Dimanche matin, San Ignacio. La raison de notre passage ici sont les peintures rupestres de la Sierra de San Francisco, classées au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ces peintures, se sont aussi celles admirées, en photo, au Musée anthropologique de La Paz il y a quelques jours. Guillermo, ou William de son nom de naissance, nous emmène sur la place centrale du village, où une superbe mission jésuite fait office de billetterie. Mais nous sommes Dimanche, et la billetterie, comme l’accès aux peintures, est fermée. Guillermo s’éclipse pour aller dévorer des burritos bon marché de l’autre côté de la place, nous laissant à notre perplexité.


Nous convenons de nous renseigner auprès de sources plus fiables pour organiser l’expédition peintures le lendemain, et improvisons un plan B pour aujourd’hui. Nous marchons le long d’une palmeraie jusqu’à un petit lac, au bord duquel un camping loue des kayaks. L’endroit semble sorti tout droit d’un film de Jean Pierre Jeunet : sur un sol terreux jonché de bric-à-brac (banquette arrière de voiture, glacières en ruine, chaises en plastique en décomposition…), des hippies américains sur le retour entassent du matériel à l’arrière de leur « RV ». Au milieu, le gérant, quinquagénaire moustachu, en tenue de cycliste, balaye un irréprochable terrain de beach volley. Placide, il nous aide néanmoins à porter les kayaks jusqu’à l’eau, avant de reprendre sa primordiale et méticuleuse besogne.

Le lac, long et étroit, s’étire au milieu d’une palmeraie, avec en toile de fond un joli volcan brun. Malgré le ciel couvert, le décor de notre balade aquatique est fort plaisant. Des cormorans font sécher leurs ailes sur une poignée de rochers isolés, alors que deux espèces de canards (american coot et lesser scaup) barbotent près des berges. Au bout du lac, sur la rive, quelques familles mexicaines écument joyeusement des Tecate light dans une cacophonie mêlant reggaeton et variété latine. Nous les saluons de nos embarcations et retournons voguer vers des eaux plus paisibles. Le soleil fait son apparition, appelant ainsi à la baignade.

Nous restituons les kayaks au fils du patron, dont la mollesse trahit les jeunes années passées dans ce cadre baba cool. Le restaurant du lieu est en train d’ouvrir, et les serveurs qui s’affairent ont l’air plus alertes que leur collègue de la réception. Nous tentons notre chance pour obtenir des informations en vue de la visite de la Sierra, et après une courte attente (sur l’échelle de Baja) de seulement une heure, arrive Efrain, sa moustache, ses yeux gris, et sa massive bedaine. Professionnel, il nous explique que les difficultés de la visite sont liées à la réouverture toute fraîche du site, après 14 mois de fermeture liée au covid. Clair, précis, Efrain nous propose ses services, et nous convenons de nous retrouver le lendemain à 9h pour découvrir le Canyon de San Francisco et ses peintures ancestrales. Pour l’heure, nous rentrons au ranch reposer nos muscles tendus par l’effort.

Écriture et lecture sur la terrasse ombragée du ranch, à regarder les paons de la patronne se courir après. Fatigués de notre courte nuit, nous optons pour un restaurant à proximité du ranch pour le dîner. Le Rice & Beans, situé entre la Transpeninsula et la rivière, nous accueille dans une salle vide mais chaleureuse. La nourriture est simple et bonne, et, après dîner, nous regardons avec le serveur la fin d’un épisode du Koh Lanta locale. Bella récolte la quasi-totalité des suffrages, sa sentence est irrévocable. Nous rions de bon cœur avec nos hôtes puis rentrons au ranch. Nous discutons un moment avec Alex et Craig, deux volleyeurs américains en road trip dans les parages, puis regagnons nos quartiers pour une belle nuit de sommeil. Demain, de nouvelles découvertes dans les montagnes de la Sierra San Francisco nous attendent…

Lundi matin, Ranch Espinosa. Il fait à nouveau un temps superbe. Efrain et sa camionnette du siècle dernier sont prêts pour une virée dans la Sierra, et nous aussi. Le désert du Vizcaino s’étend à perte de vue ! Notre guide nous indique, au loin, une chaîne de montagnes brunes qui ferme l’horizon au nord, notre destination. La camionnette commence à grimper vers la Sierra, dont le point culminant atteint 1800m. Nous effectuons un premier arrêt, afin de contempler le Vizcaino. Il fait presque froid ! Depuis que nous avons quitté la côte Est, les vents du Pacifique ont considérablement rafraîchi l’atmosphère…Et, haut-perchés et à cette heure matinale, la chaleur du désert ne nous a pas encore atteint. De notre point de vue, nous voyons cette immense étendue beige et grise de sable, de pierres, de buissons grillés, et de cactus se fondre dans l’horizon dans un nuage de poussière.




La route continue son ascension, longeant le canyon de San Francisco. Un second stop nous permet de l’admirer, posés sur son bord. Le spectacle est saisissant. Ce que je vois m’évoque tout ce qui a nourri mon imaginaire du grand Ouest américain, des albums de Lucky Luke et des Tuniques Bleues aux westerns de Sergio Leone. Tout est là : les flancs du canyon et leurs énigmatiques formes, travaillées par des eaux dont la présence est insoupçonnable, les « cardons », ces hauts cactus si caractéristiques, et même les vautours, qui profitent des courants ascendants, et espèrent ardemment que la beauté aride de l’endroit nous étourdisse, précipitant notre chute au fond du canyon. L’écho, infini, sollicité par la voix puissante d’Efrain, offre une bande sonore parfaite à notre film d’aventure.







Plus haut, le canyon devient plus étroit et serpente sur les hauts plateaux tel un crotale du désert.


Nous parvenons, à 1300m d’altitude, à la Cueva del Raton, la « grotte de la souris », et ses peintures rupestres vieilles de plus de 7000 ans. Je m’étonne, et m’émeus de la similarité des dessins avec ceux du canyon de la Trinidad, pourtant séparés par quelques millénaires. Les mêmes figures, les mêmes traits enfantins…Ce qui laisse supposer de l’immense importance de la transmission pour ces peuples ancestraux. Le sanctuaire où nous nous trouvons en est d’ailleurs sans doute une preuve tangible…Le personnage le plus emblématique de la grotte est un chaman bicolore, mystique, dont la tête, noire et sans visage, est peut-être un passage vers les mondes engloutis.





Afin de profiter du paysage, nous convenons avec Efrain de le retrouver un peu plus loin, et faisons un bout de chemin à pied. L’occasion de croiser quelques oiseaux du désert, et même un petit et agile spermophile de Californie.






Puis nous quittons la Sierra de San Francisco et ses trésors, et notre guide nous dépose sur la jolie place centrale de San Ignacio. Sur le chemin du ranch, nous passons devant la lagune arpentée en kayak la veille, et ne résistons pas à une baignade rafraîchissante. Sous le soleil, la vue sur le volcan est encore plus belle.

De retour chez nous, nous plions bagages, et le sémillant Guillermo nous dépose à la gare routière, où un bus tardif doit nous emmener vers Guerrero Negro, ultime étape de notre tour de la Baja Sur. Évidement, le bus ne part pas à 19h30, mais à 20h30. « Mejor comprar los boletos aqui, internet not good » me glisse l’employé placide derrière son guichet. Nous avons ainsi tout loisir de déguster un savoureux pic-nic, assis sur la dalle en béton qui fait office de terminal de bus.
Nous arrivons tard, et fourbus, à Guerrero Negro. Le temps de récupérer les clés, de prendre une douche et nous voilà au lit. Avant de m’endormir, je retourne un instant au canyon de San Francisco, et regarde les signaux de fumée envoyés au loin par un homme sans visage.

Je vous embrasse !
Julien