Samedi matin, Puerto San Carlos. Après le sergent Miguel, c’est le capitaine Miguel qui nous accueille sur sa lancha, pour nous mener dans la Bahía Magdalena à la recherche des baleines grises. La brume s’est levée, et les couleurs matinales sont superbes. Sur une mer laiteuse, les pêcheurs partent à la crevette au milieu de mouettes et cormorans opportunistes.



Nous ne tardons pas à apercevoir notre première baleine, qui fait surface au loin, devant un gros cargo rouillé.


Nous nous rapprochons, guettant l’expiration caractéristique de ces géants marins. Deux souffles magistraux plus loin, nous sommes à quelques encablures de la bête. L’excitation monte. Ça y est, la baleine, douze mètres de long, nage maintenant à côté du bateau. Les nombreuses tâches blanches qui ornent son corps fuselé la rende facilement visible sous la surface. Soudain, avec une grâce inouïe, elle fait surface, nous arrose de son jet, s’incline légèrement sur le flanc, et sonde doucement, notre regard glissant de sa tête en triangle à sa majestueuse et immense queue. Tout cela à moins de deux mètres de l’embarcation. Je suis saisi par la magie de l’instant, et submergé d’émotion. Me reviennent en mémoire les images d’un panneau de papier canson, sur lequel sont collées des images découpées dans un numéro d’Image Doc. J’ai huit ans, et je présente devant la classe de CE2 de Madame Piot un exposé sur les baleines à bosses. Le regard perdu dans les eaux de la baie, les jambes tremblant légèrement, je ne peux retenir une petite larme. La magie semble avoir opéré aussi chez mes compères, dont les visage ne se déparent pas d’un sourire hagard.



A peine digéré ce moment d’exception, nous ne voulons rien d’autre que vivre un autre instant de communion sublime avec Madeleine la Baleine. Nous retrouvons bien vite notre amie, antiquité des mers, et le scénario se reproduit. Une fois. Puis deux. Puis trois. Madeleine nous adresse enfin un clin d’œil malicieux avant de sonder plus profond et de disparaître de nos radars.



Capitaine Miguel fait ensuite cap vers l’Ouest de la baie, et nous voguons longtemps, admirant le superbe paysage, avant de trouver notre second spécimen. À l’issu de la même danse d’approche, au gré des jets arc-en-ciel expulsés des evens de la bête, nous partageons un long moment de nage commune avec une baleine encore plus imposante que Madeleine. Lors d’une de ses nombreuses remontées, la bête, penchée sur le flanc s’approche si près du bateau que nous pouvons la caresser à loisir. Quelles sensations extraordinaires ! Sa peau est à la fois soyeuse et rugueuse. Et ce regard…Ce petit œil mobile d’une infinie douceur, miroir mystique, reflet du fond des âges.




Le jeu des chassés-croisés avec nos curieux compagnons se poursuit longtemps, hypnotisés que nous sommes par la grâce sereine que dégagent ces mammifères d’un autre temps.




Outre les baleines grises, le paysage est fantastique ! La baie est fermée par des îlots étroits de montagnes brunes qui cisèlent l’horizon. La couleur de l’océan varie au gré des heures qui défilent doucement. Les oiseaux marins suivent des courbes aléatoires dont le tracé possède à coup sûr un dessein qui nous échappe.





Nous accostons sur une plage sauvage, où quelques tentes accueillent d’autres passionnés de baleines. L’occasion pour nous d’observer une famille de superbes aigles pêcheurs.




Nous trouvons ensuite, alors que nous commençons à nous rapprocher de San Carlos, une famille de lions de mer allongée sur une bouée au milieu de l’océan. Le père de famille, sorte de Al Bundy des mers, prend toute la place sur l’étroit canapé flottant, précipitant parfois les femelles à l’eau.




Dernière étape avant la fin de notre spectaculaire expédition : une pause ludique sur une lande de sable aux belles petites dunes. Dans cette journée propice aux réminiscences enfantines, nous nous roulons dans le sable chaud de ce Club Mickey tropical.




Enfin, capitaine Miguel nous ramène à bon port. Un pick-up nous attend avec une remorque, et c’est toujours assis dans le bateau, sur les routes poussiéreuses de San Carlos, que nous rejoignons l’hôtel Magdalena Bay.


La suite de l’après midi est calme et studieuse. Le tri des photos de toutes les merveilles découvertes depuis notre arrivée en « Baja » nous prend un temps certain…Puis nous nous penchons sur l’organisation de la prochaine étape de notre épopée. Satisfaits du travail accompli, je m’offre une petite balade sur la plage, face aux montagnes fermant la baie.


Nous retournons dîner au restaurant du village. Je me régale d’un « pozole », soupe locale bien épicée, et des facéties de la joviale serveuse. Quelle journée ! Encore remués de nos émotions marines, nous nous endormons bien vite, la tète pleine de cétacés géants.

Dimanche matin, Puerto San Carlos. Nous avons bien du mal à quitter cet attachant et atypique endroit. Le petit déjeuner traîne ainsi agréablement en longueur. La voiture elle aussi semble vouloir rester. Elle refuse de démarrer. Il nous faut deux câbles, et la gentillesse du voisin, pour finalement quitter l’hôtel Magdalena Bay. Nous prenons la route, direction Todos Santos, un village de surfers plus au sud sur la côte pacifique.
Quelques cinq heures plus tard, nous atteignons le bien nommé Hostel Todos Santos. Avec son agréable terrasse, ses peintures murales figuratives et les yourtes tropicales disposées dans le jardin, l’endroit dégage un doux parfum de farniente.


L’appel de la vague a raison d’Aurélien, et, malgré l’heure tardive, nous filons à la Playa Cerritos, à une quinzaine de minutes de voiture plus au sud. Là, Aurélien loue une planche et saute dans les vagues, alors que Julie et moi longeons la longue et sauvage baie, à pied. Après un superbe coucher du soleil, nous rejoignions le surfer de la bande.


La session a été difficile. Plein d’adrénaline, Aurélien est à la fois enchanté de la vague délicieuse qu’il a pris en fin de session, et contrarié par les dégâts qu’une houle trop forte a infligé à sa planche. La facture n’est pas si salée, et nous rentrons sereinement à l’auberge. Poulet rôti et poilée de légumes sont au menu d’un dîner savoureux et toujours aussi agréable avec mes acolytes. Avant de m’effondrer, je fais brièvement connaissance avec mes colocataires : Catarina a quitté Munich pour un séjour de quatre mois en Amérique centrale, quand Ricardo entame lui aussi une traversée du sous-continent depuis son domicile de Floride. Je m’endors malgré les gloussements venant du dortoir voisin et les ronflements de Ricardo. Je dois être en forme pour la session surf du lendemain matin !
Je vous embrasse !
Julien