Vendredi matin, Xela. Matinée studieuse. Nous prenons le temps d’établir les grandes lignes du séjour sur les bords du lac Atitlan. À la mi-journée, nous prenons un chicken bus, puis un taxi, pour Panajachel. Avec les volcans dissimulés dans les nuages, le lac, entouré de vertes et abruptes montagnes, a des airs de lagune alpine. Quelques villages sont posés sur ses rives, ou perchés en surplomb. Mais l’endroit conserve un aspect sauvage et grandiose, pour notre plus grand bonheur.

Nous sautons dans une lancha alors que tombent les premières gouttes de pluie journalières. L’embarcation nous dépose à Santa Cruz, où « la ville basse » se résume à un embarcadère et quelques maisons paisibles. L’une d’elle abrite l’Iguana perdida, notre auberge. Un personnel jeune et sympathique nous mène à notre vétuste chambre. Minuscule, sommaire, limite précaire, la cellule est dangereusement inclinée…Mais surtout elle dispose d’une vue imprenable sur le lac et le volcan Tolimàn ! Nous regardons tomber la pluie jusqu’à ce qu’elle cesse, laissant sa place à un étonnant et sublime couche de soleil. Sous un épais plafond gris, entre deux volcans, une bande de ciel orangée salue la fin du jour.



Le dîner est servi autour d’une grande table conviviale. Le chili con carne manque de piquant mais reste très savoureux, et les convives sont sympathiques. Mais nous n’avons d’yeux que pour les volcans coniques qui se découvrent enfin, annonciateurs de randonnées magiques…Alors que nous nous couchons, la terre gronde, manifestant elle aussi son enthousiasme en faisant trembler notre cabane brinquebalante…Impressionnant !
Samedi matin, Santa Cruz. Mauvaise nuit. Entre la pluie qui est tombée à grand fracas contre la tôle, les secousses qui se sont poursuivies tard, les avocats qui tombaient régulièrement sur le toit, et le jeune couple éméché qui a fait la fête sur la terrasse jusqu’au bout de la nuit, nous avons peu dormi. Le petit déjeuner pris au bord de l’eau et face aux volcans efface en un éclair toute trace de fatigue ou d’agacement.

Avant de partir pour une longue balade en surplomb du lac, vers le village de San Marcos, nous nous renseignons sur les conditions de sécurité. En effet quelques bandes de voyous sévissent dans les environs, détroussant les touristes en goguette. Le personnel de l’auberge nous conseille de partir à vide, sans argent ni téléphone. Et nous voici donc sur le petit sentier qui grimpe et puis descend en suivant les contours de la lagune. Le soleil est au rendez-vous, et la marche superbe ! À gauche, le lac et les volcans s’offrent selon des angles changeants à mesure que nous progressons. À droite, les pentes abruptes des montagnes, verdoyantes, invitent à l’humilité. Sur le parcours, nous croisons de magnifiques colibris, picorant les jolies fleurs sauvages qui égayent le paysage de leurs couleurs extravagantes. Les vautours volent en cercle, haut dans le ciel, en quête de charognes sur les plateaux agricoles situés derrière les crêtes. Nichée sur un petit promontoire tombant à pic dans les eaux azur du lac, isolée du monde, la sublime Casa del Mundo nous fait de l’œil. Cet endroit magique, hautement recommandé par ma tante Sylvie, est malheureusement plein pour les prochains jours, mais je n’abandonne pas l’espoir d’y passer au moins une nuit…
Nous poursuivons notre chemin au milieu des arbres, traversant quelques villages dont la vétusté tranche avec le luxe attendu sur les bords de ce lac presque suisse. La pluie fait son apparition alors que nous atteignons San Marco. Prudents, nous décidons de rentrer à Santa Cruz par le “vaporetto” qui relie les villages lacustres. L’averse se tarie bien vite, et nous grimpons alors la route glissante qui monte sec jusqu’à la “ville haute” de Santa Cruz. Le village semble totalement hermétique à l’activité touristique ambiante. Des habitations de fortune s’entassent le long de ruelles étroites et vertigineuse, squattées par des dizaines de chiens maigres et sales. Nous nous perdons dans ce dédale zolien, où le sourire des autochtones donne à cette ville grise et froide le charme que les pierres lui refusent.


Nous redescendons juste à temps pour éviter la pluie, et nous préparer pour la BBQ night concoctée par les volontaires de l’auberge. Nous nous installons et faisons la connaissance de nos voisins de tablée. Yoha, tout jeune allemand en voyage pour la première fois loin de ses contrées, regarde le monde avec un sourire enfantin plein d’envie et de curiosité. Plus piquant, James, moitié belge, moitié british, taquine l’auditoire avec un humour tout anglais. Yumo, japonais habitant au Mexique depuis quelques années, nous régale de ses anecdotes ponctuées de mimiques incontrôlées. Enfin Natalia, ayant laissé son copain hollandais s’enivrer avec les argentins, apporte une touche russe à notre groupe hétéroclite. La soirée, riche, débute par une leçon d’allemand, alors que je tente avec peine de suivre la conversation entre Arlette et Yoha. Puis les sujets s’enchaînent, les débats s’enflamment, en particulier lorsque la discussion s’oriente sur la ponctualité mexicaine, Tinder, et l’Euro 2020 bien sûr. Nous passons un très chouette moment avec nos acolytes du jour, puis regagnons nos foyers, rattrapés par la fatigue. Dehors, les argentins en tiennent une sacré couche, mais leur vacarme est étouffé par la pluie qui tambourine sous nos fenêtres…

Dimanche matin, Lac Atitlan. Il fait gris, et les deux volcans noirs sont comme les yeux d’un crocodile émergeants des eaux couleur encre du lac. En attendant l’éclaircie, je travaille sur le blog, malgré une connexion des plus faiblardes.


À la mi-journée, après une matinée plutôt tranquille, nous sautons dans la lancha pour San Pedro, au pied du volcan du même nom de l’autre côté du lac. Le village tranche avec le calme paisible de Santa Cruz…Crieurs en tous genres nous assaillent, et les abords de l’embarcadère sont bondés de touristes bruyants. Nous traversons ce petit Disneyland pour rejoindre notre hôtel de l’autre côté du pueblo. Le quartier est nettement plus calme, et, si quelques gringos circulent dans ces rues animées, ce sont surtout les locaux qui s’affairent ici. L’hôtel, simple et propre, dispose d’une vue splendide sur le lac et ses volcans ! Nous en profitons un court instant, puis retournons au centre touristique pour y régler les détails de nos excursions prochaines. Mais pas avant de regarder la seconde mi-temps d’un alléchant Belgique – Portugal, qui voit les diables rouges l’emporter à l’issue d’un match bataillé. Rendez-vous est pris dans ce même pub pour le huitième de finale des Bleus le lendemain !

Nous sommes ensuite d’une efficacité redoutable pour louer les services d’un guide pour nous mener au sommet du volcan San Pedro aux aurores demain, ainsi qu’un tour très matinal à « l’indian nose » le jour suivant. Lancés, nous trouvons près du terrain de sport communal un petit homme rondouillard et charmant qui repart mes lunettes cassées pour une bouchée de pain.
Après un court passage à l’hôtel, nous trouvons sous la pluie une minuscule pizzeria, puis rentrons chez nous tôt, afin d’être en forme pour l’ascension du San Pedro. Dehors, les festivités annuelles liées à la fête du village prévue le surlendemain débute précocement, par de très bruyants pétards. Le réveil à 5h30 risque d’être rude…
Lundi matin, San Pedro La Laguna. Les explosions à répétition ont perturbé notre sommeil, et nous avons les yeux gonflés au moment de retrouver Miguel devant notre hôtel, à 5h45. Il fait presque beau, et c’est avec enthousiasme que nous suivons notre guide vers l’entrée du parc national abritant le volcan San Pedro, tout en haut du village. Là encore, nous sommes partis sans argent ni téléphone, précautions contre les bandits éventuels attendant les marcheurs au sommet. Pas de photos donc, mais le cœur et le sac plus légers. Seuls, nous nous engageons sur le sentier. Nous traversons d’abord des plantations de café, admirant les petites graines rougeâtres suspendues à de fins arbustes vert sombre. Le sommet est 1400 mètres plus haut, mais la montée est régulière et le chemin est plutôt sec pour la saison, rendant la randonnée agréable. Un fin brouillard nous empêche de distinguer le paysage depuis les miradors intermédiaires, et nous nous faisons à l’idée que la vue sera sans doute bouchée, tout là-haut. Mais la chance nous accompagne une nouvelle fois. Assis sur une grosse pierre plate au sommet du volcan, nous regardons les nuages se dissiper comme par enchantement, découvrant un paysage hors norme. Le lac et ses eaux bleues reposent paisiblement dans leur écrin de verdure, et l’on devine aisément qu’ici gisait dans des temps immémoriaux le cratère d’un immense volcan. Devant nous s’élèvent les volcans Toliman et Atitlan, qui dominent la rive sud du lac. Au loin, on distingue clairement le mythique Acatenango, lui aussi sur notre liste, et le Fuego qui lui fait face, crachant ses colonnes de fumée. Magique !

Nous resterions bien des heures ici, mais il nous faut redescendre, afin de ne pas tenter les maraudeurs, qui peuvent aisément nous repérer sur notre perchoir. Enchantés par notre randonnée, nous remercions Miguel au pied de notre hôtel, et nous rafraîchissons avant de rejoindre le pub, pour le match de la France. La partie est exceptionnelle d’intensité et de rebondissements. Mais les français, trop fébriles en défense, laissent échapper dans les dix dernières minutes du temps réglementaire une victoire qui leur était acquise. À l’issue d’une séance de tirs au but douloureuse, la Suisse l’emporte, me laissant interdit devant ma pinte de bière chaude. Mais, comme le dit mon amie Nadia, cela pourrait être pire, je pourrais être en Italie et affronter le lendemain les amicales railleries de mes collègues transalpins…Pour soigner mon chagrin, Arlette m’offre une gaufre pleine de sucre et de gras, ainsi qu’un bon Espresso (une rareté dans ces parages). Puis, rincés par ce trop plein d’émotions, nous regagnons l’hôtel, sous les pétards aux reflets rouge suisse qui semblent me narguer. Demain le réveil est fixé à 3h30, afin d’arriver au sommet de l’Indian Nose avant le lever du soleil. Il n’est ainsi pas 20h lorsque nous sombrons dans un sommeil lourd, indifférents à l’agitation qui sévit sur San Pedro.

Mardi matin, San Pedro. Je suis réveillé depuis longtemps lorsque le réveil sonne, à 3h30, décalé par notre coucher si précoce. Mais un peu fatigué tout de même…Le minibus est à l’heure, et nous embarquons pour le pueblo perché de Santa Clara. Nous faisons halte à l’embarcadère pour récupérer d’autres touristes matinaux. Parmi eux, sans doute pour me rappeler que je n’ai pas beaucoup travaillé ma souplesse ces derniers temps, Lisa, ma prof de yoga d’Holbox, nos traces se croisant une nouvelle fois. Incroyable hasard ou manque d’originalité dans le choix de nos destinations, l’heure bien matinale nous évite le débat. Alors que le bus grimpe sur la route sinueuse de Santa Clara, la pluie commence à tomber. Et c’est sous l’averse que la troupe chemine sur le sentier boueux qui mène au sommet de l’Indian Nose, cette colline abrupte qui fait face au volcan San Pedro. Mais là encore la fortune nous sourit. Le temps que les sémillants gardiens de l’endroit nous préparent le café, la pluie cesse, et les nuages s’écartent afin de nous laisser voir le lac et l’horizon. Le ciel reste voilé, le soleil qui se lève perse à peine à travers la grisaille, mais la vue est dégagée, et c’est déjà bien. Et puis, les nuages qui flottent au-dessus d’une eau grise, et les lueurs orangées au dessus des montagnes donnent un aspect fantastique au paysage.


Nous devons néanmoins partager ces merveilles avec une dizaine de personnes, qui multiplient les selfies dans un joyeux brouhaha. Un peu oppressant à cinq heures du matin. Mais, comme un seul homme, la troupe finit par se taire, et nous jouissons d’un moment court mais délicieux de silence contemplatif. Avant de quitter notre nid d’aigle, Angel, l’un des gardiens, se lance dans une imitation à mourir de rire des différents accents des touristes. L’homme a un talent incroyable et son Français, son Allemand, et son Italien sont particulièrement réussis !

Hilares, nous regagnons le van, et rejoignons San Pedro, qui a revêtu ses habits de fête. Je tressaille à chaque pétard, ce qui amuse beaucoup Arlette. Un rapide passage à l’hôtel et nous sommes de retour dans le centre. Un copieux petit déjeuner, puis nous retournons au pub, pour voir jouer l’Allemagne cette fois, face à une équipe d’Angleterre enthousiasmante, et qui joue à domicile. Le bar est truffé de jeunes anglais, déjà à la bière à 10h du matin. Les joyeux lurons mettent une ambiance formidable et la partie, malgré la défaite des Germains, est une fête. Arlette est à nouveau bonne joueuse, et nous regardons avec un sourire chaleureux les Anglais célébrer leur victoire à grands renforts de chants.

Il n’est que midi, mais la journée semble se poursuivre depuis une éternité. Et elle n’est pas terminée puisque nous embarquons dans la foulée du match pour…la Casa del Mundo, où nous avons finalement trouvé une chambre. Perturbée par les eaux agitées du lac, la lancha nous jette quasiment sur le ponton, Arlette manquant de tomber par dessus bord. Mais la suite du séjour se veut beaucoup plus douce. Le lieu est fantastique ! Des escaliers richement fleuris mènent à d’innombrables terrasses de pierre au charme méditerranéen. Les bâtiments de pierre aux toits rouges semblent sorti du promontoire, ne faisant qu’un avec la roche. L’accueil est professionnel et chaleureux, et le gentil réceptionniste nous annonce que nous avons été upgradé. Première d’une longue série de surprises. Nous investissons nos quartiers, admirant longuement la vue magnifique depuis nos grandes fenêtres. Puis nous courrons nous jeter dans les eaux limpides de la lagune. La terrasse et ses jolis rebords, ainsi que la profondeur du lac, sont propices au jeu. Nous improvisons ainsi un atelier de saltos arrières, ponctués de plats retentissants, mais surtout de rires francs et massifs. Pour soigner nos corps d’athlètes après ces prouesses, nous nous offrons un sauna régénérant, avant de retourner nous égayer dans les vagues. Un moment génial !


Je travaille ensuite un moment sur le blog à la fenêtre de la chambre, distrait par les nuages qui recouvrent progressivement le sommet des volcans. Nous dînons sous une lumière tamisée de savoureuses lasagnes, et discutons jusque tard malgré la fatigue que la magie des lieux semble avoir effacée…Puis nous nous endormons dans le calme exceptionnel de l’endroit, bercés par le clapot des vagues.
Mercredi matin, Casa del Mundo. Il est 5h30. J’ouvre un œil, et écarte doucement les rideaux. Le lever de soleil sur le lac est exceptionnel ! Je m’éclipse en douceur de la chambre, et me promène dans les allées silencieuses de l’hôtel, en me délectant du paysage.




À 9h, le ciel est encore dégagé, seuls de légers nuages cotonneux titillent le sommet des volcans. Après un petit déjeuner succulent, nous nous installons sur la terrasse en arc de cercle qui nous sert aussi de plongeoir. Pendant quelques heures sublimes, nous alternons baignade, backflips, et bains de soleil. Sylvie n’avait pas menti, cet endroit est un vrai paradis !








Le soleil ne commence à se voiler qu’en début d’après-midi. J’en profite pour avancer sur le blog, pendant qu’Arlette retourne par le sentier côtier à l’Iguana Perdida, où l’attend son manteau de pluie oublié quelques jours plus tôt. Elle revient juste à temps pour attraper le dernier bateau pour Panajachel, d’où nous quitterons le lac le lendemain. Mais pas avant ma toute première session de parapente ! Demain matin à 10h, je m’élancerai du haut de la montagne dominant le village…Pour l’heure, la lancha nous dépose à l’embarcadère, et nous traversons une rue jonchée de restaurants, bars, glaciers, et boutiques à touristes pour rejoindre le très kitsch Hôtel Amigo. Avec ses vitres teintées et ses miroirs incorporés à la descente de lit, on se croirait dans un film de Brian de Palma. Nous laissons nos affaires dans notre palace défraîchi, et retournons sur l’avenue des gringos pour dîner dans un restaurant uruguayen. L’ « énorme » steak est ridiculement petit, mais les facéties de notre serveur font passer l’addition, plutôt salée pour si peu de pitance. Pour satisfaire nos appétits, et surtout notre gourmandise, nous faisons halte à la heladeria voisine, et rions de cet endroit si bizarre jusqu’à notre arrivée à l’hôtel. Heureux de cette belle journée, je me couche impatient : demain, je vole…
Je vous embrasse !
Julien