Lundi matin, Punta Allen. À 5h30, le soleil n’est pas encore levé, mais le ciel revêt ces couleurs secrètes connues des seuls lève-tôt. Les yeux pleins de sommeil, nous plions bagages, tentant d’emporter avec nous le moins possible de sable de Punta Allen. Les jolis souvenirs nous suffirons.

Quelques instants plus tard, nous attendons le capitaine « Burro » au bout de l’embarcadère. La lumière du matin sur la lagune est superbe ! À 7h30, nous sautons dans sa lancha, pour une traversée merveilleuse de la lagune. Pour un prix dérisoire, nous quittons en douceur notre cher lieu de villégiature, en naviguant paisiblement dans ce grand lac bordé de mangrove.



Burro nous dépose au bout de la lagune, à une quinzaine de kilomètres de Tulum. Nous commençons à marcher, mais bien vite une voiture s’arrête. Un petit homme moustachu à l’air bienveillant nous invite à monter dans sa modeste Chevrolet. Jorge se rend comme tous les lundis à l’école communale pour y déposer les devoirs de sa fille. L’école n’est qu’à cinquante mètres du terminal de bus ADO, une véritable aubaine pour nous ! Nous prenons des billets pour le bus de 13h pour Limones, d’où il nous restera une soixantaine de kilomètres jusqu’à Mahahual, notre prochaine destination. Il est seulement 9h30, ce qui nous laisse un peu de temps. Nous retournons déjeuner dans le savoureux restaurant végétarien, dont les chilaquiles sont un véritable délice. Je profite de la bonne connexion pour publier un article sur Mexico city, tandis qu’Arlette part se promener sur le « strip » tulumois. Entre deux chargements de photos, je m’amuse en observant la population si particulière de la cité touristique. Les clients de l’établissement végan sont certes un peu caricaturaux, mais ils sont aussi souriants, et sympathiques, avec leur sarouals, tatouages, et coupes de cheveux improbables.
Le bus est en retard, mais qu’importe, nous ne sommes pas pressés. Après une courte sieste, je continue à écrire, satisfait de rattraper ainsi une bonne partie de mon retard. À Limones, un taxi offre ses services pour un montant acceptable, et nous conduit ainsi à Mahahual, sur la côte sud du Quintana Roo. À notre descente de voiture, devant l’hostal Mahasand, nous sommes submergés par une insoutenable odeur. Une montagne d’algues brunes en putréfaction gît à moins de trente mètres de l’entrée de l’hostel. Le parfum nauséabond me soulève le cœur, et je me précipite à l’intérieur. Mais l’établissement, ouvert à tous les vents, est imprégné de cette puanteur. Le patron, a peine aimable, ne s’émeut pas de mon teint verdâtre, et nous montre notre chambre d’un simple mouvement du menton. Sans fenêtre, et directement sur la réception, notre cellule dispose en prime d’un lit minuscule des plus inconfortables. Chafouin, je suis tout de même le maître des lieux pour une visite éclair de sa piteuse auberge. Les choses vont de mal en pis. Les sanitaires sont d’une saleté repoussante, et la cuisine est dans un tel état de crasse que même Philippe Etchebest se refuserait à y mettre les pieds. Boudeur, je rumine dans un demi-silence en jetant mes affaires dans notre chambrette insalubre. Une balade sur le Malecón ne change pas mon impression désastreuse sur Mahahual. L’odeur est partout, comme si on avait frotté les murs des restaurants à touristes avec l’infâme purée brunâtre qui pourrit sur la plage. Le village, qui doit sans doute d’habitude accueillir des hordes de touristes, est à moitié désert. Mais les rabatteurs sont tout de même bien là, et, s’ils ne sont pas plus insistants qu’à l’accoutumée, ma mauvaise humeur les accueille avec mauvaise grâce.

Arlette s’amuse de mon aigreur passagère, ce qui a le mérite de la faire disparaître presque instantanément. Nous rions alors tous les deux de cet éclat d’ire, dû sans doute à la fatigue et précipité par le désagrément olfactif. La soirée est ainsi nettement plus agréable. Nous découvrons un balcon secret dans l’auberge, où nous prenons l’apéro en regardant le littoral, qui n’est pas si vilain finalement. Nous dînons ensuite dans une honorable pizzeria en retrait du Malecón, avant de rejoindre notre mauvais matelas. Demain, nous donnerons une nouvelle chance au village, en commençant par chercher une maison plus accueillante.

Mardi matin, Mahahual. La nuit a été mauvaise, mais, m’étant rendormi profondément au petit matin, je me réveille à 9h de mon humeur habituelle, avec l’envie de découvrir les environs. Je passe un long moment au téléphone avec ma sœur, et la matinée est déjà très avancée lorsque nous partons déjeuner. Le petit déjeuner dans un restaurant local et authentique sera suivi d’un second à la terrasse d’une petite panaderia qui vend…des Kouign-amanns. Le goût n’est pas au rendez-vous mais le café sortant d’une machine de barista italienne est délicieux. Repus par cette double collation, nous faisons le tour des écoles de plongée, bien décidés à explorer la barrière de corail le lendemain. Rendez-vous pris avec Alux Divers, nous marchons vers l’extrémité nord du village et les Eco-cabañas Bluekay. Hasard des courants, l’odeur des algues est absente de ce joli quartier, et notre nouvelle chambre est incroyablement confortable.

Heureux, nous posons nos serviettes sur la plage privée, quasi déserte, de l’établissement, et nageons jusqu’à un arbre échoué sur une minuscule barrière de corail à 100 mètres du rivage. Assis confortablement sur notre nouveau banc, nous regardons le vent déformer les nuages, les pieds dans une eau chaude et transparente.

De retour sur la plage, nous cherchons un logement pour le lendemain, sur la lagune de Bacalar, notre prochaine étape. Reposés, et content d’avoir vu Mahahual sous un jour plus flatteur, nous sortons dîner dans un restaurant de poisson, simple et authentique, avant de rejoindre l’hôtel. Demain, nous plongerons à la découverte du récif corallien et ses habitants, ce qui promet de doux rêves aquatiques…

Mercredi matin, Bluekay. Quelle joie de se réveiller face à la mer, et sans odeur de fumier ! Le petit déjeuner gratuit négocié avec le sympathique gérant est modeste, mais parfait avant la plongée qui nous attend. L’équipe joviale de l’école nous accueille avec sourire et bonne humeur. Cosmopolite, le centre est animé par des instructeurs mexicains, chiliens, et même italiens. L’occasion de bafouiller quelques mots dans la langue d’Inzaghi avec Daniela, venue ici pour passer ses niveaux. Nous faisons la connaissance de Léo, notre Dive Master à la joie communicative. Nous partagerons la plongée avec Julianne, jeune marseillaise en vacances dans les parages. Arlette, qui n’a pas plongé depuis l’obtention de son PADI aux Seychelles quatre ans auparavant, est impatiente de retourner se frotter au récif. Il nous faut d’abord réaliser quelques exercices réglementaires, afin de rassurer Léo sur nos capacités sous-marines.
Traversant la montagne d’algues, le bateau nous mène en cinq petites minutes à la barrière de corail, pour notre première descente. Nous atteignons sans encombre le fond sablonneux à une vingtaine de mètres de profondeur, et commençons notre exploration. La barrière forme ici une longue barre triangulaire, comme un Toblerone sans fin, coupée ça et là de petits canyons la traversant dans sa largeur. Nous la remontons en empruntant ces ruelles étroites et magiques, en prenant grand soin de ne pas toucher les fragiles parois. Le corail prend de multiples formes, des grandes feuilles mauves alvéolées aux longs tubes jaunes rappelant le sommet du crâne des “snorky” de mon enfance. Au milieu de cette forêt fantastique se bousculent foule de poissons tropicaux, tangs, durgeons, ou wrasse. Je reste bouche-bée devant un sublime poisson ange reine multicolore qui se cache dans la fente d’une paroi de l’un des innombrables canyons. Plus loin, Léo attire notre attention sur une cavité creusée dans le corail : une gigantesque murène d’un vert vif, ondule de tout son long. Plus petite mais tout aussi élégante, une murène tachetée nous salue avant de disparaître dans un minuscule trou. Outre la beauté du décor, quelques rencontres inopinées égayent notre voyage, comme ce petit poisson spotted drum à la nageoire étonnante, où ce poisson vache à la face triangulaire et trapue. Et, dans un moment de grâce infinie, une superbe tortue, curieuse, nage au milieu de nous avant de passer son chemin. Magique !



La plongée dure près d’une heure. Dans ces eaux chaudes aux courants faibles, nous pourrions rester des heures à contempler le monde sous-marin. Mais nos bouteilles ne sont pas sans fond et il nous faut remonter à bord. Enchantés par ce premier chapitre, nous regagnons le rivage, impatients de retourner à l’eau. Nous mettons à profit l’heure de battement entre nos deux plongées pour acheter nos billets de bus pour Bacalar, l’une des raisons de mon retour dans la péninsule du Yucatan, que nous rejoindrons dans l’après-midi. De retour à l’école, la conversation s’engage, en français, avec un couple de Belges revenant eux aussi d’une session sous-marine. Enfin, Léo nous invite à embarquer pour la seconde mi-temps.
El aquario, plus au nord de la barrière, est un autre joli site dont le Yucatan a le secret. La barrière est ici moins régulière, et coupée par des bancs de sable. Nous butinons ainsi d’un îlot à l’autre, admirant les langoustes, poissons napoleon, et autres poissons perroquets qui batifolent entre les coraux. Nous assistons même à une session de nettoyage, de minuscules poissons jaunes picorant de plus gros spécimens d’un bleu superbe. À faible profondeur, nous utilisons peu d’air et la plongée dépasse ainsi largement l’heure. Les impressions sont excellentes à l’heure du debrief, sur la barque qui nous ramène à quai. Ravis, nous remercions l’équipe et filons engloutir des burritos de poisson, affamés par nos pérégrinations aquatiques.

Il est bientôt l’heure de grimper dans le bus. L’adrénaline s’efface, faisant place au sommeil, et nous ne voyons ainsi pas passer les deux heures de voyage. Nous découvrons à Bacalar une petite ville charmante, calme, arborée et fleurie. On devine au vent qui vient de la lagune et à la mine souriante et paresseuse des autochtones le rythme caribéen du pueblo. L’hôtel Mayan Caribe, dans l’arrière cour d’un restaurant de la place centrale, est superbement situé ! Notre chambre à l’étage est vaste et agréable, mais surtout, l’accueil du placide et malicieux Colin nous fait sentir comme à la maison. L’homme, yeux rieurs tombant sous une chevelure blanche et crépue, parle espagnol avec un accent créole traînant, marque de son Bélize natal. Impatients de découvrir la lagune et ses incroyables couleurs, nous trouvons un petit ponton à deux pas de l’hôtel. Le soleil a déjà disparu, il nous faudra ainsi attendre le lendemain pour les couleurs. Mais l’endroit est agréable et nous piquons une tête dans les eaux chaudes du grand lac. Nous dînons brièvement de quesadillas végétariennes, et rentrons bien vite chez nous, rattrapés par la fatigue de notre plongée le long de la barrière de corail yucatèque.


Je vous embrasse !
Julien