Lundi matin, Todos Santos. Comme à notre habitude, nous nous attardons au petit déjeuner. J’aime ce moment privilégié avec mes compères voyageurs. Le ventre plein, nous prenons la direction de la Playa Cerritos afin de nous frotter au « point break » qui sévit à la pointe de la baie. Ou le « beach break » peut-être, je ne sais plus très bien. À notre arrivée sur le sable, nous sommes pris en otages au milieu d’une guerre de gangs de loueurs de planches. Mais comme souvent au Mexique, on ne déplore pas de victime parmi les touristes. Nous récoltons même les fruits d’un affrontement que nous n’avions nullement provoqué, obtenant un prix ridiculement bas pour nos trois « long boards ».

Une fois équipés, Aurélien nous distille de précieux conseils pour profiter de la session. Quelques échauffements, et c’est parti ! J’essaye d’appliquer les consignes, mais les vagues sont fortes, l’eau peu profonde, et ma planche pique du nez. Ce qui me vaut une série de mémorables gamelles. Vaillant, après chaque chute, je me remets en selle et retente ma chance, pour un résultat malheureusement analogue. Une paire de locaux, compatissants, tentent de m’aiguiller, mais je finis invariablement dans le tambour d’écume. Néanmoins ces cascades m’amusent, et je passe un bon moment ! Pendant que je me bats avec l’onde, Julie a sagement troqué sa planche contre un bodyboard, et Aurélien s’est rapproché de la pointe pour se mesurer à des vagues plus coriaces.
Une fois lassé des claques de l’océan, j’abandonne ma planche et m’assoie sur le sable, regardant la mer dans un demi-sommeil. Fatigués eux aussi, Julie et Aurélien me rejoignent, et nous rentrons vers Todos Santos, les narines pleines d’eau et les oreilles de sable.
L’après-midi se poursuit par un long moment de détente à l’auberge, à travailler sur nos blogs respectifs. Reposés, nous marchons ensuite vers la plage attenante au village, dernière une petite butte marron. Du haut de la colline, nous réalisons que Todos Santos est posé au bord d’une grande oasis, une longue palmeraie se fraie un chemin jusqu’à la mer, séparée d’elle par une petite lagune en forme de croissant de lune.


La plage est magnifique, sauvage, et la Punta Lobos, au Sud, avec ses montagnes bosselées, ferme superbement la baie. Nous arpentons le sable souple, en regardant le soleil baisser. C’est alors qu’Aurélien aperçoit un puissant jet d’eau, à moins de vingt mètres du rivage. Une baleine ! Nous sommes abasourdis de la voir si près du bord. Une telle masse dans si peu d’eau ! D’abord inquiets, nous sommes rassurés de la voir émerger ici et là, se mouvant sans encombre entre les vagues puissantes. Le ciel se pare d’orange alors que le soleil entame son coucher. Et le spectacle continue…Dans l’axe de l’astre fauve, au loin, de grandes gerbes d’eau…Des baleines sautent devant le soleil, pour notre plus grand plaisir ! Les couleurs sont incroyables, et, sur le chemin du retour, émus, nous n’en revenons pas d’avoir assisté à une telle explosion de beauté.







Enivrés par ces images, nous prolongeons l’ivresse par un petit verre de mescal, que nous sirotons en préparant à dîner. La conversation s’anime et la tablée s’agrandit. Nous sommes rejoins par Katarina et Ricardo, mes colocataires, Sven, un professeur d’espagnol allemand et surfer à ses heures, Jess, qui nous vante les mérites de son Tijuana natal, et Sergio, le jovial manager des lieux. Pour clôturer cette splendide journée, alors que nous nous apprêtons à aller nous coucher, arrivent Carlos et José. Fraîchement revenus d’un concert en ville, ils ressortent guitare et clarinette pour une jam session improvisée. La musique, belle et douce, est un parfait préambule au sommeil, et je m’endors bien vite, le son de la clarinette se muant en chant de baleine…

Mardi matin, hostel Todos Santos. J’apprends que le surf est un sport exigeant, et soumis à de nombreuses variables. Et que la patience et la frustration font partie intégrante du jeu. Ainsi, aussi ludique fut elle pour moi, la session d’hier a laissé à Aurélien un goût d’inachevé. Nous partons donc ce matin explorer la Playa Pastora, au Nord de la palmeraie. Les conditions y sont complexes, peu propices aux surfers novices. Parfait, car cela signifie que je peux profiter du calme et de la beauté sauvage de l’endroit pour finir ma nuit, Ricardo ayant ronflé bruyamment sans interruption. Le courageux Aurélien rejoint la vague, traversant douloureusement le rideau de pierres rondes et glissantes à l’entrée du spot. Je l’observe un moment essayer de trouver la glisse malgré une houle certaine qui semble brouiller les pistes, puis sombre dans un demi-sommeil méditatif. Seules les mouettes, l’écume et le vent perturbent mon repos, et je me sens bien, allongé sur le sable chaud.

Lorsqu’Aurélien met fin à sa mission impossible, et que Julie revient de sa promenade le long de la plage, je suis reposé, frais et dispos.

Avant de rentrer à l’hostel, nous faisons une halte au village de Todos Santos. Nous découvrons un charmant « pueblo », aux jolis bâtiments de briques, dont les petites places offrent une belle vue sur la palmeraie. Flotte néanmoins dans l’air un parfum légèrement artificiel, une atmosphère un peu trop « américanisée ». Néanmoins la promenade est agréable, et les badauds sympathiques.

De retour à l’auberge, chacun vaque à ses occupations, au cours d’une après-midi « libre ». Je choisis d’aller découvrir les collines désertiques des environs au pas de course. Une route de sable me mène jusqu’à la Punta Lobos, au bout de la plage sur laquelle nous avions assisté au ballet des baleines devant le soleil couchant. Puis j’emprunte un sentier qui grimpe entre deux collines, pour rejoindre le sommet de la montagne qui domine la pointe. Le paysage est lunaire ! Cactus, agaves, et arbustes courts et secs parsèment une terre caillouteuse, grise, orange et ocre. En contrebas, l’océan pacifique, bleu, froid, et agité, marque un contraste saisissant avec le sable jaune et les terres marrons qui le prolongent. À l’est, le désert brun, boursouflé de buttes arrondies, court jusqu’à la Sierra de la Laguna, dont les contreforts dépassent les mille mètres. Assis sur un rocher surplombant la baie, je reste un long moment à contempler cet univers antagoniste, où l’eau rencontre le feu, le froid le chaud, la mort la vie.



Puis je descends de ma colline et regagne l’auberge au petit trot. Je travaille studieusement sur le blog en attendant le retour de mes acolytes, partis de nouveau surfer la vague de Cerritos. Sven se joint à nous alors que nous nous mettons à table, et la soirée se déroule paisiblement, entrecoupée de rires que la fatigue du jour facilite. Je regagne mon dortoir, les jambes un peu lourdes de mon « trail » dans le désert, et m’endors bien vite, bercé par Darwin et ses coléoptères.
Mercredi matin, Todos Santos. Aujourd’hui, c’est randonnée. L’idée est de suivre mon itinéraire de la veille, en prenant le temps de savourer le paysage. À la Punta Lobos, outre quelques pêcheurs au repos, nous trouvons une impressionnante colonie de mouettes, au milieu desquelles trônent quelques pélicans. Aurélien ne résiste pas à l’envie de foncer dans la masse pour créer un chaos aviaire succinct et photogénique.





Nous cheminons ensuite jusqu’au petit col où la croisée des chemins offre plusieurs itinéraires. Nous optons pour celui qui grimpe au sommet du « Cerro » qui domine la pointe, car je souhaite faire découvrir à mes compères le fabuleux panorama admiré hier. Debout sur le monticule qui marque la fin du sentier, nous profitons d’une vue superbe à 360 degrés, retraçant au passage nos itinéraires des derniers jours. Nous faisons ensuite le tour du plateau escarpé qui tapisse la montagne, en regardant les vagues casser sur de petits îlots abruptes. Le paysage rappelle l’archipel inhospitalier où Rey retrouve Luke Skywalker dans l’épisode VIII de Star Wars.








Sur le chemin du retour, avant de retrouver la route de sable qui mène au village, Aurélien de ses yeux bioniques repère une baleine tout près du rivage, que nous observons à la jumelle. Un « greater roadrunner » erre dans des ruines poussiéreuses, complétant le bestiaire de la journée. Ce drôle d’oiseau n’est rien d’autre que le Bip-Bip poursuivi par Coyote dans les cartoons de la Warner !

Après cette belle marche, le début d’après-midi est consacré à la détente et à l’écriture. Aurélien part ensuite pour une ultime session de surf, alors que Julie et moi marchons vers le village, afin de nous dégoter du poisson pour le dîner. Nous trouvons notre bonheur, après avoir arpenté l’ensemble des rues du pueblo, dans une poissonnerie minuscule où le sosie mexicain de Yolande Moreau nous sert le poisson du jour. Littéralement, puisqu’il n’y en a pas d’autre dans l’échoppe exiguë. Passage à la tienda du coin, afin de trouver les ingrédients nécessaires au guacamole, et nous sommes parés pour le dîner.

Aurélien revient de sa session heureux, tant d’avoir « ridé » une bonne demi-douzaine de belles vagues que d’avoir dévalisé une boulangerie française trouvée opportunément sur son chemin. Nous préparons ainsi un véritable festin, que nous partageons en partie avec le sympathique Sven. Encore une douce et belle soirée à l’Hostel Todos Santos, pour clôturer notre séjour dans ces parages. Demain, cap sur l’extrémité sud de la péninsule pour d’autres aventures !

Je vous embrasse !
Julien