Lundi matin, La Paz. Dernier jour en Basse Californie. La vie de l’auberge se poursuit en cette matinée paresseuse, au gré des départs et des arrivées. Je pratique mon espagnol avec la charmante Isabella, qui travaille pour l’hôtel, et qui me raconte des histoires de tomates à dormir debout. À moins que je ne saisisse pas l’essence de la conversation, ce qui est tout à fait probable. Sans avoir trouvé les coupables (si c’est bien d’un vol de légumes dont il s’agit), je sors arpenter une dernière fois le Malecón de La Paz. Le bleu azur du matin a déjà laissé sa place au dégradé habituel de l’après-midi.

En cette heure chaude, les badauds sont tapis dans l’ombre des terrasses, et la promenade est déserte. Quelques locaux en polo bleu ciel vendent, sans trop y croire, des tours pour nager avec des requins-baleines qui ont déjà quitté la baie. Je passe devant les bars, branchés ou moins, ayant servi de scènes à nos belles soirées lapaziennes. Les statues de bronze qui ornent le Malecón n’ont plus de secret pour moi : la sirène, les requins marteaux, puis Cousteau, avant d’arriver au pêcheur et d’obliquer sur la droite pour rejoindre la Casa Esterito. Je boucle mon sac, salue Charlie et Fabiana, et quitte avec une pointe de nostalgie la maison où j’aurai passé le plus de nuits depuis le début de mon voyage. Oscar, noté 4,76/5 sur l’application Uber, me dépose à l’embarcadère de Pichilingue, et après les formalités d’usage, je m’installe dans le salon numéro 1, place 10, du Ferry « Mexican Star ».

La salle, pourtant petite, est invraisemblablement bruyante : deux écrans géants diffusent des navets américains, et, devant, les adultes, trop occupés à manger des cheetos, ont laissé le pouvoir à des enfants survoltés, dopés au mauvais glucose. Je dépose mes affaires et sort m’aérer sur le pont. Là, je regarde La Paz s’éloigner, alors que nous passons entre la playa Tecalote et l’isla Esperitu Santo. Je guette la baleine, mais la mer moutonneuse, pleine de leurres, rend la tâche impossible. Je me résous à rejoindre ma place, et profite d’une accalmie pour raconter mon ultime séjour dans la capitale de la Baja Sur. La paresse me gagne et je me laisse sombrer devant un énième film de super-héros où les gentils se liguent contre un super méchant qui s’apprête à boucler sa collection de Pokémons.

Il est 21h30 lorsque le Mexicain Star s’immobilise dans le port de Topolobampo, qui n’est pas le dernier tube de Carlos mais bien une petite ville de l’état de Sinaloa. Et il est 22h30 lorsque nous sommes enfin autorisés à quitter le navire. Entre temps, je suis parvenu à me faire renverser une Tecate light sur l’entrejambe, et à me faire uriner dessus par un chien probablement sous cocaïne. Le tout en deux minutes chrono. La double scène nous a valu, à moi, un mexicain obèse à la casquette « Duff », et un malicieux gosse d’une dizaine d’année, un sacré fou rire.

Commence alors la longue et pénible quête du Tortuga Hostel. Un chauffeur de taxi me dit qu’il est fermé. Je lui dis que j’ai une réservation. Il me dit de trouver un autre taxi. L’autre taxi m’accepte, mais me demande d’un ton inquisiteur pourquoi diable ai-je choisi cette ville et cet établissement pour la nuit. J’hésite à lui demander pourquoi diable a-t-il choisi un métier comprenant des interactions humaines, mais me ravise, n’ayant pas envie de passer la nuit dans son coffre. Pour un prix exorbitant, il me dépose au pied d’une colline sombre, devant un dédale de ruelles en escalier, baragouinant des indications en morse, ou en chinois peut-être. Je grimpe les marches inégales, dans une obscurité presque totale, et un silence de plomb seulement rompu par des chats errants à la silhouette émaciée. Une forte odeur d’urine, que je soupçonne venir d’ailleurs que de ma jambe souillée, complète le tableau. Sinistre. Je monte et descends la colline en tout sens, sans trouver nulle présence du Tortuga Hostel, sans doute rentré dans sa carapace pour la nuit. Je finis par entendre des voix humaines et me dirige à tâtons vers leur source. Ces dames sont gentilles mais inefficaces au possible. À ma 17ème demande, elles finissent par appeler quelqu’un et me disent d’attendre devant l’hostel que cette mystérieuse personne arrive. Je réitère que le problème initial est bien que je ne trouve PAS cette satanée auberge, et suggère que l’une d’elles m’accompagne à destination. Enfin, la plus jeune se décide à me rejoindre dans la rue. Mais elle se contente de me montrer du doigt la même direction vague qu’elle pointait de son balcon. Je cherche du regard les caméras cachées de surprise-surprise, et abandonne mes bienfaitrices avant d’en faire de la soupe de tortue. Je finis par m’assoir sur l’un des seuls perrons éclairés que je trouve, dans l’espoir que ce sera le bon. Bingo, vingt minutes plus tard, une jeune fille me trouve à demi-assoupi contre les murs du Tortuga Hostel. Sans autre remarque que celle-ci : « on attendait une fille, c’est pour ça qu’on a pas compris lorsque les voisines nous ont appelé ». Je pense vaguement à leur expliquer que Julien est bien un nom masculin, ou que j’ai fait des cures de testostérone, mais j’ai déjà abandonné depuis longtemps, et me laisse conduire docilement jusqu’au dortoir. Avant de m’effondrer sur ma paillasse, j’échange tout de même deux politesses avec Arlette, la jeune allemande qui bouquine sur le lit d’à côté. Je ferme les yeux. Et c’est là que le coq commence à brailler. Bonne nuit, merci, bonsoir.
Mardi matin, Topolobampo. Je ne sais pas qui j’ai le plus envie d’occire au réveil : le coq qui a chanté toutes les heures, littéralement devant la porte du dortoir, ou les idiots irresponsables de la compagnie de ferry qui ont poussé à fond la climatisation. Peut-être mettre l’un au frais dans une cage flottante glaciale, et faire du bouillon de poule avec les autres. Entre clairon et éternuements, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Et je suis BOUGON.

La vue superbe du toit terrasse du Tortuga Hostel, et un café avec mes deux colocataires suffisent néanmoins pour effacer ma mauvaise humeur. Arlette, venue au Mexique de son Dortmund natal il y à deux mois, vient de terminer un volontariat sur un voilier dans la Mer de Cortés. Glenn, retraité américain habitué du Mexique, achève lui tout juste un tour de la péninsule de cinq mois, en kayak ! Nous venons tous de Baja donc, et nous dirigeons tous vers le Canyon du Cuivre. J’apprends grâce à eux que le prochain train « El Chepe » qui traverse ledit Canyon ne part que Vendredi. Raison pour laquelle mes compagnons du jour sont venus se mettre au vert à Topolobampo. Pas grand chose à faire ici néanmoins…Je décide donc de rejoindre le village d’El Fuerte, à 150 km dans les terres, d’où je pourrais prendre El Chepe Vendredi. Nous convenons de nous retrouver à bord, et je salue mes comparses.
Un taxi me porte à Los Mochis, la ville du célèbre narcotrafiquant « El Chapo », où je ne m’attarde pas plus de deux minutes, le temps de sauter dans un collectivo pour El Fuerte. Si vous êtes perdu entre tous ces El Machin-chose, c’est normal, moi aussi. J’arrive au pueblo en début d’après-midi, et découvre un joli grand village, très arboré, aux rues calmes et colorées. Je pose mes affaires devant la Posada Don Jose, et attends patiemment la fin de la sieste du patron, manifestement insensible à mes coups de sonnette. Je discute avec les charmantes voisines qui me louent l’une l’artisanat local (elle possède une boutique en ville), et l’autre les fabuleux perches noirs du rio (elle travaille dans un restaurant sur le Zocalo). Omar s’excuse de m’avoir fait attendre, et me guide vers ma petite chambre, simple et commode. Je quitte la Posada, non sans avoir promis à ces dames de passer une tête dans leurs commerces respectifs, et marche vers le centre.

La place centrale est jolie, avec son jardin ombragé, son kiosque, sa belle église et son palais municipale de style colonial. Je pousse jusqu’à l’ancien fort qui domine le rio Fuerte, et abrite un drôle de musée. Sans queue ni tête, le parcours de l’exposition permanente est un voyage absurde dans un monde de curiosités : de vieilles pétoires rouillées aux pièces d’électro-ménager des années 80, en passant par le carrosse mortuaire d’une famille de notables d’El Fuerte. La visite en est d’autant plus amusante !




Je me promène ensuite sur les bords de la rivière, dont les rives verdoyantes contrastent avec les paysages désertiques de la Baja. Bon, ce n’est pas l’Écosse non plus. Même si je découvre avec désagrément les cousines mexicaines des terribles « midges » des Highlands. Ces petites mouches qui attaquent en nuées et causent de douloureuses piqûres qui démangent sont encore pires que leurs parents britanniques : elles sévissent du matin au soir. Je me carapate dans un restaurant, mais il est déjà trop tard. Mes jambes et mes bras sont couvertes de boursouflures rougeâtres, que je m’efforce de ne pas gratter. Le serveur, compatissant, m’apporte une crème répulsive, et prend ma commande. J’opte pour le fameux perche noir et réalise que je fais faux bond à ma voisine, mais que j’aurai tout le loisir d’aller la voir le lendemain. Je me régale, en entamant mon nouveau pavé : l’histoire du Mexique. Et poursuit ma lecture une fois de retour à l’hôtel, ayant bien vérifié l’absence de nuisibles dans les parages, pas de midges ni de coq en stock. De quoi espérer une bonne nuit dans ces nouvelles contrées !


Mercredi matin, El Fuerte. Un joli petit rhume a perturbé une nuit sinon fraîche et calme. Encore nettement fatigué, je me dis qu’une journée de marche sous le soleil de Silanoa devrait me faire du bien : j’ai repéré un sentier menant à des pétroglyphes, dans les collines dominant la rive opposée du rio Fuerte. Avant cela, je m’offre un petit déjeuner copieux chez “El Texaco”, où je retrouve Jenny, ma voisine. Son débit est encore plus rapide que la veille, et mon semblant d’état grippal n’aide pas à la compréhension. Je me contente d’opiner du chef en dégustant mes huevos rancheros.

La peau ruisselante d’un visqueux et odorant mélange de répulsif et de crème solaire, le sac plein d’eau fraîche, et casquette vissée sur le crâne, je m’engage sur le chemin du Cerro de la Mascara. Le sentier longe d’abord la rivière, aux bords toujours aussi verdoyants, avant de la traverser au niveau du hameau de La Galeria.


Là, je suis une route de terre poussiéreuse, dont les abords deviennent de plus en plus secs à mesure que je m’éloigne du rio. Le sentier monte et descend entre de petites collines grises tachées de vert et de jaune. De leurs sommets, sans la voir, on devine la trajectoire de la rivière. Au milieu de la forêt desséchée, un ruban vert ondule élégamment, marquant les berges fertiles du rio Fuerte. Outre les oiseaux dont je commence à reconnaître la robe, ou le chant (gila woodpeckers, black phoebe, ash-throated flycatcher…), je croise furtivement un énorme coati à l’épaisse fourrure caramel ! Alors qu’il disparaît, je me demande comment l’animal peut supporter la chaleur avec un tel manteau…




Je marche longtemps, sans jamais trouver les pétroglyphes. Mais j’ai amplement profité du singulier paysage, et fais demi-tour avant de risquer de manquer d’eau ou de finir toasté. Éprouvé, je rejoins la Posada à l’heure de la sieste et tente d’imiter Omar, mais sans succès. Je reste néanmoins au frais dans ma chambre pour me remettre (enfin…) à mes leçons d’espagnol. Ce mois en Baja a certainement été l’occasion de pratiquer la langue, mais je n’ai pas été très studieux sur la théorie…Ceci fait, je me remets en mouvement et gagne le Malecón, dont les arbres offrent un ombre bienvenue. Je m’arrête un moment pour écrire (ayant revêtu mon armure olfactive anti-midges), puis me rends de nouveau au Texaco, où je me régale d’un filet de perche à la plancha. À l’hôtel, la lecture captivante de l’histoire du Mexique retarde mon coucher. Puis vient l’heure de clôturer cette journée improvisée mais très bien remplie !

Jeudi matin, Posada Don Jose. Le ciel est légèrement couvert aujourd’hui. Il fait bon, les rues d’El Fuerte sont encore fraîches en ce début de matinée. Je me rends à ma cantine pour le petit déjeuner (El Texano étant l’un des seuls restaurants abordables du pueblo). Là, je profite de la disponibilité de Jenny pour vérifier mes informations pour le train du lendemain. Comme j’aurai du m’y attendre, la conversation apporte d’avantage de perplexité que de certitudes. Je marche ensuite vers la station de taxi afin de poursuivre mon enquête. « Il n’y a pas de train » me dit le premier chauffeur. Peu convaincu par son ton trop définitif, je demande au second. « Il y a peut être un train, mais pas sûr ». On progresse. Je suggère au troisième d’utiliser l’appel à un ami, pour gagner du temps. L’ami s’avère une source plus fiable, et il me confirme les infos récoltées précédemment. Par contre, les trois chauffeurs m’annoncent en cœur que je ne peux pas acheter mon billet à la gare d’El Fuerte. Lorsque je leur dis penser pouvoir le faire sur les internets, les hommes sourient : « Todavia puedes probar… ». Je retourne donc au Texano, et essaye. Plusieurs fois. Sans succès. J’échange alors par messages avec Arlette et Glenn, pour qu’ils essayent de m’acheter mon billet de Los Mochis. Mais une pièce d’identité est nécessaire. Pour mettre toutes les chances de mon côté de monter dans ce train qui décidément se mérite, je décide de retourner à Los Mochis, point de départ de la ligne. Je file récupérer mes affaire à la posada, et saute dans un collectivo. Debout dans le mini-bus, je travaille mon espagnol en écoutant les conversations : ici un entrepreneur vante au téléphone les mérites de ses fontaines à eau, ici deux jeunes filles débattent sur les chaussures à porter à la première communion de leur cousin, là deux abuelas parlent manifestement de gastronomie, mais la discussion est trop technique pour que je la comprenne.

À Los Mochis, je pose mes affaires dans un hôtel du centre, propre et sans charme, et monte dans un bus vers la gare, pour acheter mon précieux billet. Évidement, le guichet est fermé. Il n’ouvrira que demain matin à 7h, soit une heure avant le départ du train. Celui-ci est déjà à quai, au moins ai-je désormais une preuve tangible qu’El Chepe existe bel et bien. Je rebrousse chemin, en riant de cet aller-retour à blanc. Je me dis que j’ai décidément de la chance d’avoir du temps…Quatre jours à attendre un hypothétique train, sans même un billet en main…Un voyageur plus pressé serait inévitablement passé à côté du canyon du cuivre…Je passe un moment au frais dans ma petite chambre, pour poster un article, puis sors à la découverte de Los Mochis. Si je suis vraiment dans le centre, comme les cartes semblent le dire, alors Los Mochis ressemble dans son entier à la périphérie d’une ville moyenne américaine : de larges avenues, peu denses, parsemées de « malls », de fast foods, de stations-essence, et de « department stores ». Je trouve tout de même un Zocalo, sur lequel une centaine de militants chantent la gloire de leur champion pour les prochaines élections régionales. Non loin, un joli parc offre une oasis de verdure au milieu de ces autoroutes du shopping. Je lis un moment, épargné par les midges, en regardant de gros canards à la face rougeaude se dandiner dans les allées. Je traverse ensuite un quartier chic, aux grandes maisons de plain-pied protégées par d’imposants grillages, et y trouve un restaurant italien (comprenez pizzeria premium). La regina est médiocre mais le personnel se donne du mal pour que leur unique client passe un bon moment, et cela fonctionne. Je bavarde avec le sympathique serveur, avant de retourner à l’hôtel. Encore une improbable journée ! J’ai tout de même hâte de monter dans ce train, une semaine après avoir clôturé le tour de la Baja Sur…Il me tarde de gambader en toute liberté sur les flancs du Canyon du Cuivre !

Je vous embrasse !
Julien
C’est bien tu as bien bu de l’eau pendant ta rando à El Fuerte !! Désolé de reprendre le fil de tes aventures si tardivement, le retour est une tornade de choses à faire er d’histoires à raconter… les petites insomnies aident à reprendre le fil de ton blog et de tes petites blagues. Gros bisous de Julie et moi copain ! !
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