Jeudi matin, Bacalar. Le jardin de l’hôtel dispose d’une cuisine en plein air, et Arlette a préparé de délicieuses tartines d’avocats pour le petit déjeuner. Nous passons un long moment à discuter, sirotant un délicieux café dans notre nouveau havre de paix. À la mi-journée, nous nous activons enfin, louons des vélos, et partons à la découverte de la lagune. Sur la petite route qui longe la rive, la vue sur le lac est le plus souvent bouchée par des hôtels et propriétés privées et les écrins de nature luxuriante qui les entourent. Mais, ça et là, entre deux arbres, ou à travers une grille, nous apercevons un paysage hallucinant. Les eaux du lac, que le soleil fait scintiller, sont turquoises, azures, marines, ou vertes. Au cœur de ces teintes irréelles, de petits îlots entourées de sable blanc achèvent de donner une dimension extraordinaire à ce lieu unique. Nous pédalons jusqu’à la Playa Cocalito afin d’admirer pleinement le décor, mais décidons de pousser d’abord jusqu’au Cenote Azul situé un peu plus au sud, avant de revenir s’étendre sur les rives de la lagune aux sept couleurs.

Avec sa forme circulaire, ses 90 mètres de fond, et les grands arbres qui l’entourent, le Cenote Azul est comme un grand puit creusé au bord de la lagune, en pleine forêt. L’eau cristalline revêt toutefois une teinte profonde, signe manifeste de la grande profondeur. Nous plongeons dans le bassin à l’onde si pure, et le traversons jusqu’à atteindre la robuste branche d’un arbre qui s’affaisse juste au dessus de la surface. Là, de petits poissons nous entourent par dizaines et se régalent de nos peaux mortes, nous économisant le coût d’une fish pedicure. Pendant la durée du soin, nous avons tout loisir d’admirer les moucheroles et kiskadee qui nous régalent par leurs numéros d’acrobates entre ciel et “mer”. Nous séchons sur le bord du bassin, profitant du calme et de la sérénité des lieux. Puis repartons sur nos vélos sans vitesses vers la Playa Cocalito. En chemin, un point de vue surplombe le cenote, dévoilant son épatante localisation juste au bord de la lagune.



La Playa est à couper le souffle. Elle est un concentré des merveilles de Bacalar. Les couleurs sont éblouissantes, nuances de vert, de bleu surtout, du plus foncé au bleu glaciaire. D’étrange formations calcaires, sortes de gros rondins naturels, complètent la carte postale. J’avais tant entendu parler de Bacalar que mes attentes étaient inévitablement élevées. Mais le paysage sous mes yeux les dépasse de beaucoup. Nous nous mettons à l’eau, marchant et nageant d’une tache de couleur à l’autre dans ce patchwork grandeur nature. Sur la rive, lorsque j’arrive enfin à détacher mon regard de ce paradis terrestre, j’écris quelques pages de mon carnet virtuel, en jetant tout de même de nombreux coups d’œil aux couleurs changeantes du lac. La plage va bientôt fermer. Enivrés par tant de beauté, nous faisons route vers l’hôtel, sourire béat aux lèvres.



De retour chez nous, je travaille un peu sur le blog, Arlette bouquine, puis nous sortons faire des courses pour le dîner. Avant de rentrer, nous trouvons par hasard des bières artisanales dans une pizzeria, et décidons de prendre l’apéro sur le même ponton que la veille. Nous dégustons nos IPA en regardant la nuit tomber, et Arlette me compte quelques épisodes de sa croisière sur la Mer de Cortés. Elle fait ensuite des merveilles des légumes trouvés plus tôt, alors que je me contente des taches subalternes : confection du guacamole et préparation des mangues à la menthe. Le repas est succulent, et s’étale jusque tard dans la soirée. Nous nous endormons presque dans la calme du jardin, avant de trouver les forces nécessaires pour rejoindre nos quartiers à l’étage. Et rêver des couleurs extraordinaires de Bacalar…

Vendredi matin, hôtel Maya Caribe. Au petit déjeuner, Mika, jeune allemande fraîchement débarquée à Bacalar, se joint à la conversation. En anglais, puisque même si Arlette m’aide à rafraîchir mes bases d’allemand, je ne comprends toujours qu’un mot sur quinze. La jeune femme est venue se mettre au vert après une semaine de beuveries à Tulum. Nous abandonnons la fêtarde à son jus detox, et prenons nos vélos, direction l’extrême sud de la lagune et le canal « Los rapidos ». Après le Cenote Azul, il nous faut emprunter la grande route, ce qui est malaisé avec nos vélos d’enfants, et l’ombre manque sur l’asphalte brûlant. Mais notre destination n’est pas si loin. Sur la carte. Maps.me nous régale une nouvelle fois de ses facéties, et je ne parviens pas à trouver la route de Los Rapidos. Nous nous engageons tout de même au hasard sur un chemin de terre qui quitte la route en direction de la lagune. Au bout, un homme rondelet et souriant tente de nous indiquer la direction de notre destination, mais il articule si peu que je ne le comprendrai pas plus s’il parlait allemand. Ayant détecté notre perplexité, il nous explique que sa propriété possède un accès à une petite rivière qui rejoint la lagune, et qu’il peut nous trouver un kayak. L’homme est affable, et son terrain fort joli. Nous acceptons ainsi avec joie sa proposition. La rivière est limpide, quelques familles mexicaines tout sourire jouent dans ces eaux claires, et nous attendons, heureux, notre kayak.

Le cours d’eau dessine quelques virages dans la mangrove, avant de se jeter dans la gigantesque lagune. Ici, à l’extrémité sud du lac, nous réalisons à quel point il est protégé de l’urbanisation. Passé le village de Bacalar, seules trois maisons perdues au milieu de la forêt, quand la rive opposée est vierge de toute construction. À cet endroit, le sable blanc donne des allures de Maldives à la lagune.

Nous pagayons plus avant vers l’est, jusqu’à l’embouchure du Canal de Los Rapidos. Le courant forcit, et la navigation, plus sportive, devient ludique. Mais reste secondaire par rapport à la contemplation du paysage, unique. Une jeune et nue mangrove borde le canal, et nous retrouvons ces spectaculaires formations calcaires, qui dessinent ronds et ovales sur les rives du lac. Nous « amarrons » sur l’une d’elle pour une pause contemplative bien méritée, ainsi qu’une baignade rafraîchissante.

Nous poursuivons notre exploration, le canal se fait plus étroit, et la surface ondule sous l’effet d’un courant étrangement intense. Dans un effort synchronisé, nous progressons jusqu’au point le plus étriqué du canal, où se trouve le fameux resort « Los Rapidos » que nous cherchions plus tôt, où des touristes en gilets de sauvetage sirotent des Tecate Lite. Nous sommes alors ravis d’avoir trouvé par hasard un port d’attache plus intimiste. Nous passons le restaurant et débouchons dans une anse plus large, formant une belle lagune. Fatigués de nos efforts, nous trouvons un ponton abandonné où amarrer le kayak. Le ponton dispose d’une cabane au toit de paille, que nous apprivoisons comme nouvelle « sea house », après celle de Punta Allen. Les couleurs sont absolument magnifiques ! Nous restons un long moment allongés là, à admirer cette miraculeuse étendue d’eau.



Nous reprenons place dans notre embarcation avant d’être totalement gagnés par la langueur caribéenne, et faisons chemin inverse. Dans le sens du courant cette fois. Il est ainsi encore plus aisé d’admirer le paysage, et ses îlots de mangrove isolés baignant dans une eau glaciaire. Le retour se fait dans un silence contemplatif, au rythme de nos pagaies qui caressent énergiquement les flots.

À bon port, nous restituons le kayak et nous baignons dans la rivière. Arlette lance alors les hostilités en effectuant un très réussi plongeon arrière. S’en suit un atelier de saltos arrières, qui me vaut une série mémorable de plats des testicules. Meurtris (si peu) mais satisfaits, nous nous remettons de nos émotions (et de nos rires) en regardant s’amuser les locaux, assis sur le ponton. Une toute petite fille retient notre attention. Elle saisit une corde, s’élance courageusement vers l’eau, et saute de toutes ses forces dans la rivière. Puis nage jusqu’à l’échelle, l’air prodigieusement déterminé, remonte, et cours jusqu’à la plateforme, afin de renouveler au plus vite l’opération. À l’infini. À la vingtième occurrence, nous abandonnons la prodigieuse enfant et quittons cet endroit si spécial. Quelle aubaine de l’avoir découvert !

Nous arrivons bien vite à l’hôtel, ivres de soleil et de couleurs. Blog et lecture occupent la fin d’après-midi. Nous sortons ensuite dîner, d’un succulent burger végan, suivi d’une glace évidemment trop sucrée. Enchantés par cette merveilleuse journée, nous rentrons nous coucher, longtemps avant notre colocataire allemande en sevrage, qui a sûrement cédé aux démons de la nuit bacalaraise…
Samedi matin, Bacalar. Un nouveau petit déjeuner à rallonge marque le début d’une belle journée au bord de la lagune. Vers 9h30, Colin fait une entrée remarquée à notre table, les yeux encore gonflés de sommeil, et le short à l’envers. Il nous fait d’ailleurs remarquer qu’il est fagoté comme le bon roi Dagobert, mais gardera sa mise intacte jusqu’au soir. À 10h, c’est Mika qui rejoint la troupe, « hangover glasses » sur le nez et démarche mal assurée. Pari gagné, la jeune femme a succombé à la nuit bacalaraise…En fin de matinée, nous rejoignons notre « sea house » de ville, soit le ponton découvert à notre arrivée. Nous y passons une après-midi agréable, entre baignade et écriture, caressés par le vent tiède qui souffle sur la lagune.

Nous rentrons ensuite à l’hôtel, faisons un brin de causette avec Colin, puis je travaille sur le blog pendant qu’Arlette parfait sa connaissance du village. Nous dînons dans une petite taqueria dans une rue à l’écart, avant de goûter aux marquesitas, étranges gaufres en forme de crêpes fourrées au nutella et au…fromage. Assis sur les remparts du petit fort de Bacalar, nous passons un joli moment à rire et discuter, perturbés seulement par quelques hurluberlus curieux mais inoffensifs traînant dans le parc. Après cette journée paisible, gagnés par la langueur « colinienne » de l’endroit, nous nous couchons pour notre dernière nuit au bord de la lagune. Demain, nous nous rapprocherons du merveilleux site Maya de Calakmul, perdu dans la jungle du Campeche…
Dimanche matin, Bacalar. Nous profitons pleinement de ce moment privilégié qu’est la collation matinale. Colin se réjouit de voir ses invités rire de bon matin, et se régaler des ananas et pomelos de la région. Il me manquera ce drôle de petit homme ! Mika est restée sobre hier soir, et converse avec Arlette dans la langue de Thomas Müller. Je suis heureux de capter quelques morceaux de phrases, mais ne parviens pas à suivre dignement la conversation. Échanger quelques conseils sur le Chiapas avec un couple de français est d’avantage dans mes cordes. Une fois ce petit monde parti pour la journée, nous réglons quelques détails de notre escapade à Calakmul. Puis, avant de quitter Bacalar, nous retournons à la sea house à deux pas d’ici pour une dernière baignade dans les eaux colorées du lac. La pluie nous surprend à notre arrivée sur place, mais les nuages se dissipent bien vite et le soleil est là pour nous sécher lorsque nous sortons du bain. Le vent est fort, et les martinets viennent se reposer à l’abri du toit de notre cabane, avant de repartir affronter les courants.

Il est temps de laisser la côte caraïbe, et de rejoindre la sortie du village. Nous sautons dans un collectivo pour Chetumal, d’où nous prendrons un bus, en soirée, jusqu’à Xpujil. Dans le mini-van, une jeune mégère française hurle sur son boyfriend mexicain des propos humiliants, mais le jeune homme, placide, ne se dépare pas de son malicieux sourire. Je ne m’immisce pas d’avantage dans des affaires qui ne me regardent pas, et me concentre sur mon estomac, mis à mal par la conduite fangiesque de notre chauffeur. Nous sommes très en avance à la gare ADO de Chetumal, nous avons donc tout le loisir d’aller déjeuner avant notre car pour Xpujil. À deux pas du terminal, nous trouvons un petit restaurant familial, où une dame affable aux yeux rieurs nous sert un pozole, soupe épicée aux pois et porc mijoté. Simple, et délicieux !

Le bus est ponctuel, et nous dépose deux heures plus tard, à la nuit tombée, dans une petite ville sans charme posée sur le bord de la route. L’hôtel Nicte-ha, à deux pas, n’est pas beaucoup plus accueillant. Surtout, nos hôtes, sur trois générations, semblent droit sortis du film “idiocracy”, avec leur regard creux, et leur air absent. Ils ne me sont pas d’une grande aide dans ma quête d’un moyen de transport pour rejoindre les ruines de Calakmul le lendemain matin. Dans un éclair de lucidité cependant, la fille se décide à faire appel à plus compétant et me tend son téléphone. Le jovial Jiovani (sic) est bien plus efficace. En deux minutes chrono, il me vend les services de son taxi pour une somme exorbitante, et me convainc brillamment qu’il n’existe aucune autre alternative. Ce qu’une petite enquête sur le chemin de chez Willy, seule épicerie encore ouverte à cette heure avancée, semble confirmer. C’est dit, Jiovani passera nous prendre à 6h demain matin. J’ai si hâte de découvrir la cité maya enfouie dans la jungle !
Je vous embrasse !
Julien