Mardi matin, Guerrero Negro. Levé tôt, je pars en expédition pour récolter les informations nécessaires à notre séjour ici. Il fait froid. Et gris. Au bord de l’unique route goudronnée de la ville, pourtant pas si petite, se succèdent motels sans charmes, tiendas désolées, et terrains vagues jonchés de détritus. Pas vraiment très engageant…Construite pour loger la main d’œuvre des salines toutes proches, Guerrero Negro est devenue ensuite une ville de passage, pour les amateurs des baleines de la Laguna Oro de Liebre, et pour les voyageurs explorant la Baja du Nord au Sud. Ce qui explique sans doute cette urbanisation improvisée et sans charme, ces airs de ville fantôme, d’usine désaffectée, voire de décharge à ciel ouvert. Étrangement, la description du Lonely Planet était plutôt flatteuse…Étonné plus que contrarié, je m’engage sur cet aire d’autoroute déguisée en ville et interroge les locaux dont les sourires m’assurent que nous nous trouvons bien dans le monde réel. Bilan : la saison des baleines est belle et bien close, les derniers spécimens ayant pris la route de l’Alaska il y a quelques jours. Les salines non plus ne se visitent plus, le départ des cétacés ayant mis l’intégralité des activités touristiques en stand-by. Néanmoins, je repère une longue balade dans les marais à faire à vélo, ainsi qu’un endroit où en louer non loin de l’hôtel. Nous avons donc notre programme de demain. Et pour aujourd’hui, nous improviserons.

De retour à l’hôtel, mes compagnons sont levés, et découvrent à leur tour, un peu désemparés, le décor de mauvais road movie qu’est Guerrero Negro. Nous prenons le petit déjeuner dans le restaurant attenant à l’hôtel, que nous faisons durer puisqu’il n’y a pas grand chose à faire dans les parages. Nous rions de l’invraisemblance de cette ville, et débattons : était-ce l’étape de trop ? Nous parvenons à la conclusion que non, puisque la tristesse de l’endroit donne encore plus de relief à la beauté des épisodes précédents, et puisque nous sommes convaincus que la ville nous réserve son lot de surprises !

Et puis, égoïstement, notre inactivité est une aubaine : le PSG dispute à 13h son quart de finale retour de Ligue des Champions, contre le Bayern…Et le restaurant est en mesure de diffuser le match en direct ! Nous voici donc tous les trois, ainsi que quelques locaux curieux, à regarder cette magnifique et intense partie de football. Neymar, ce génie, livre une prestation magique, Gueye accomplit un match exceptionnel au milieu, et même l’inconstant Dagba parvient à contenir Coman sur son côté droit…Et a l’issue d’un match héroïque, au bout du suspense, le PSG se qualifie pour les demi-finales de la compétition reine ! Je suis épuisé au coup de sifflet final, tant mes nerfs ont été mis à mal, et je ne peux m’empêcher d’évacuer la tension en faisait des sauts de cabri dans le restaurant, sous le regard amusé (effrayé ?) des clients.

Il est temps de sortir s’aérer, d’autant que le soleil tente une percée à travers la grisaille. Nous marchons vers le « centre ville », trois kilomètres plus loin sur l’interminable route goudronnée. Rien à signaler là-bas non plus, si ce n’est un colibri à gorge rose et une famille de perruches nichant dans un palmier. Nous repérons aussi le chemin à emprunter le lendemain pour notre promenade dans les marais.


Le ciel est totalement dégagé à notre retour à l’hôtel. Nous décidons alors de prendre l’apéro sur « la terrasse » de notre chambre triple (un banc en plastique donnant sur le parking) et passons un excellent moment ! La leçon de sifflements, promise après une démonstration pourtant peu convaincante au canyon de San Francisco, s’achève en fou rire, après quelques succès relatifs de mes dissipés élèves. Nous poursuivons la soirée dans la même bonne humeur au « Los Caracoles », le restaurant où nous avons déjà passé une bonne partie de la journée (et le seul de la ville ouvert…). La pizza « Mexicana » que m’apporte la joviale serveuse alors que mes collègues ont déjà terminé leurs fajitas déclenche à nouveau les rires : elle bat des records de gras ! Bacon, fromage, chorizo…J’aurai sans doute dû suivre les conseils de mes amis et opter pour un choix moins risqué…Nous regagnons l’hôtel le sourire aux lèvres, la nuit tombant sur cette épouvantable ville de Guerrero Negro. Rarement l’adage « peut importe l’endroit, c’est la compagnie qui compte » n’aura été aussi à propos !

Mercredi matin, hôtel Los Caracoles. Même grisaille, mêmes trottoirs sales et délabrés, mêmes terrains vides et désolés. Mais mêmes généreux pancakes, même serveur rouquin, et mêmes sourires amusés sur le visage de mes comparses. Tout va pour le mieux à Guerrero Negro. Nos petits déjeuners consommés, nous allons chercher nos vélos et partons à la découverte de la zone marécageuse au milieu de la lagune. Avant de nous engager sur la route poussiéreuse qui mène au « faro viejo », nous nous arrêtons au pied du nid des perruches, afin d’observer les oiseaux colorées dans une lumière (légèrement) plus flatteuse que la veille.

Les résultats sont peu convaincants, mais, sous le palmier, nous faisons une belle rencontre. Une jeune et jolie chienne blanche vient quémander des caresses. Elle porte un collier, et doit appartenir à l’une des jolies maisons de l’unique rue correcte de la ville. Nous nous remettons en selle, suivis, puis devancés par notre amie canine, qui nous ouvre le chemin.

Celui-ci est ardu : la route de sable et de pierre est difficile, et le vent souffle fort et de face. Mais l’effort est récompensé par le paysage, la fameuse surprise de Guerrero Negro est sous nos yeux. Deux jours après avoir quitté le désert, nous voici en pays guérandais. Sur mon vélo, emmitouflé dans mon coupe-vent, je pourrais aussi bien être en promenade automnale sur la route des marais salants…C’est si insolite de découvrir un tel paysage ! Encore une facétie de cette surprenante Baja.


Les couleurs se révèlent alors que le soleil commence à se faire sentir. Le vent donne une texture prodigieuse à l’eau des marais, et les contrastes entre les verts et bleus puissants de la plaine, le beige de la route, et le blanc des dunes à l’horizon sont fabuleux. La faune n’est pas en reste, et nous découvrons des oiseaux de rivière jusque là inconnus. Un groupe d’american avocets, noirs et blancs, tête fauve et long bec recourbé, flottent paisiblement sur un étang.


Plus loin, je crois apercevoir un grand héron bleu. Mais sa tête rousse et son magnifique œil vert clair me détrompe : il s’agit d’une superbe « reddish egret » ! Alors que je tente de la prendre en photo, notre compagne à quatre pattes, court joyeusement à sa rencontre, provoquant à chaque fois son envol, sous les rires de Julie et Aurélien…Je finis tout de même par atteindre l’échassier et prendre quelques clichés, pour élargir le bestiaire du blog.


Le vent forcit, la route se dégrade, le phare semble s’éloigner à chaque coup de pédale, mais le paysage gagne en beauté.



L’infatigable Marie-Jo, surnom donné à la chienne par Aurélien en raison de ses aptitudes physiques hors norme, déclenche des nuées superbes de « willets » mêlés à de splendides « marbled godwits » cannelle.




Éprouvés, nous atteignons le vieux phare, et l’ancienne jetée d’où était exporté le sel jusqu’à ce que l’activité se déplace plus au sud. Nous observons les oiseaux, et trouvons de l’eau pour Marie-Jo qui commence à tirer la langue. Quelques autochtones pêchent de petits poissons, découpant la tête de leurs prises avec une précision tranchante à faire rougir Maïté. Les mouettes se chargent de faire disparaître les restes en un tournemain.




Le retour est beaucoup plus aisé, poussés que nous sommes par le vent. Marie-Jo a regagné du poil de la bête et chasse les canards en courant à perdre haleine.




Aux abords de la ville, la marée montante a rempli un grand bassin, dont les eaux blanches et turquoises brillent au soleil.


Sous l’arbre aux perruches, nous laissons les vélos et Julie et Aurélien se mettent en quête de la maison de Marie-Jo. Il ne faudrait pas que l’adorable chienne nous suive jusqu’à l’hôtel…Un tour du pâté de maison suffit à Julie, qui revient sans Marie-Jo, l’animal se reposant dans ses foyers. Nous pouvons rentrer sereinement. La fin d’après-midi est dédiée à l’échange de photos, ce qui nous fait retraverser en accéléré le formidable tour de Basse Californie Sud réalisé avec mes amis. L’heure de la séparation approche…En effet, nous avons renoncé à remonter jusqu’à Tijuana, devant la difficulté de parcourir autant de kilomètres, et au regard du nombre limité d’attractions sur le parcours. Demain, nous rentrons donc à La Paz, où nos chemins se sépareront. Julie et Aurélien retourneront à Cabo San Luca, d’où partira leur vol pour San Francisco, tandis que je franchirai la Mer de Cortés, en Ferry, pour explorer le Canyon du Cuivre. Nous profitons ainsi de nos derniers moments ensemble : nouvel apéro sur la terrasse, et nouvelle soirée au Los Caracoles, où je fais un choix plus judicieux que la veille. Je savoure ces instants précieux, sachant que, une fois parti vivre leur rêve américain, mes amis me manqueront beaucoup !

Je vous embrasse !
Julien