Samedi matin, Cabo San Lucas. Au bord de la piscine de l’hôtel Santa Fe, nous prenons notre petit déjeuner, puis notre temps. Lecture, écriture, triage de photos…La matinée s’écoule studieusement. Nous plions bagage vers midi, et nous mettons en route vers Cabo Pulmo, à l’est. A travers un désert brun et vallonné, la route est belle.

Au bout d’un chemin caillouteux qui sillonnent entre des collines arides, nous trouvons le paisible hameau de Cabo Pulmo. Autour d’une unique rue de sable, quelques restaurants, une poignée d’écoles de plongée, et au milieu les Cabo Pulmo Bungalows, notre lieu de résidence pour les trois prochains jours. Après la foule et l’agitation de Cabo San Luca, c’est une grande joie de découvrir ce paradis tranquille et hors du temps. Notre bungalow est parfait, confortable, avec sa petite terrasse et sa cuisine équipée. Nous laissons nos paquetages et traversons la rue pour régler les détails de notre plongée, prévue Lundi matin. Très professionnel, Daniel s’enquiert de notre expérience et construit avec nous un plan de plongée sur mesure pour que nous profitions au mieux du site.


La plage, à deux pas, est superbe, déserte et sauvage, et vaut bien une balade. Du rivage, on devine à quelques centaines de mètres au large le récif affleurant la surface qui fait de Cabo Pulmo un des hauts lieux de la plongée au Mexique. Une fois n’est pas coutume, les couleurs de fin du jour dans ce coin reculé de Baja sont splendides. Nous regardons le ciel de parer d’orange et de mauve, et la lune pleine et ronde se dorer d’argent.









De retour chez nous, Aurélien nous concocte une délicieuse omelette aux champignons, et nous rions de l’invraisemblable contraste avec notre précédent lieu de villégiature. Bercés par le bruit des vagues et le chant des magnifiques oiseaux qui gazouillent dans les arbres, nous ne tardons pas à aller nous coucher. On se sent si bien ici !

Dimanche matin, Cabo Pulmo. Aujourd’hui, nous partons à la découverte de l’intérieur des terres. La Sierra la Laguna et ses canyons nous attendent ! Nous roulons une petite heure jusqu’au village de Santiago, où nous sommes accueillis par Ricardo, le patron de l’agence et Emmanuel, notre guide pour la journée. L’excursion commence par un petit tour du pueblo, posé sur une oasis, une jolie lagune en son cœur.

Le paisible lieu conserve les marques de la colonisation tardive des espagnols (près de deux siècles après Cortés), avec son zocalo et sa mission en têtes de proue. Emmanuel nous apprend qu’à son âge d’or, il y a plus d’un demi siècle, Santiago était un centre économique (cane à sucre, mangues) et touristique (eaux thermales) que les stations balnéaires de la côte regardaient avec envie. Difficile à croire en arpentant les rues poussiéreuses et vides du village…Après ces leçons d’histoire, le 4×4 d’Emmanuel grimpe vers la Sierra, et nous dépose à l’entrée d’un sentier sableux entouré de cactus. Là, notre guide nous abandonne quelques minutes pour vendre des graines à un ranchero du coin, double mexicain de Clint Eastwood.

Nous nous engageons sur le sentier, et faisons connaissance avec les scrub jays, de superbes oiseaux bleus et blancs difficiles à capturer. Le spectacle est aussi dans les innombrables cactus qui bordent le chemin. Tant de tailles, formes, couleurs, fleurs…Emmanuel nous énumère les nombreuses variétés présentes dans la Sierra, dont nous oublions presque instantanément les noms, trop concentrés à contempler ces drôles d’arbres piquants.






Le sentier progresse au milieu d’une végétation basse et sèche, puis descend, alors que l’air, bouillant jusque là, se remplit de fraîcheur. Nous atteignons le canyon à grand renfort de machette, le chemin n’ayant probablement pas été emprunté depuis longtemps. Derrière de grandes palmes à la tige couverte d’épines, nous découvrons le merveilleux canyon d’Agua Caliente. Au milieu de grosses pierres blanches polies par les ans, une eau limpide coule doucement dans de grands bassins ovales. Des arbres gris aux feuilles vert clair semblent pousser à même la roche. Au fond, là où la rivière oblique vers la droite, une colline gris brun fait face à une autre, couverte de palmiers, pour un contraste saisissant.



Nous plongeons gaiment dans l’eau claire pour nous rafraîchir de la marche. Nous voyant sauter des rochers comme des gamins espiègles, Emmanuel nous guide vers un autre bassin en contrebas, propice à de telles acrobaties. Nous escaladons une roche lisse, marquée par une coulée de lave millénaire couleur charbon, et parvenons au bassin. L’endroit est magnifique ! Les pierres gris clair sont striées de blanc, la piscine naturelle est encaissée entre de grand rochers, au pied d’une haute cascade asséchée. Après une série de sauts de ces perchoirs naturels, et quelques brasses, nous déjeunons à l’ombre d’un bel arbre, écoutant Emmanuel nous parler de son Mexique tout en admirant le fabuleux paysage.




Repus, nous nous remettons en marche, revenant sur nos pas jusqu’à la voiture. Mais c’est sur des vélos que nous redescendons la montagne. Entourés de la Sierra brune, entre deux nuages de poussière, nous profitons de ce paysage si particulier. Les oiseaux sont nombreux sur le parcours, et, ayant aperçu un northern cardinal et sa robe écarlate, je m’offre une halte aviaire près d’un bosquet. Toute une famille de ces magnifiques oiseaux occupe les lieux : mâles, femelles, et juvéniles aux tons rouges, sable, et orangés.




À notre point de départ, Ricardo nous attend avec des margaritas frappées à la mangue. Un pur délice ! Nous faisons un brin de causette avec sa femme et ses enfants en dégustant nos cocktails, allongés dans des transats devant la beauté sèche et sauvage de l’endroit. Gagnés par la douce langueur de Baja, nous parvenons néanmoins à nous extraire de cette enclave sucrée pour revenir à cet autre paradis de Cabo Pulmo. Après avoir naturellement salué nos si charmant hôtes !

Nous retrouvons avec plaisir notre bungalow, et cuisinons en musique un bon repas, que nous dégustons en évoquant les souvenirs de cette journée sportive et envoûtante dans les entrailles de Basse Californie.
Lundi matin, Bungalows Cabo Pulmo. Aujourd’hui, le petit-déjeuner est léger, mais énergétique, afin de coller au mieux à l’activité qui nous attend : nous fêtons notre retour ensemble dans les profondeurs ! Daniel nous accueille à 8h pour un ultime briefing avant l’immersion. La première plongée aura pour but la recherche et l’observation des requins taureaux. Ce qui, considérant ma récente « vacophobie » ainsi que ma peur enfantine des squales, m’a valu des rêves agités cette nuit…La seconde s’effectuera par une vingtaine de mètres de fond, le long d’El Bajo, récif corallien au large de Cabo Pulmo. Plein d’excitation, nous prenons place dans la lancha, mise à l’eau directement sur la plage, et voguons vers notre point de départ. Emmitouflés dans nos combinaisons intégrales, cagoules sur la tête, nous sommes prêts pour les eaux riches et froides du cap. Pour effectuer « la bascule », Daniel improvise un compte à rebours en français, ce qui génère une ample confusion, et je me retrouve à l’eau avant tout le monde, ce qui laisse tout l’équipage hilare. « Proxima ves, español ! » dis-je, barbotant, avant d’être rejoint par la troupe. Trêve de plaisanteries, nous descendons à une dizaine de mètres, au dessus d’un sol sablonneux, et commençons notre chasse. Le vent fort des derniers jours a troublé les eaux, et la visibilité est limitée à quelques mètres. La densité de krill est impressionnante ! On voit à l’œil nu ces minuscules crevettes nourricières flotter par milliers dans le courant. Dans le brouillard, nous apercevons tout de même les habitués des mers tropicales : poissons trompettes, perroquets, et chirurgiens sont de la partie.

Le regard circulaire, à la manière d’un amateur de tennis à Rolland Garos, nous balayons des yeux l’espace sous-marin pour apercevoir les requins taureaux. Soudain, surgissant de nul part, une masse noire, courtaude et massive, se montre de tout son long droit devant nous. Le spécimen, deux mètres de long, est impressionnant. Épais et musculeux, sa grosse bosse frontale surmontant un « museau » pointu lui donne un air inquiétant, patibulaire, presque vicieux…Il disparaît comme il est apparu. Plus loin, devant un gros rocher, nous stationnons, genoux dans le sable, pour tenter d’observer d’autres individus. J’occupe le flanc gauche de notre quatuor aquatique. Ne manque que la musique des Dents de la Mer pour ajouter à cette scène palpitante de film d’horreur sous-marin…La tension est palpable, nous sentons que les squales, nombreux, errent dans les parages. Je n’ai pas peur, mais suis gonflé d’adrénaline. À ma gauche, à moins de cinq mètres, un monstre sort des nuages et oscille dans ma direction, avant de bifurquer de l’autre côté. Puis deux autres, se suivant de près, passent sur la tranche sans se soucier de notre présence. À chaque fois, les rencontres sont furtives, et je ne peux qu’agiter stérilement les mains pour prévenir mes camarades, qui sont de toute façon trop concentrés pour remarquer mes gesticulations…Nous quittons notre station naturaliste et glissons dans le courant, jusqu’à notre point de sortie. De nouveau à bord, nous échangeons nos impressions sur une plongée si particulière. Les conditions suboptimales, notamment la visibilité réduite, conduisent nécessairement à une légère frustration. Mais l’atmosphère étrange, et si intense, avec ces monstres qui rôdent dans le noir, était extraordinaire !

Comme d’habitude, je suis impatient de retourner dans le monde du silence. La deuxième plongée, dans des conditions analogues, délivre elle aussi son lot de surprises. Lors de notre descente, un flot ininterrompu de dizaines de raies mobulas passe au dessus de nous. Leurs ailes pointues et leurs lents et amples mouvements leur confèrent une grâce infinie. Une fois au fond, je réalise que je distingue à peine Daniel et mes compères. Je me rapproche alors et prends conscience que je dois garder un œil attentif sur mon binôme si je ne veux pas me perdre dans ces sombres parages…Même trouble, le paysage est superbe, nous naviguons, portés par le courant, sur les flancs du récif. Près des rochers et coraux, la visibilité est meilleure. L’occasion de voir d’énormes « puffer fishes » en robe militaire, des « gruppers » attachés aux cailloux, et de petits « rainbow wrasses » rose, bleu, jaune et vert. Un peu plus haut, nous traversons un petit banc de superbes pargos jaunes striés de bleu. Une raie pastenague dont la robe ressemble à une crêpe bretonne se cache dans une cavité. Sur le sable, nous avons la chance d’admirer deux nudibranches noires à points rouges. Entre deux rochers, j’aperçois une jolie petite tortue qui disparaît presque aussitôt, et que le courant, fort, m’empêche de suivre. Clou du spectacle, juste avant de remonter, deux énormes poissons, bleu nuit, aux airs préhistoriques, font leur apparition. Ce sont d’imposants « Pacific dog snappers » de près d’1m20.

Dans le bateau qui nous ramène sur la plage, nous nous disons que dans ces conditions mitigées, nous aurions difficilement pu faire meilleures plongées !

Retour au bungalow pour un déjeuner léger, et un début d’après-midi au calme, dédié à la préparation des prochaines étapes.
Vers 16h30, nous partons en balade, à la conquête des collines qui bordent la mer de Cortés. Une courte ascension nous donne une vue splendide sur le Cap Pulmo, au sud. À la lumière de fin du jour, les montagnes semblent recouvertes d’un manteau de laine brune. La mer est d’huile, seules quelques vagues affleurant le récif troublent sa surface. On distingue aussi des bancs de poissons affolés qui grouillent ici et là, preuve de la présence de prédateurs marins dans les parages. Alors que nous scrutons les eaux, jumelles aux poings, au loin, une baleine à bosse nous salut de son jet d’eau avant de sonder dans le bleu.





De notre perchoir, nous regardons le jour tomber, le soleil disparaître derrière les montagnes, et le festival de couleurs commencer. D’abord d’un bleu profond, la mer devient laiteuse, puis mauve, reflétant les nuages d’un ciel incroyable. L’un des plus beaux couchants depuis mon départ en octobre !





Les yeux brillants d’émotion, nous regagnons le hameau dans l’obscurité grandissante. Nous faisons halte dans un restaurant tenu par des américains ivres et bavards. Les prix sont excessifs, mais la nourriture pas mauvaise et l’humeur excellente. Nous passons ainsi une très belle soirée sur la terrasse de l’établissement, avant de rentrer au bungalow sombrer d’un sommeil lourd après cette journée magique.

Je vous embrasse !
Julien