Jeudi matin, Lima. C’est la loi de Murphy. Alors que tout allait pour le mieux dans la meilleure des nuits, nous fûmes réveillés à 3h par un bruit assourdissant, comme si on attaquait la porte d’un coffre blindé au marteau piqueur. Juste devant nos fenêtres, un énorme camion et ses ouvriers s’affairent autour d’une bouche d’égout, devant la Scotiabank. Je crois d’abord à un hold-up, mais les gilets jaunes péruviens semblent plus placides que jamais. Le concert dure près d’une heure, et nous sommes hagards de fatigue lorsque le réveille sonne, à 6h. Nous nous rendons au terminal Cruz del Sur, où nous attend notre bus pour Paracas. Surpris par un tel luxe, nous prenons place en classe affaire, dans des fauteuils moelleux et drôlement inclinables. Je profite du confort pour dormir un peu, et rattraper une partie de mon sommeil en retard. Nous arrivons à destination en fin de matinée. Sur le chemin du terminal jusqu’au centre du village, nous sommes surpris de la foule qui se presse dans la rue centrale sans charme. Les familles péruviennes font la queue sur plusieurs centaines de mètres pour se photographier devant les lettres à l’entrée du Pueblo !


Paracas, poussé à la va-vite entre mer et désert, vit du tourisme, des îles Ballestas et de la réserve du même nom. Le Backpackers hostel, grande bâtisse blanchâtre et carrée, ne détonne pas dans ce décor de ville nouvelle inachevée. Mais il est propre et bien tenu, et notre dortoir, au quatrième étage, est situé loin de la rue. Nous nous y reposons un instant, puis partons à la découverte du village. Les familles en villégiature affluent sur le petit Malecón, où les boutiques de souvenirs s’insèrent entre restaurants à touristes et « tours operators ». Au bout, un long ponton d’où partent les excursions jusqu’aux îles Ballestas, surnommées « les Galápagos du pauvre ». De l’autre côté, sur la petite plage de sable gris, sous de grands parasols de couleurs, les vacanciers profitent de leur congés, sirotant des Cusqueñas, pendant que leurs enfants pataugent gaiment dans les eaux froides du pacifique.

Plus au sud et avant les « resorts » de luxe, une autre plage, déserte, fait office de No-man’s land. Nous nous asseyons sur le sable, surveillant le balais des pélicans, mouettes, snowy egrets, et fous péruviens. Après avoir réglé les détails de notre journée du lendemain, nous prenons place dans un des « comedores » rustiques du village pour un dîner précoce. Le ceviche ne vaut pas mieux que le riz aux fruits de mer, mais l’ambiance familiale est appréciable. Nous rejoignions l’auberge, et nous allongeons déjà malgré l’horloge qui indique 19h30. Arlette fait la causette avec My, jeune allemande en voyage express au Pérou, pendant que je regarde pour la 32ème fois quelques scènes cultes du fameux Inglorious Basterds de Tarantino. Cette fois c’est la bonne : la nuit sera douce.

Vendredi matin, Paracas. Nous nous réveillons sous un ciel voilé, après une bonne nuit de sommeil. Nous retrouvons à 7h30 quelques familles de locaux dans le hall de l’hôtel, où une petite dame au chapeau nous guide jusqu’à un embarcadère bondé. Les touristes, en nombre en ces jours de fête nationale, sont parqués en masses désorganisées, impatients de monter à bord des bateaux pour les îles Ballestas. Lorsque vient notre tour, nous assistons à un bien triste numéro. Un père de famille, assis au premier rang, siège vide à sa droite, refuse de s’assoir un rang derrière afin de libérer la place pour un jeune couple. Et le jeune couple refuse de se séparer pour la traversée. La guide tente de les raisonner, mais les deux parties n’entendent pas faire la moindre concession. Pendant ce temps là, les trente passagers restent à quai. La scène est invraisemblablement ridicule ! Il faut l’intervention de la sécurité et d’une superviseuse pour régler la situation, à coup de Tetris, afin de réarranger l’espace sans que le sinistre abruti ne bouge. « Wir sind im Kindergarten… » me glisse Arlette dans la la langue de Thomas Hassler.
Enfin nous voilà parti à toute allure vers les îles. Le bateau fait un premier arrêt devant un étrange et immense chandelier, gravé dans la terre jaune d’une colline plongeant dans la mer. Le « Candelabro », dont l’origine est inconnue, nourrit les fantasmes depuis des siècles, les hypothèses de sa signification variant d’un sanctuaire inca à une marque laissée par les extra-terrestres…

Nous atteignons les îles après une vingtaine de minutes. Les « Galápagos du pauvre » ne sont guère qu’une flopée d’îlots arides. Quelques constructions affleurent sur les flancs rocailleux : les îles sont au cœur d’une industrie lucrative. Ici, on récolte le guano pour le vendre comme engrais naturel. A voir les centaines de mouettes, sternes incas, cormorans, et autres fous péruviens, on se doute que la production des précieuses fequès aviaires est abondante ! Au milieu de cette frénésie, quelques pingouins de Humbold nichent, sur la plage ou au-dessus des arches naturelles. Pour compléter ce drôle de cirque, une poignée de lions de mer se reposent sur de gros cailloux rouges et noires.





Nous n’avons guère le temps d’apprécier le spectacle, puisque il nous faut céder la place aux nombreuses autres embarcations arrivant de la côte en continue. Mais l’endroit valait le coup d’œil ! Au moment d’enclencher le second moteur pour rentrer au pas de course, afin de charger une autre cargaison de touristes, celui-ci tousse, et cale. Nous nous traînons ainsi longuement, sur une jambe, jusqu’au débarcadère. Amusés par cette folklorique croisière, nous nous installons à la terrasse de l’un des cafés du Malecón. Le petit déjeuner est médiocre, mais le soleil fait son apparition, il nous accompagnera donc lors de notre expédition imminente dans la réserve de Paracas, entre dunes et océan.

Nous avons prévu d’explorer le parc national à vélo, avant de camper sur une plage sauvage, seuls avec les oiseaux. Nous louons deux beaux VTT et roulons donc, à la mi-journée, vers l’entrée de la réserve. Le vent se lève, et rend notre progression ardue. Nous sommes déjà en nage lorsque nous posons nos bécanes pour notre premier arrêt : un point de vue en léger surplomb d’une immense plage où des dizaines de flamands roses butinent le rivage. Jumelles aux poings, nous admirons les magnifiques oiseaux roses et blancs. Ils partagent le sable avec une formidable colonie d’American oystercatchers, ces drôles d’oiseaux au long bec orange vif.



Nous remontons en selle, grimpons face au vent une petite colline, jusqu’à pénétrer dans le cœur de la réserve. Quel spectacle ! Les dunes jaunes et mauves s’étendent à perte de vue, découpant un horizon poussiéreux.

Nous roulons sur une route cabossée, et escaladons un nouveau monticule jusqu’à un point de vue sur la superbe baie de Lagunillas. Une mer bleu-gris grignote les côtes friables de l’isthme. Les dunes tantôt or, tantôt marrons, semblent résister tels les forts contre la mer de mon enfance, courageuses mais résignées.



Nous descendons de notre perchoir et nous arrêtons à la Playa Roja pour une explosion de couleur : la mer d’un bleu arctique creuse les dunes fauves, et se retirant laisse apparaître une plage de sable pourpre, balayée par l’écume blanche du ressac. Magique.




Nous repartons pour le minuscule port de pêche de Lagunillas, montant sur la petite butte pierreuse faisant office de mirador. Là, fouettés par les vents, nous nous régalons des acrobaties aériennes des pélicans, sternes, fous, mouettes, et vautours. Les voltigeurs sont si près qu’on pourrait presque les toucher !











Dernière étape du jour, la Playa Mina se mérite, de l’autre côté d’une pente abrupte et venteuse. Nous sommes surpris en arrivant de voir les panneaux interdisant le camping sur la plage, puisque c’est ici que nos diverses sources nous ont conseillé de monter la tente. Un gardien nous explique que, covid oblige, la réserve entière se vide à 17h…Un peu frustrés de ce nouveau revers, nous descendons tout de même sur la plage, reprenant des couleurs en regardant le soleil baisser. La plage est déserte. Bien à l’abri du vent, et face aux falaises rouges de la baie de Lagunillas, elle aurait fait un lieu de bivouac sensationnel !


Deux jolies instagrameuses locales viennent poser en petite tenue pour alimenter leur réseaux sociaux. De quoi me redonner un regain d’énergie à l’heure de pédaler vers l’entrée de la réserve. Il est déjà tard, nous sommes fatigués, et le retour est une véritable course contre l’obscurité. Mais la fin du jour sur le désert est d’une beauté presque asphyxiante. Et la contempler nous retarde inévitablement…


Autre délai: dans les dernières lueurs du crépuscule, nous nous précipitons à la rescousse d’un tuk-tuk qui penne à remonter la pente. De l’autre côté de la colline, la nuit nous attend…Nous roulons les derniers kilomètres dans le noir complet, et sommes heureux de ne croiser qu’une poignée de véhicules. Nous arrivons entiers au Backpackers Hostel, où l’aimable patron est étonné de nous revoir si tôt. Nous lui racontons notre mésaventure et il nous octroie gentiment les mêmes lits que la veille, dans le même dortoir. Comme à Toluca il y a de longues semaines, nous rions en dégustant dans la cour de l’hostel les sandwichs prévus pour notre camping night. Je charge les photos sur ma tablette, et nous les repassons, soudain conscients de l’extraordinaire journée que nous venons de vivre ! Nous ne sommes finalement pas si mécontents de prendre une douche chaude, avant de reposer nos muscles éprouvés et nos céans meurtris dans un lit confortable…
Je vous embrasse !
Julien