparente de la baie. De translucide, la mer devient turquoise, puis azur à mesure que le regard s’éloigne du rivage. Derrière le sable beige clair, le désert offre ses atours poussiéreux, où quelques cactus éparses habillent une terre grise et désolée. La rencontre de ce paysage sauvage, aride, et de la vie foisonnante que l’on devine sous la surface lisse des flots est grandiose, émouvante.



L’endroit se prête parfaitement à la dégustation d’un ceviche frais et parfumé. Une fois le repas terminé, nous faisons cap vers le sud, saluant au passage les plages magnifiques visitées ce matin. Nous laissons l’île magique d’Espiritu Santo derrière nous, et accostons dans une grande baie du cap qui lui fait face, à l’extrémité Nord-Ouest de la baie de La Paz. Balandra, dans sa géométrie, ressemble à l’île Bartolome, aux Galápagos. De l’eau jusqu’aux genoux, je me promène sur cette carte postale grandeur nature, admirant la mangrove au fond, les étranges formations rocheuses qui entourent la baie, et les pélicans qui décollent et atterrissent sur l’eau cristalline.





Nous remontons à bord pour la dernière étape de notre escapade. À quelques milles des côtes, un îlot longiligne dominé par un petit phare accueille une colonie de lions de mer. Julie, Aurélien et moi sommes heureux de retrouver nos compagnons de jeux des Galápagos. Nous plongeons afin de nager avec les jeunes otaries. Malgré une visibilité limitée, nous profitons du ballet agile et gracieux de quelques spécimens particulièrement curieux. Un gros mâle s’aventure même à quelques centimètres d’Elton, dont la mine effrayée plonge Luisa dans un grand rire communicatif. Après un bon moment passé dans l’eau à admirer les coraux entre deux facéties des lions, nous regagnons le bateau pour rentrer au port. Quelle journée fantastique ! L’excursion a dévoilé, dans un formidable concentré, les merveilles que nous sommes venus chercher en Basse Californie.



Une fois à terre, nous nous installons sur la plage pour préparer notre itinéraire des prochains jours. C’est décidé, nous ferons cap vers l’Ouest et la Bahia Magdalena, pour observer les baleines avant qu’elles ne partent pour un long et périlleux voyage vers l’Alaska ! Détails pratiques réglés, nous regardons sereinement le soleil se coucher sur La Paz.

Quelques emplettes plus tard, nous sommes de retour à la Casa Esterito. Curry de crevettes aux légumes au menu, pour une nouvelle belle soirée avec mes acolytes. Avant de sombrer dans le sommeil, je prends un moment pour mesurer la quantité de trésors découverts aujourd’hui. Quel spectacle !

Vendredi matin, La Paz. Après un petit déjeuner pantagruélique à l’auberge, nous partons avec Aurélien en quête d’une automobile pour circuler avec plus d’aisance à travers les routes désertiques de la Baja California Sur. L’entreprise se révèle moins aisée que prévue, mais avec calme et résilience nous trouvons à la mi-journée une belle Nissan blanche. Nous récupérons Julie à la Casa Esterito, et, avant de faire cap vers la Bahia Magdalena, nous roulons jusqu’à la Playa Balandra, pour un dernier aperçu des beautés de la baie de La Paz. Nous trouvons la plage fermée, mais poussons un kilomètre plus au nord vers la Playa Tecolote, où les pélicans disputent l’eau limpide aux touristes locaux. L’endroit offre une vue splendide sur l’île Espiritu Santo, en face, et ses montagnes rouges et brunes.



Je laisse Julie et Aurélien profiter des lieux et m’aventure sur un sentier pierreux qui grimpe dans les collines. La vue d’en haut est prodigieuse, offrant un panorama grandiose sur l’ensemble de la baie. La mer est d’une invraisemblable clarté. De superbes cactus se dressent majestueusement au milieu d’un sol sec et poussiéreux. Quelques yachts baignent à l’entrée de la Balandra, là où les eaux virent du turquoise au bleu profond.








Une fois rassasié du paysage, je fais demi-tour et rejoins mes amis sur la plage. Je perturbe un instant la léthargie des pélicans pour une courte et fraîche baignade, et nous nous mettons en route vers le village de Puerto San Carlos. La route « transpeninsular » traverse le désert. Le ciel mauve de fin du jour derrière les rangées désordonnées de cactus forme une trame spectaculaire qui défile sous nos yeux.

Alors que nous doublons un véhicule très lent, une sirène retentit. La police mexicaine aux trousses, nous nous rangeons sagement sur le côté. Le cœur battant, nous regardons l’officier se rapprocher de la fenêtre côté passager. Le sergent Miguel se présente poliment, s’enquiert de notre présence dans ces parages, et nous explique clairement les raisons de notre interpellation. Notre véhicule a légèrement franchi la ligne continue séparant la chaussée. Aurélien parvient à garder son calme, et distille au sergent Miguel son excellent espagnol, adoptant un ton humble et repentant. Assis sur la banquette arrière, j’élabore quelques scénarios, anticipant les réactions les plus adéquates à adopter pour chacun (confiscation du véhicule, nuit au poste, demande de backshish exorbitant…). Surpris de la qualité de l’espagnol d’Aurélien, et de la sérénité (de façade) des occupants de l’auto, le sergent Miguel adoucit le ton, et transforme l’amende en avertissement sans frais. Encore gonflés d’adrénaline, nous félicitons Aurélien pour sa maitrise et reprenons la route à une allure sénatoriale.

Il fait nuit lorsque nous arrivons à l’étrange village de Puerto San Carlos, au bout d’une minuscule presqu’île. Routes de terre cabossées plongées dans une obscurité quasi totale, maisons à demi construites devant lesquelles s’ébattent de nombreux chiens errants, nous sommes dans l’un de ces bouts du monde dont nous apprécions tous les trois la rugueuse authenticité.
L’hôtel Magdalena Bay est étonnamment très confortable, et la patronne nous accueille de façon toute professionnelle. Nous fonçons alors vers le « centre », afin d’arriver avant la fermeture de l’unique restaurant du village. Le sourire et l’humour de la gironde serveuse donnent une saveur particulière à nos burritos, et nous nous régalons de ce moment simple et chaleureux. Fatigués par le voyage, nous sombrons bien vite dans un sommeil lourd, en pensant aux rencontres magiques qui nous attendent demain…
Je vous embrasse !
Julien