Mercredi matin, Palenque. Me voilà de nouveau dans ce Chiapas qui m’avait tant enchanté. Il est probablement utile d’éclairer mes assidus lecteurs sur la raison de ce retour. Nous avons décidé avec Arlette de continuer à voyager ensemble, et de rejoindre bientôt le Guatemala voisin ! Seulement, la jeune femme avait envie de voir les merveilles de la région avant de quitter le Mexique. Nous faisons ainsi une escapade dans ces parages verdoyants, si plein de nature, et aux multiples surprises. Le site archéologique de Palenque, au programme de la journée, est notre première escale.

Après l’habituel parcours du combattant pour s’affranchir des permis nécessaires à la visite et rémunérant les diverses parties prenantes (parc national, site, amicale des anciens zapatistes, ligue des primâtes indépendants, commission aviaire pour un tourisme responsable…) nous franchissons parmi les premiers les portes de la cité maya. Mes souvenirs sont frais, et je retrouve avec plaisir les temples et pyramides si bien conservés de Palenque. Les grandes pelouses dégagées, la netteté des édifices, et les gravures presque intactes représentant les notables de la cité-état permettent de se projeter au VIIIème siècle, à l’apogée de la puissance de la cité. Le site est ainsi étonnamment vivant pour une ville abandonnée il y a presque mille ans !






La vie se trouve aussi dans les arbres, et nous nous régalons à observer les nombreuses espèces d’oiseaux qui volent entre les ruines. Parmi elles, grâce à nos jumelles et l’œil alerte d’Arlette, nous découvrons avec un enthousiasme enfantin de nouvelles espèces : le minuscule morelet’s seedeater, le coloré golden-hooded tanager, ou encore l’élégant Blue-black grassquit. Entre faune, flore, et monuments, notre exploration ne dure pas moins que les quatre heures habituelles.











Ravis, mais pas rassasiés de nature, nous quittons le site et empruntons un sentier isolé s’enfonçant dans la jungle environnante. La végétation est extraordinaire, en particulier les énormes ceibas aux massives racines entortillées à la base du tronc. Cheminant au hasard, nous parvenons à un petit temple à demi excavé, presque noyé sous la verdure. Sous la voûte en coffre de l’édifice, une grappe de petites chauves-souris tente de trouver le sommeil malgré l’intrusion de curieux voyageurs. Assis sur le perron, seuls au monde, nous restons un moment à écouter la musique de la forêt tropicale. Le cri des cigales, strident, arrive sur nous comme une ondée brutale, avant de s’éloigner dans la masse verte, furtif comme un courant d’air. J’en ai la chair de poule ! Les singes hurleurs prennent le relai de leurs aboiements rauques. Puis de nouveaux primates s’expriment, en espagnol cette fois, preuve que d’autres ont découvert notre retraite secrète. Nous laissons donc la place aux nouveaux envahisseurs et regagnons la route par un sentier dérobé.




À deux pas de l’entrée du parc national, nous croisons Xel, l’hurluberlu qui voulait nous vendre des champignons hallucinogènes lors de ma première visite. Je retrouve ainsi aisément le chemin que nous avions emprunté, le couple de Suisses et moi, vers les petits bassins naturels perdus dans la forêt. Mais, saison des pluies ou pas, ces derniers sont à sec et nous retrouvons la route sans avoir pu s’accorder une pause rafraîchissante…Comme souvent, la providence se charge de compenser, au centuple, cette légère frustration. Ce sont d’abord les singes hurleurs qui nous offrent un spectacle saisissant : un gros mâle beugle à tous vents, de tout son goitre, alors qu’un autre lui répond, prenant le soin tout de même de rester à bonne distance. Le concert dure une bonne dizaine de minutes, et nous laissons passer ainsi sans doute le dernier collectivo pouvant nous ramener à la maison. Nous poursuivons le chemin à pied donc, mais heureux d’avoir assisté à ces vocalises sauvages, les premières pour Arlette, qui semble ravie. Un peu plus loin, la jeune femme repère un toucan de l’autre côté de la chaussée, le long de l’entrée d’un des nombreux parcs privés qui jalonnent la route des ruines. Trois ou quatre aracaris semblent disposés stratégiquement sur les branches entourant un petit arbre gris. Dans le tronc de cet arbre un trou étroit, d’où dépasse le bec encore gris d’un bébé toucan. À tour de rôle, les adultes se rendent au nid, afin de nourrir les oisillons. L’un d’entre eux parvient même à se hisser entier dans le minuscule trou ! Quel spectacle incroyable ! Et quelle chance nous avons d’assister à cette scène rare !






Nous laissons la famille aracari, regardons passer un taxi, et décidons de poursuivre à pied, afin de récolter les cadeaux que la nature place sur notre chemin. En guise de bouquet final, au détour d’un virage, nous entendons un cri rauque et strident bien connu : deux couples de aras rouges survolent la route pour se poser sur un arbre à quelques mètres de nous. L’oiseau rare ponctue en apothéose notre promenade des miracles. Je suis encore drôlement ému au moment de partager avec enthousiasme les photos de nos découvertes avec la pétillante Adelie.


La journée se termine en beauté avec le succulent plat de spaghetti alla carbonara préparé par Arlette avec les moyens du bord. Les choix sont difficiles au moment d’énumérer notre top 3 du jour, tant les épisodes inoubliables furent nombreux. Nous nous endormons bientôt, alors que l’orage gronde, encore sous l’effet du charme bucolique du Chiapas.

Jeudi matin, Palenque. Arlette est sortie faire son tour matinal dans le jardin, et je regarde les agoutis passer sous la fenêtre de notre chambre. Je discute un moment avec Rodolfo, puis nous nous régalons d’un gargantuesque petit déjeuner sur la terrasse.

Nous marchons ensuite jusqu’au pueblo, et cherchons à tâtons dans la rue commerçante, bouillonnante, un collectivo pour les cascades de Roberto Barrios. Les mini-vans sont légion, et partent dans toutes les directions ! Heureusement, un petit homme moustachu détecte notre perplexité et nous mène jusqu’à un camion à bestiaux. Nous grimpons à l’arrière, transformé pour accueillir quelques bipèdes en quête de sensations. Assis sur une planche de bois et à l’abri d’une bâche, nous regardons défiler les collines verdoyantes du Chiapas.

Entiers, nous atteignons notre destination en une petite heure. Malgré le ciel chargé de nuages, et les pluies abondantes des derniers jours, les bassins de Roberto Barrios n’ont rien perdu de leur superbes couleurs ! Nous explorons la zone, avant de s’attribuer l’un d’entre eux, traversé d’un courant fort et ludique. Nous nous amusons à le remonter jusqu’à une petite cascade, qui ne manque pas de nous renvoyer en un tournemain à notre point de départ. En quête d’autres jeux, nous glissons sur les parois poisseuses de la cascade principale, avant de profiter paisiblement de l’eau fraîche du grand bassin en contrebas. De là, nous contemplons longuement le paysage vert qui s’offre à notre regard, parcouru ponctuellement des rayons d’un soleil capricieux.


Le collectivo du retour, d’aspect plus « règlementaire », nous dépose à Palenque en fin d’après-midi, au cœur du pueblo. Nous en profitons pour poser quelques questions sur les moyens à disposition pour rejoindre notre destination du lendemain. Au gré d’informations contradictoires, nous trouvons tout de même la gare des collectivos pour Frontera Corozal, d’où nous pourrons rejoindre Yaxchilan, sauvage cité maya à la frontière guatémaltèque. Nous marchons ensuite jusqu’à la maison, retardés par l’observation intempestive des oiseaux. Rattrapés par la fatigue, et bercés par un nouvel orage, nous nous laissons gagner par le sommeil. Nous nous réveillons affamés à 21h, et sortons sous une pluie fine, à la recherche de l’unique restaurant ouvert des environs. Dans le noir complet, tentant d’éviter les flaques et d’écraser les grenouilles, nous trouvons la pizzeria Monte Verde, où une poignée de clients achèvent leur repas. Les pizzas, correctes, font leur office, et, repus, nous regagnons nos foyers pour y continuer notre nuit, après cet autre belle journée chiapasoise.
Vendredi matin, Palenque. Rodolfo et Adelie sont d’humeur bavarde, et nous partageons agréablement notre petit déjeuner avec eux. Curieux, ils posent de nombreuses questions sur nos pays respectifs, avant d’évoquer leur vie, calme et douce dans leur écrin de verdure. Après ce joli moment d’échange, nous butinons dans le jardin des merveilles, regardant passer les couples de aras au-dessus des arbres. Arlette remarque qu’un colibri s’affaire drôlement autour d’un petit arbuste. En nous approchant, nous découvrons un minuscule nid, dans lequel reposent deux petits œufs, semblables à ceux, sucrés, dont les enfants se régalent à Pacques. Posté à moins d’un mètre du nid, je me régale à mon tour du spectacle de l’oiseau mouche réalisant les finitions de sa maison. Les agoutis courent en tout sens dans la propriété, les pics fusent comme des flèches d’un tronc à l’autre, pendant que merles mélodieux et singes hurleurs s’occupent de l’ambiance sonore. Nous avons beaucoup de mal à nous extirper de cet éden !










À la mi-journée, nous nous décidons à saluer nos charmants hôtes, et rejoignons, déjà nostalgiques de notre jardin palenquais, le terminal des collectivos pour Frontera Corozal. La route est mauvaise, et notre chauffeur conduit comme si nous étions poursuivis par toutes les polices de l’état. Trois heures plus tard, l’estomac dans les talons, je m’extrais du bolide, nauséeux, heureux d’être parvenu à ne pas rendre mon petit-déjeuner. Les vingt minutes de marche vers les rustiques cabanes de la Nueva Alianza me font du bien. À la « réception », je reconnais le placide gérant. L’endroit est toujours aussi poussiéreux et fantomatique, d’où mon étonnement lorsque le jeune homme endormi m’annonce que toutes les cabañas sont occupées, et qu’il ne dispose plus que d’une chambre minuscule, sans salle de bain, sans plafond, sans électricité, sans autre chose finalement que deux petits lits parés de moustiquaires trouées. Après le confort de notre palace palenquais, le retour à des conditions spartiates est brutal. Mais, nous avons connus campements plus dépouillés encore, et acceptons l’offre sans hésiter.

Nous improvisons une promenade le long de la rivière, saluant au passage nos amis simiesques se balançant dans les grands arbres. Entre le rio et un terrain militaire, un joli terrain de foot me fait de l’œil. Un ballon à demi-crevé gît dans les buts. Tel un golden retriever, le poil au vent, je cours vers la « pelota », ôte mes tongs, et commence à jongler, heureux comme un enfant. Attendrie, ou affligée, sans doute un peu des deux, Arlette se prête au jeu et me renvoie gentiment les ballons que je lui glisse de mes pieds endoloris par le cuir usé. Précision et technique laissent à désirer, en raison d’un terrain lourd bien sûr, mais les rires sont nombreux et nous passons un chouette moment à gambader dans l’herbe.

Les fourrés alentours s’agitent, et du terrain militaire arrivent furtivement une quinzaine d’hommes en tenue sportive. Une partie se prépare entre militaires et villageois. Une opportunité à ne pas manquer ! Je m’approche de l’un d’eux et leur demande si, à tout hasard, ils auraient besoin d’un joueur supplémentaire. D’un grand sourire, l’homme m’invite à les rejoindre. Tout heureux, je file à l’hôtel troquer mes tongs contre une paire de chaussures pendant qu’Arlette pratique son espagnol en faisant la causette aux joueurs qui s’échauffent sur la touche. Le lieutenant Jorge, anglophone, m’indique l’équipe avec laquelle je vais jouer ainsi que mon rôle sur le terrain. S’en suivent deux mi-temps de trente minutes pendant lesquels je m’amuse énormément, au milieu de ces jeunes gens souriants. J’alterne gestes de classe (si peu), et bourdes embarrassantes (quelques-unes…) qui déclenchent l’hilarité bienveillante de l’assistance. Je finis sur les rotules, et trempé de sueur, un match fort agréable ! Après la traditionnelle photo d’après-match, et avoir chaleureusement remercié les joueurs pour leur accueil si extraordinaire, Arlette et moi regagnons notre taudis. Nous dînons dans le petit restaurant de la Nueva Allianza, fascinés par un énorme crapaud qui gobe cafards et scarabées avec une étonnante agilité ! Épuisés, par la route, la chaleur, et les efforts consentis sur le terrain, nous nous écroulons sur nos petits lits, alors que dehors la pluie recommence à tomber.

Je vous embrasse !
Julien