Samedi matin, Tulum. La nuit a été bonne, la pluie qui tombe depuis quelques jours a rafraîchit l’atmosphère. Le glamping est presque vide, nous préparons tranquillement le petit déjeuner en discutant avec Matias. Au programme de la journée : visite du site maya de Tulum et plage. Nous empruntons des vélos à notre hôte et traversons la ville jusqu’à son extrémité nord, où se trouve la zone archéologique. Promenade qui évidement s’effectue en grande partie sous la pluie tropicale. Connue avant tout pour sa situation exceptionnelle, seule site maya directement sur la mer, Tulum l’ancienne est une attraction prisée des touristes. Mais pas aujourd’hui. Le site est fermé depuis deux semaines et jusqu’à nouvel ordre. Je m’étonne que le covid ait attendu la fin de la haute saison touristique pour amorcer une recrudescence dans la région…Un peu frustrés par la nouvelle, nous nous rendons tout de même sur la plage, qui a elle été épargnée par la pandémie. Nous sommes surpris de la faible affluence, non aidée il est vrai par la météo inhospitalière. Les couleurs sont belles, et le ciel menaçant donne de la profondeur et du contraste au paysage. Une large bande d’algues brunes, disgracieuse selon les standards actuels, ajoute une harmonieuse touche beige au tableau.



Nous marchons le long de la plage, jusqu’à son extrémité, d’où l’on devine, surplombant la mer des Caraïbes, les tours de la cité antique. Un sentier monte le long de la colline, conduisant à un bâtiment moderne laissé à l’abandon.



Là, nous trouvons ce qui pourrait bien être une voie d’accès cachée au site. En quête d’aventure, et d’une porte secrète menant aux ruines, nous nous y engageons, à pas furtifs. Après quelques zigzags à travers la forêt, et le franchissement de barrières défraîchies, nous parvenons à un mur de pierre décati, où paressent de jolis iguanes. De l’autre côté, nous voyons les allées vides de la zone archéologique. Prudemment, mais gonflés d’adrénaline, nous franchissons l’ultime ligne de démarcation qui fait de nous des hors-la-loi. Arrivés sur le site, nous progressons à travers des fourrés infestés de nopals, à pas feutrés afin de ne pas attirer l’attention des gardes qui patrouillent sur les chemins. L’approche est difficile, surtout avec une paire de tongs aux pieds. Mais nous parvenons tout de même jusqu’aux édifices majeurs du site, qui disposent il est vrai d’une vue splendide sur la mer.





Dilemme : si nous voulons en voir d’avantage, il va falloir se mettre à découvert pendant de longue secondes avant d’atteindre une nouvelle cachette. En plus des gardes, les nombreux bateaux qui circulent en contrebas ne manqueraient pas de prévenir leurs collègues de notre présence. Alors que nous tergiversons, un garde vêtu de bleu ciel fait son apparition à une trentaine de mètres plus loin. Nous prenons la tangente, courant à perdre haleine au cœur des fourrés. J’en perds mes tongs et marche pieds nus sur un plan de nopal, heureusement orphelin de la plupart de ses épines. Tapis dans l’ombre, presque invisibles, nous attendons que s’éloigne le garde, en tentant de ne pas exploser de rire. Nous avons à nouveau dix ans. Mais cette cure de jouvence prend fin alors que nous nous décidons à quitter notre cachette : l’expérimenté guide nous attend sur le sentier. Pas question de fuir à nouveau. Beaux joueurs, nous acceptons notre défaite. Ce petit jeu nous coûtera tout de même 500 pesos, ni Arlette ni moi ne disposons malheureusement de plus petites coupures pour s’acquitter du pot de vin que nous demande le garde. Un peu plus cher que la visite classique certes, mais nous nous sommes bien amusés.

Nous repartons par le même chemin, retraversons le mur, saluons les iguanes, et sommes bien vite de retour sur la plage. La pluie se met à tomber, signe qu’il est temps pour une baignade dans les eaux troubles de Tulum. L’eau est si chaude que le bain ne rafraîchit nullement, mais il fait bon se laisser balloter par les petites vagues, à regarder les pélicans dériver doucement. Lorsque la pluie cesse, nous nous allongeons sur le sable, en observant la faune des touristes américains en villégiature, débattant à grand bruit sur les établissements de nuit à élire pour la soirée. Nous établissons nous aussi un programme sensationnel : dîner au Bayou, fajitas de pollo maison et vin argentin. Nous reprenons les vélos, faisons halte au supermarché et rallions nos foyers. L’hôtel est toujours aussi calme, nous débriefons de notre journée avec Matias, en préparant le repas. Nous nous régalons une nouvelle fois, et réglons les préparatifs de notre excursion à Coba pour le surlendemain. Impatient de découvrir ce site maya en pleine forêt dont on m’a tant parlé, je m’endors, alors que dehors la pluie recommence à tomber.

Dimanche matin, hôtel Bayou. Le café acheté la veille a un goût désastreux, mais il ne gâche en rien un petit déjeuner pris en bonne compagnie dans un lieu si unique. Je suis ensuite heureux de renouer avec le traditionnel call dominical, et de voir les visages de mes parents, frère, sœurs, et neveux. Pas de programme chargé aujourd’hui, nous nous rendons simplement, à pied, au cenote Mayan Blue, à quelques encablures de notre tente de luxe. Nous n’y trouvons qu’une poignée d’habitués, comme liés par la connaissance commune de ce lieu secret et enchanté. Dans ce havre de quiétude règne une douce intimité, et, dans ces eaux cristallines où se mêlent nuances de bleu et de vert, nous nous sentons bien. L’après-midi s’écoule paisiblement, à regarder entre deux sommes les orioles survoler le cenote.


De retour chez nous, je m’attelle à la publication d’un article, pendant qu’Arlette poursuit sa lecture sur les Aztèques. En début de soirée, nous nous rendons en ville pour dîner. L’offre est pléthorique ! Nous nous arrêtons à la première terrasse qui nous paraît sympathique. La nourriture est bonne, mais les prix pratiqués élevés et nous avons encore grand faim en quittant les lieux. Nous nous offrons donc une glace, que nous dégustons assis sur un banc, en regardant les passants. Il y a là tout un microcosme, un ensemble d’espèces tout à fait diverses mais qui semblent vivre en harmonie, chacun participant à sa manière à l’écosystème Tulumien. Quelques grappes de jeunes femmes, haut perchées sur leurs talons compensés et moulées dans de très courtes robes, marchent d’un pas déterminé vers le club dans lequel elles comptent bien mettre la main sur un prince plus ou moins charmant, selon arrivage. Ces messieurs, de leur côté, plus collectifs, répètent leurs gammes sur le trottoir, torses bombées et tatouages au vent, animés par les tournées de tequila ingurgitées depuis la fin d’après-midi. Au milieu de ces meutes unisexes, un couple de jeunes gens beaux et bronzés parade fièrement, exhibant l’un et l’autre leur « date » comme un trophée. Enfin, un hippie new age, pieds nus, saroual sur des hanches maigres et bandana noué dans des cheveux longs et bouclés, distille quelques « namaste » à ses congénères. C’est beau une ville, la nuit.

Ravis de notre escapade nocturne et anthropologique, nous nous mettons en route vers la maison Bayou. Et c’est là bien sûr, qu’il commence à tomber des cordes. Nous nous abritons sous le porche d’un vendeur de pneus, en attendant une accalmie, puis, habitués que nous sommes, continuons notre route sous une pluie qui néanmoins s’amenuise progressivement. Une fois au sec sous notre tente de compétition, nous nous couchons bien vite : le réveil sonnera tôt demain, afin d’être les premiers à franchir les portes de la sauvage Coba !
Lundi matin, Tulum. Notre scooter nous attends comme prévu à 7h30 petante. Sauf que non. Nous sommes au Mexique. Nous attendons notre scooter jusqu’à 8h15, ce qui nous laisse le temps de petit-déjeuner en paix. La bête paraît en bon état, et nous convoiera sans encombre jusqu’à Coba, à cinquante kilomètres de là. Nous sommes chanceux : pas de pluie au programme aujourd’hui. Nous partons tambour battant, sous le soleil, sur une route verdoyante et peu fréquentée. Le vent rend néanmoins la navigation un poil compliquée, mais nous arrivons entiers aux portes de l’antique cité. Le site est immense ! Seule une partie des bâtiments a été excavée, et la visite consiste en fait en trois sites distants chacun d’environ un kilomètre. Le premier, à l’entrée, exhibe une pyramide exiguë et toute cabossée dont nous tombons tout deux sous le charme. D’autant qu’un vautour y fait sécher ses ailes, et que de petits euphonias jaunes et noirs virevoltent au-dessus des marches.


Les touristes, américains pour la plupart, sont nombreux à être atteints d’une instagramite aiguë, et multiplient les poses aguicheuses devant les merveilles de pierre de la cité maya. Nous marchons vers le second site, enfoncé dans la forêt, se faisant doubler par des charrettes charriant à grand bruit des couples de visiteurs paresseux. Le jeu de balle est superbe, et dans l’arbre centenaire qui ferme l’une des extrémités, un magnifique hibou pygmée fait tourner sa tête à 360 degrés. Comme à Chichen Itza, cette visite est placée sous le signe des oiseaux !


Nous arrivons au pied d’une immense pyramide, isolée au milieu des bois. L’édifice est impressionnant, mais ne possède pas le charme désuet de son petit frère aperçu plus tôt. Mais puisque la taille compte, pour ces choses-là, les badauds se pressent pour s’y prendre en photo. Nous préférons réaliser notre propre photo-shooting, parodie bon-enfant de nos amis voyageurs, récoltant au passage quelques sourires.





Nous laissons ensuite la foule à leurs selfies et nous rendons au site le plus reculé, traversant une haute et épaisse forêt. Moucheroles sociaux et saltators accompagnent notre passage de leurs chants rauques et saccadés.



Nous arrivons sur un site désert, et prenons un plaisir immense à vaguer entre les petits temples de la cité de pierre, dans un silence troublé seulement par le vent et les oiseaux. Nous tolérons la présence d’un troisième visiteur, Aness, jeune lillois en vacances dans les parages. Alors que je le félicite pour le titre de champion de France de football du LOSC, Arlette me fait des grands gestes. De son œil de lynx, elle a aperçu un superbe spécimen aviaire. Je reconnais avec émotion un black headed trogon, l’un de mes oiseau favoris, avec sa tête ronde et ses yeux cerclés de bleu. Une pure merveille. Un second fait son apparition. Puis un troisième, et un autre encore. Ces arbres sont remplis de trogons, qui chantent à l’unisson de leur superbe voix. Le spectacle est incroyable ! Nous nous asseyons sur la pierre pour le contempler. Touché par la magie de l’endroit, et du moment, je m’endors profondément. L’arrivée d’intrus dans nos ruines me réveille, et, altruistes, nous décidons de laisser à d’autres le privilège d’explorer ce paradis.






La visite de Coba a tenu toutes ses promesses, et nous sommes conscients d’avoir vu le site dans des conditions exceptionnelles. Nous remontons sur le scooter et filons vers les cenotes situés non loin de la zone archéologique. Au bout d’une route de terre peu praticable, nous trouvons le cenote Multum-ha, véritable merveille souterraine. À une trentaine de mètres de profondeur, sous une voûte jonchée de stalactites, une grande piscine d’eau douce et cristalline nous attend. Là encore, nous ne sommes qu’une demi-douzaine de privilégiés à jouir des lieux. Profond, le cenote est un terrain de jeu idéal pour pratiquer le « free diving », et, à tour de rôle, nous plongeons pour aller toucher le fond, sept mètres plus bas.

Nous séchons à la surface, en regardant arriver les cars de touristes, à nouveau conscients de notre chance, ou de notre science du timing, peut-être. Nous retournons sur nos pas, faisant halte dans un petit restaurant sur le bord de la route, en face d’un joli petit lac. Là, devant une soupe de poulet pimentée, nous établissons le plan des prochains jours. Ce sera la réserve Sian Ka’an et le village de Punta Allen, situé au bout d’une longue et étroite presqu’île. Le retour s’effectue en maîtrise relative, gêné tout de même par un vent qui a forcit.
Tulum atteint, nous achetons de quoi dîner, puis récoltons les informations pour rejoindre Punta Allen le lendemain. Commence alors une course folle et insensée à travers la ville, pour obtenir désespérément des renseignements fiables. La compagnie de bus ADO nous affirme qu’il n’y a aucun moyen pour s’y rendre. Un taxi que nous arrêtons nous dit qu’il peut peut-être nous y emmener, mais pas sûr. Au terminal des collectivos, un type à moitié endormi me dit que le convoi journalier vers le village de pêcheur part à 16h30. Mais à la seconde gare, un chauffeur nous dit que le collectivo pour Punta Allen part à 14h30. Fatigués d’avoir traversé Tulum en long et en large sans récolter de certitudes, nous convenons de nous rendre au central le lendemain à 14h, et de voir venir. Pour l’heure, il fait faim et nous avons hâte de retourner nous reposer à Bayou. Au menu. Guacamole et rillettes de thon à l’ersatz de Boursin. Un repas frais et léger, partagé en évoquant la formidable journée passée ensemble dans l’étonnante Coba. En attendant d’autres découvertes dans la réserve naturelle de Sian Ka’an !
Mardi matin, Tulum. Notre collectivo ne partant (supposément) que dans l’après-midi, nous prolongeons la location du scooter d’une demi journée, et partons vers les cenotes Dos Oros, au nord de la ville. Nous choisissons la cenote du jaguar, parce que son nom nous inspire, que l’affluence y est minimale, et qu’il y est possible de sauter de quelques mètres de haut. La route pour y accéder est un désastre, mais le lieu tient toutes ses promesses. Au milieu d’une mangrove verdoyante, un grand bassin d’eau translucide repose, environ dix mètres plus bas.




Nous nous jetons dans cette piscine naturelle, et explorons le petit lac. Les poissons sont nombreux entre les branches entremêlées de la mangrove. À l’une des extrémités du cenote, nous découvrons un passage étroit vers une excroissance cachée. Une balançoire pendue à grand arbre trempe au centre de la mystérieuse mare. Un basilic curieux nous observe de son rocher, avant de disparaître dans un vrombissement de feuilles mortes.

Nous quittons la quatrième dimension en retraversant le passage sous-marin, et retrouvons le grand bain. Quelques touristes nous ont rejoint, et s’essayent à quelques plongeons des deux plateformes haut perchées. L’ambiance est excellente, chacun encourageant énergiquement les candidats, du débutant au confirmé. Arlette réalise un joli plongeon de la plus haute plate-forme, tandis que je me contente d’une piteuse bombe, qui me vaut un joli plat des fesses. Nous effectuons ensuite le décompte pour une mexicaine apeurée, qui trouve néanmoins dans nos clameurs le courage nécessaire pour faire le grand saut. Un autochtone clôt finalement le débat en effectuant un salto arrière, déclenchant une salve d’applaudissements. Le sourire aux lèvres, nous quittons nos amis éphémères et regagnons la maison Bayou. Nous débarrassons notre tente quatre étoiles, et Matias nous dépose, à 14h, devant le terminal des collectivos.


Celui pour Punta Allen était bien prévu pour 16h30, mais des ennuis techniques rendent improbable son départ. Avec une famille de touristes locaux, nous cherchons une alternative pour rejoindre le reculé village de pêcheurs. Mais aucune solution claire ne se dégage de nos échanges avec les chauffeurs et autres taximen. Parce que l’on réfléchit mieux le ventre plein, nous nous installons à un café pour établir un plan de substitution. La réserve Sian Ka’an, qui occupe une grande partie de la région, peut aussi se visiter de l’intérieur des terres, à partir d’un village dénommé Muyil, situé en bordure de la grande route Cancun-Chetumal. Nous décidons donc de nous y rendre, et de trouver un endroit où dormir avant d’explorer la réserve le lendemain. Satisfaits, nous retournons à la gare. Là, l’un des chauffeurs nous annonce avec un grand sourire que le collectivo pour Punta Allen, finalement, partira comme prévu. À la même heure que celui pour Muyil. Nous nous regardons en riant, hésitons, mais l’escapade à Muyil a fait son chemin et nous nous tenons à notre plan B. Assis dans le van, nous regardons le minibus tout cabossé partir vers le village perdu, avant de prendre la direction inverse vers notre nouvelle destination.
Une demi-heure à peine plus tard, nous descendons à Muyil. Commence alors, une nouvelle fois, une quête pénible à l’information. Les paresseuses dames du stand d’information de la réserve nous invitent à retourner à Tulum pour trouver un hébergement. Tout comme le monsieur pressé qui vent des statues mayas en plastique de l’autre côté de la route. Heureusement, nous interceptons un garde à la sortie de la petite zone archéologique du coin. Il nous indique à la va-vite une boutique à une centaine de mètres, avant de filer sur son vélo. Dans la boutique, nous trouvons une bande d’hommes attablés, servis par une charmante señorita maya. Le patron interrompt son repas et nous dit que oui, il dispose d’un terrain à deux pas d’ici, avec un cenote, où nous pouvons camper pour la nuit moyennant une somme modique. Heureux que notre résilience ait porté ses fruits, nous acceptons son offre avec joie. Il nous invite à nous assoir sur deux chaises en plastique sur le bord de la route pendant qu’il termine son dîner. Sa femme, hospitalière, sort faire un brin de causette, déclamant fièrement quelques mots de français. Lorsque ces messieurs ont terminé, nous grimpons à l’arrière d’un pick-up hors d’âge, qui nous dépose trois minutes plus tard sur un terrain brut de fonderie, mais parsemé de grands arbres plein de mélodieux oiseaux.

Au fond du terrain, une petite grotte remplie d’eau cristalline sera notre cenote privatif pour la durée de notre séjour. Ravis de nos nouveaux quartiers, nous retournons sur le bord de la grande route afin d’acheter de quoi dîner dans l’unique épicerie du pueblo. De retour chez nous, nous posons nos affaires, montons la tente en hâte, et plongeons dans l’eau fraîche, à la tombée de la nuit. La grotte est peuplée de chauves souris, qui apparaissent et disparaissent subrepticement de minuscules cavités du plafond de pierre. Mais aussi de nombreux moustiques, qui sévissent en masse à cette heure du jour. La baignade tourne court, et nous quittons la grotte couverts de piqûres. À nouveau vêtus, et le moindre centimètre carré de peau apparente noyé de “repellent”, nous préparons un dîner frugal, fait de tortillas aux guacamole et au fromage. Dans ce lieu insolite, nous savourons le calme et la tranquillité offerts par le hasard.

Je vous embrasse !
Julien