Lundi matin, La Paz. Uber nous ayant fait défaut au dernier moment, nous partons à pied vers le terminal de bus, dans un branle-bas de combat chaotique. Mes deux compères traînant leurs pattes meurtries, je prends les devant afin de nous trouver un taxi, alors qu’Aurélien manque de s’esquinter l’autre cheville, encombré par le sac de Julie sur sa poitrine. Mais nous parvenons à la gare routière à temps, et sans compromettre d’avantage nos intégrités physiques. Le bus, confortable, s’engage sur la Transpeninsula pour un voyage de 6h. Le temps pour moi d’écrire le récit des derniers jours, en regardant défiler le désert et ses cactus.

Loreto est une jolie petite bourgade construite autour de sa mission jésuite, marque indélébile de la colonisation tardive des espagnols au XVIIIème siècle. La rue principale débouche sur un charmant Malecón, qui offre une vue splendide sur les îles de la baie. La plus grande, l’isla de Carmen, longue et étroite, étale ses montagnes plissés en face du pueblo. Au nord, l’île Coronado, plus modeste, avec son cône volcanique, ressemble à un mamelon roussi par le soleil. La mer, en cet après-midi calme et ensoleillé, a des airs de grand lac.


Au bout du Malecón, au sud, directement sur la plage, se trouve l’hôtel Oasis. Après un interminable et bureaucratique check-in, nous découvrons notre chambre dans une jolie maison de plein pied, avec vue sur l’isla de Carmen. Assurément un cran au-dessus de nos standards habituels, l’hôtel Oasis promet d’être une maison agréable et confortable pour les deux prochains jours. Une fois installés, nous partons nous balader sur la plage, en direction de l’estuaire de la rivière asséchée qui borde l’oasis. Nous découvrons un paysage extraordinaire : les montagnes brunes, étroites et ciselées des îles et du continent se font face, et se rejoignent presque dans une eau que la fin du jour et l’absence de vent ont rendu laiteuse. Après plus de trois semaines dans la péninsule, la Basse Californie parvient encore à nous surprendre, avec cette nouvelle facette en dents de scie. Quand le désert rencontre les Lofoten…

Nous observons longuement un élégant héron de nuit à couronne jaune, qui pêche patiemment et habilement de petits crabes beiges. Spectacle fascinant, qui nous distrairait presque de celui qui se déroule plus haut, dans ce ciel crémeux qui se pare de mauve.


Enchantés, et affamés, nous marchons vers le centre ville, en quête d’un restaurant. Nous le trouvons sur l’élégante place centrale du village, et nous régalons de fajitas, chiles rellenos, et autres margaritas, au son de la guitare d’un habile et discret musicien. Après la chaleur des derniers jours à La Paz, nous apprécions la brise fraîche de Loreto, descendue de la Sierra de la Giganta, toute proche. Il fait bon vivre dans ce « pueblo magico » chargé d’histoire : Loreto est considéré comme le premier lieu habité par les hommes en Baja, et a tenu un rôle central dans la colonisation. Après une courte promenade digestive, nous sommes de retour à l’hôtel Oasis. Je me réjouis de l’heure, peu tardive, propice à la lecture (je traîne Darwin depuis si longtemps qu’il me tarde de passer à autre chose…). Mais je m’endors après seulement quelques pages, bercé par les vagues qui s’échouent doucement sur la plage, juste derrière la fenêtre.

Mardi matin, Loreto. Notre rendez-vous, très matinal, avec le capitaine qui doit nous emmener à l’île Coronado est une aubaine. Il nous permet d’assister à un épatant lever de soleil ! Au dessus d’une mer blanche et lisse, une onctueuse couche de nuages légers, rouge-orangé, dépasse des montagnes ciselées de l’isla de Carmen. Ce spectacle rare me rappelle à quel point j’aime les matins. Eux seuls offrent à nos yeux plissés, les paupières encore lourdes de rêves, la contemplation sereine et égoïste des beautés du monde.





La journée commence ainsi sous les meilleures hospices, et l’humeur est excellente au moment d’embarquer dans la lancha d’Antonio. Pas de promesses, mais dans la baie classée parc maritime national, nous pourrions rencontrer quelques unes de ces créatures merveilleuses pour lesquelles la baja est un sanctuaire. Rompus à l’exercice, nous scrutons l’horizon à la recherche d’un jet, d’un aileron, d’une moustache. La saison des baleines est sur le point de se terminer, nous sommes donc extrêmement chanceux d’en apercevoir un spécimen après seulement quelques minutes de navigation ! Une petite baleine à bosse termine son repas, prenant quelques inspirations avant de sonder plus au fond. C’est probablement l’une des dernières à profiter du calme de la baie avant de contourner la péninsule et de nager jusqu’à l’Alaska.



À l’approche de l’île, je devine, au loin, à l’aide de leurs ailerons courbés, la présence de dauphins. A mesure que le bateau avance, le nombre d’ailerons et de petits jets augmente…jusqu’à ce que nous ne soyons plus en mesure de les compter ! Nous sommes en fait pris au milieu d’une centaine de dauphins en train de chasser la sardine. À vive allure, les petits cétacés, par dizaines, oscillent à faible profondeur avant de remonter respirer, en rythme.




Joueurs, certains se rapprochent du bateau et longent l’embarcation, avant de s’éloigner par un simple mouvement de nageoire, efficace et gracile. Je jurerai que l’un de ces espiègles spécimens, au moment de vriller, m’a fait un clin d’œil ! Les dauphins vont et viennent, formant de larges cercles pour emprisonner leurs proies. Nous les accompagnons près d’une demi-heure, émerveillés par ce documentaire animalier en direct, dans le magnifique théâtre de la Bahia Loreto.



Jamais je n’en avais vu autant ! Je ressens la même joie mêlée d’adrénaline que lorsque notre jeep roulait sur les plaines du Serengeti au milieu de centaines de gnous lancés à pleine vitesse, des années auparavant. On se sent à la fois petit, et vivant, fondus dans de telles masses animales !



Nous laissons les dauphins à leurs festins et poursuivons notre tour de l’île Coronado. Les formations rocheuses qui dessinent ses contours, sorte d’empilement de grosses pierres grises et lisses mêlées à des roches volcaniques, sont superbes. Sur l’un de ces étroits promontoires, une colonie de lions de mer, nombreuse et odorante, prend le soleil. La présence de nombreux mâles alphas, massifs et agressifs, en cette saison des amours, rend la baignade dangereuse.






Nous préférons saluer de loin les amoureux et s’adonner à la session snorkeling un peu plus loin dans une petite anse déserte. L’eau est froide ! Et la visibilité quasi nulle…jusqu’aux abords des rochers, où la vie foisonne dans une eau limpide. Coraux bleus et rouges, poissons tropicaux, étoiles de mer à foisons…Néanmoins, sans combinaison, difficile de rester longtemps immergé…Je sèche sur une pierre chaude, en regardant passer les poissons anges à travers la surface translucide. Il nous faut cependant regagner le bateau, et je nage avec les doigts gelés, sensation plutôt désagréable. Mais, encore euphorique de notre rencontre avec les dauphins, je me réchauffe bien vite à bord de la lancha du sympathique Antonio.



Pour rejoindre notre prochaine étape, nous contournons l’île par le nord, et avons ainsi tout le loisir d’admirer son dôme volcanique, étrange religieuse au café écrasée à sa base. Nous accostons sur une jolie plage, bordée d’arbres secs mais verts. La vue sur la Sierra de la Giganta, qui domine la baie de Loreto est splendide. La mer revêt une palette de verts et de bleus, et quelques mouettes, profitant aussi du paysage, nichent à même le sable. Les eaux peu profondes recèlent moins de richesses que les fonds rocailleux de l’autre côté de l’île, mais quelques poissons anges et une flopée d’étoiles de mer suffisent à notre bonheur. Du rivage, nous apercevons au large un petit groupe de dauphins sautant joyeusement à côté d’un modeste yacht amarré.







Nous profitons encore un moment de ces images inoubliables, puis remontons dans la lancha, laissant l’île « couronnée » derrière nous. À mi-chemin, je réalise que j’ai oublié mes tongs neuves sur la plage…Mais le vent, qui s’est levé, rend la navigation longue et difficile et nous ne pouvons pas faire demi-tour. Tant pis pour moi. Une fois au port, Julie se rend compte, à rebours, que ses baskets sont restées sur l’île. Antonio, hilare, et le charmant personnel de l’hôtel Oasis, nous assure qu’ils feront le maximum pour ramener nos souliers naufragés sur le continent. Nous les remercions chaleureusement, en riant de notre étourderie, inévitable conséquence d’une matinée passée au soleil à voir défiler des merveilles…

Merveilles capturées dans de très nombreux clichés, ce qui nous vaut une longue séance de tri, qui occupe une bonne partie de l’après-midi. Je parviens tout de même à m’extraire de ma tablette pour lire quelques pages de Darwin, confortablement installé sur la belle terrasse de l’hôtel. Autre miracle de la journée, nos chaussures sont revenues de leur séjour prolongé sur l’île Coronado ! Nous pouvons ainsi partir pour une promenade vers la jetée, qui se poursuit dans les jolies rues du village. Nous revenons par l’estuaire, où nous attend le héron amateur de fruits de mer, en pleine pêche.





Nous dînons dans une pizzeria uruguayenne du pueblo, qui sert des pizzas originales et des bières artisanales savoureuses. Belle soirée pour conclure une fantastique journée, qui laisse un sourire béat sur nos visages brunis par le soleil.
Mercredi matin, hôtel Oasis. Je me lève avant l’aube, dans l’espoir de revoir un miraculeux lever de soleil. Mais le ciel gris se confond presque avec la mer. Je réalise alors brutalement que je n’ai quasiment rien connu d’autre que le beau temps depuis mon arrivée au Mexique…Quelle incroyable chance !

Je m’engage sur le Malecón pour un footing matinal, dans un village encore assoupi. Trottinant sur la plage, vers le Nord du pueblo, la brume est si épaisse que je ne distingue pas l’isla Coronado, pourtant si proche…La température est idéale pour la course, et je rejoins l’hôtel après une balade agréable. Le service du petit déjeuner est d’une telle lenteur que nous avons le temps de voir le brouillard se dissiper, et les îles réapparaître sous un ciel désormais bleu. Le bus pour Mulegé ne part qu’à 15h, nous avons donc le temps de profiter une dernière fois de la baie, en kayak et paddle, pour une session contemplative et sportive.

Sport toujours, malgré le wifi chancelant, Aurélien parvient à obtenir la retransmission du quart de final aller de la ligue des champions : Bayern – PSG. Dans le froid polaire qui règne sur la terrasse ombragée (la chaleur au soleil est pourtant insoutenable…), j’assiste à l’exploit des parisiens, exultant à chaque but sous l’œil amusé de mes compères.

Le bus est à l’heure. Et il est vide. Nous sommes donc à notre aise pour les deux heures affichées de trajet (plutôt trois en réalité…) vers Mulegé. Néanmoins, peu de temps après le départ, les militaires arrêtent le véhicule et nous prient de sortir afin de procéder à une fouille des bagages. Je m’étonne une nouvelle fois du professionnalisme et de la cordialité des officiers en charge de vérifier le contenu de nos bardas. Ayant obtenu notre droit de passage, je peux me remettre à l’écriture. Mais pas pour longtemps…Au détour d’un virage, la route dévoile un paysage sensationnel ! Une immense, étroite et profonde baie, cerclée de montagnes brunes, et parsemée de superbes plages sauvages et désertes se laisse admirer sur notre droite. Nous longeons ainsi la Bahia Concepcion pendant près d’une heure, et je ne peux décrocher mon regard de cette hypnotisante scénographie.




Le village de Mulegé est situé à la sortie de la baie, au cœur d’une petite oasis. Une belle rivière court le long du pueblo, jusqu’à l’estuaire, à trois kilomètres à l’est. Rues colorées, petites placettes charmantes, quelques maisons à l’architecture coloniale, Mulegé dégage un agréable parfum d’authenticité. L’hôtel Hacienda, avec ses murs jaunes et bleus, son grand patio, et sa petite piscine, s’intègre bien dans le paysage, et l’on s’y sent bien, très vite. Nous prenons quelques informations auprès de la charmante tenancière, puis sortons explorer le village, en quête d’un restaurant.


Nous passons (hélas) devant la Mulegé Brewing Company. L’endroit est (heureusement) en train de fermer, mais Miguel, le patron vénézuélien du lieu, devant nos mines confites, nous invite (hélas) à l’intérieur. Là, il nous fait déguster de succulentes bières, brassées dans les parages. La Foggy Day IPA emporte les suffrages, et nous la savourons sur la placette alors que Miguel cadenasse son échoppe. Rafael, le vagabond du coin, et sa chienne Bielle viennent s’enquérir de la présence d’étrangers buvant sur leur trottoir. Sympathique mais perdu dans les méandres éthyliques de son ivresse, nous prenons congé du jeune homme et entrons dans un restaurant. L’endroit est simple, typique, bien tenu, et l’accueil jovial. La machaca, plat traditionnel à base de viande séchée, s’avère un choix audacieux mais sans grand intérêt. Néanmoins le dîner est fort agréable et, à nouveau, nous nous sentons ici comme à la maison. Demain, nous avons hâte de découvrir de plus près la somptueuse Bahia Concepcion admirée derrière les fenêtres du bus plus tôt dans la journée. Encore une pépite de cette Baja si surprenante !
Je vous embrasse !
Julien