Lundi matin, El Remate. Nous nous sommes levés tôt, pour profiter une dernière fois de la si sympathique terrasse de ce petit paradis. Perturbées par une otite bénigne mais récalcitrantes, puis par le scorpion, mes nuits chez Alice ont été suboptimales, mais cela ne m’a pas empêché de tomber sous le charme de ce pays des merveilles.

Nous attendons le bus pour Santa Elena sur le bord de la route qui traverse le village, en discutant avec un grand italien aux bras maigres qui tient lui aussi une pizzeria dans le coin. Je m’agace une nouvelle fois de mon italien rouillé teinté d’espagnol, mais l’homme me rassure : « on oublie jamais l’Italie ». Le bus suivant, plutôt confortable pour les standards guatémaltèques, nous porte jusqu’à Rio Dulce en un peu plus de quatre heures. Là, traversant une rue débordante d’activité, nous trouvons la Marina de Bruno, où nous attendons qu’une lancha nous mène jusqu’à la Round House, notre point de chute final. Situé entre les lacs d’Izabal et El Golfete, séparés par un pont moderne, Rio Dulce est un drôle d’endroit. Malgré sa rue centrale très couleur locale, le petit port lacustre fait office de marina pour les plaisanciers américains. Les rives des deux lacs sont jonchés de garages à bateau où dorment des yachts immatriculés aux quatre coins des « states », à l’abri des tempêtes de la côte. Charmés par le calme de ces eaux posées au milieu de la forêt tropicale, quelques pionniers y ont ainsi développé l’éco-tourisme il y a une trentaine d’année, et les rives du Rio Dulce disposent de nombreuses auberges habilement dissimulées derrière la végétation.

La rivière coule jusqu’à la Côte caribéenne, et c’est à une dizaine de kilomètres de celle-ci que se trouve la Round House. Nous y accostons après une charmante ballade en bateau de 45 minutes, passant par de verdoyants îlots où nichent cormorans et aigrettes royales. Nous avons partagé la lancha avec quatre frères et sœurs, âgés de 9 à 25 ans, venus rendre visite à leur frère qui travaille à l’auberge.


Carlos, sourire juvénile laissant apparaître son appareil dentaire, nous accueille chaleureusement, après avoir salué comme il se doit sa fratrie. Seuls clients de l’établissement, nous occupons un bungalow en surplomb, simple et rustique, immergé dans la jungle. Amusés, nous découvrons notre salle de bain en plein air, la douche posée au pied d’une paroi de pierre, où s’ébattent une multitude de petits crabes de rivière. Pas de scorpions en vue, ouf.

Nous dînons sur la terrasse aménagée au bout du ponton, au-dessus de l’eau, dans un calme magnifique. Nous allons nous coucher alors que la pluie tambourine sur le toit en taule de la chambre. L’orage gronde et le tonnerre complète l’assourdissante bande son, tandis que les éclairs sont autant de flashs qui illuminent la pièce. Lorsqu’enfin le ciel se fait plus discret, nous parviennent les chants et les cris de Carlos et sa famille, qui célèbrent les retrouvailles à grand bruit. La fête est bon enfant, mais le volume sonore augmente à chaque Gallo vidée, et surtout elle dure…Épuisés, nous nous décidons à nous lever, leur demandant de mettre la sourdine. Carlos se confond en excuse et promet d’arrêter la sono séance tenante. Mais, créatif, l’un des convives propose de régler le prix de notre nuit en échange de la prolongation des festivités. Je lui réponds qu’à mon âge, le sommeil n’a pas de prix. La joyeuse bande tient parole, mais la pluie redouble à nouveau lorsque nous regagnons notre chambre. Heureusement, pas de réveil aux aurores prévu demain…

Mardi matin, sur les bords du Rio Dulce. Il pleut encore alors que nous dégustons les pancakes préparés par Jorge, le cuisinier et co-gérant des lieux, à peine plus âgé que Carlos. Il nous promet le soleil d’ici une heure ou deux. Et en effet celui-ci fait son apparition alors que nous mettons à l’eau le kayak qui nous permettra de rallier la côte, et le village de Livingstone. Le courant, favorable, nous aide à rejoindre l’estuaire, naviguant à travers cette rivière si sauvage. Les collines luxuriantes plongent dans les eaux brunes du rio, survolées par des escadrons d’aigrettes.

Étrangement, le courant nous pousse vers la rive, et nous progressons en épuisants zigzags. Deux autres barques nous devancent, avançant toutefois de façon beaucoup plus linéaire, malgré les mouvements mous et non coordonnés de leurs pilotes. Ce qui a évidement le don de m’agacer…Arlette se moque gentiment de mon éclat de compétitivité, et m’incite plutôt à regarder les cigognes qui volent en cercle très haut dans le ciel.

Nous traversons, au ralenti, un petit canyon abrupt, et après un long virage, nous apercevons l’estuaire. Quelques coups de pagaie nous amènent aux abords de Livingstone, et nous accostons sur le dock miteux du non moins miteux hôtel del Viajero, où la lancha viendra nous prendre dans quelques heures.

En attendant, nous nous promenons dans les rues du village. Le pueblo entier vit au rythme caribéen. La population, plus métissée, semble amorphe. Des grands-pères à la toison blanche et crépue sirotent des Gallos assis sur des sièges en plastique. Des jeunes femmes ébènes et girondes, aux tresses multicolores, échangent bruyamment sur des accents créoles. Bob Marley résonne dans les travées à demi-délabrées, et s’affiche sur les textiles vendus dans des boutiques à touristes assoupies. Drôle d’ambiance ! Nous cherchons la mer, afin de nous rafraîchir, mais renonçons bien vite à la baignade. La plage est un dépotoir et la mer une marre boueuse. Nous retournons côté rivière et trouvons asile dans une charmante auberge, buvant une limonade sur la terrasse ombragée. Là, aux confins du Guatemala, nous décidons de faire cap vers Antigua dans les prochains jours, afin de préparer la suite de notre voyage, dans d’autres contrées encore à définir…

La lancha est en retard, et nous l’attendons en regardant les aigrettes nettoyer les filets des chalutiers amarrés aux pontons. Le pilote arrive enfin, et après avoir quasiment coulé le kayak, nous le hissons à bord et faisons route vers la Round House. La baignade y est plus agréable qu’à Livingstone ! Nous attendons le repas en bouquinant tranquillement sur notre petite terrasse. Carlos et Jorge nous attendent à 19h, et nous bavardons avec le premier en attendant que le second nous apporte nos plats. La fratrie rejoint elle aussi la grande terrasse circulaire de la round house, et commence une partie de petits chevaux. La soirée promet d’être plus calme que la précédente…

Mercredi matin, Round House Hostel. Pluie et orages ont à nouveau rythmé notre nuit, mais nous nous levons sous un soleil timide. Carlos est bavard ce matin, et nous raconte sa vie sur le fleuve depuis un an qu’il travaille à l’auberge. Vers 10h, la lancha collective, pleine à craquer, nous prend à son bord. Nous saluons notre hôte et sa gentille famille, et redécouvrons les rives du Rio Dulce sous une autre lumière.

Assis sur une table à pic-nic à la Bruno’s Marina, bouteille d’eau gazeuse sur la table, Arlette et moi évaluons solennellement nos options afin d’élire une nouvelle destination. Nous sommes alignés sur le brief : un pays ouvert aux touristes, sans quarantaine obligatoire, à la situation politique non chaotique et qui offre un changement d’air significatif. En ces temps de covid, la liste des possibles est courte, ce qui facilite notre choix ! Nous irons donc…au Pérou ! J’ai hâte de retrouver les vallées andines et les cités incas qui m’avait éblouies lors de mon court séjour il y a quelques années. Et puis, nous y trouverons tant d’autres choses à découvrir !

Heureux de notre décision, nous cherchons un moyen de rejoindre Antigua. Mais il est déjà 14h et il nous faudra attendre le lendemain matin. Nous prenons nos billets pour le bus de 9h30, et réservons une chambre au Kangaroo Hostel. Une lancha vient nous chercher, et quinze minutes plus tard nous voilà sur les bords d’une petite rivière qui rejoint le lac Izabal. Les moustiques pullulent, mais l’endroit est fort agréable. Un héron vert furète dans les marais en quête de petits poissons, d’énormes crapauds sautillent sur les pontons de bois qui mènent à de sommaires bungalows, et un petit crocodile disparaît furtivement sous la maison sur pilotis qui sert de restaurant.

Je m’installe dans le « club house », sans doute d’inspiration australienne (nom de l’établissement + l’accent prononcé du type bedonnant en chemise hawaïenne), et travaille quelques heures sur le blog. Arlette me rejoint en début de soirée, et nous réservons un Airbnb pour quelques nuits à Antigua, camp de base pour les préparatifs de notre voyage au Pérou. Le dîner est sans saveur, et nous nous réjouissons à l’idée de cuisinier à nouveau dès le lendemain ! La pluie, ponctuelle, commence à marteler la tôle de notre chambre alors que nous nous couchons.

Jeudi matin, lago Izabal. Mon otite ne s’arrange pas, et je suis quasiment sourd de l’oreille gauche au réveil…Il me faudra consulter dès mon arrivée à Antigua ! Le discret Juan nous dépose à la Marina de Bruno, et nous grimpons dans le bus pour Guatemala City. De là nous prendrons un chicken bus pour rejoindre Antigua. Le début du voyage est une nouvelle occasion de constater l’étrangeté de la relation au bruit des populations d’Amérique centrale. Nous sommes à peine une dizaine de passagers, et il règne dans le car une assourdissante cacophonie. Ici, un couple regarde des vidéos sur leurs téléphones, à plein volume. Là, une famille regarde un film pour enfants à la bande sonore hystérique. Là encore, des adolescents écoutent du mauvais reggaeton sans prendre le soin de brancher leurs écouteurs. Nous fuyons vers le fond du bus, alors que personne d’autre ne semble s’offusquer de ce discordant concert…Mais le car se remplit au fil des villes traversées, et nous sommes à nouveau envahis de bruyants voisins. L’écriture, et ma demi-surdité m’aident à m’évader vers des lieux plus calmes.

La route est longue mais six heures après notre départ nous arrivons enfin à Guate. Un taxi nous dépose au terminal des chicken bus pour Antigua, et nous prenons place dans cette machine infernale que nous apprécions tant, pour une ultime heure de route. Plutôt deux et demi finalement, la faute à un trafic monstre. Qu’importe, nous finissons par arriver à destination, vers 18h. Le Airbnb est spartiate, mais très bien situé, et la cuisine est agréable. Nous filons acheter de quoi faire à dîner, et cuisinons en faisant connaissance avec Scott, notre colocataire. Quarantenaire ventripotent, l’américain est un drôle de personnage. Ici depuis plus d’un mois, il a décidé de prendre soin de se santé, et a ainsi commencé une cure légumes / yoga / vitamine D. Curieux de notre « bowl », il s’enquiert des ingrédients de la sauce d’Arlette, et nous demande où nous nous sommes procurés du jus de citron vert. « En pressant des citrons verts » dis-je en rigolant. Mais le regard perplexe de Scott indique que sa question était réelle, et qu’il n’a probablement jamais pressé un citron de sa vie…Touchant. Tout aussi surprenant, alors qu’un couple d’israéliens fait son apparition, Scott commence à échanger avec eux en hébreux. « Je parle aussi le Mandarin, et le grec moderne » nous dit-il sans prétention. « Parce que j’aime les langues ». Tout simplement. Ce petit monde bavarde gentiment en dégustant le calamiteux cake au citron vert improvisé par mes soins, et nous allons nous coucher, épuisés par notre long et bruyant trajet.
Je vous embrasse !
Julien