Mercredi matin, terminal terrestre d’Arequipa. Évidement, le bus de l’Andalucia pour Cabanaconde ne part pas à 9h30, comme nos sources diverses nous l’avaient annoncé, mais à 13h30. Habitués à ces imprécisions, nous avons un plan B, certes peu élaboré mais qui s’avère efficace. Nous sillonnons la rue qui talonne le terminal à la recherche d’un collectivo qui partirait vers le Canyon. Et la compagnie « Camino del Inca » a justement un bus pour Chivay dont le départ est imminent. Nous prenons place derrière le chauffeur, juste sous l’écran de la télévision qui diffuse un excellent film exhibant un requin de 25 mètres vorace et peu sympathique. Les dents de la m-rde. Heureusement, nos fenêtres jouent un spectacle autrement plus réjouissant. Sur une terre fauve et aride qui s’étend a perdre de vue, des troupeaux éparses de lamas, alpagas, ou encore vigognes sauvages broutent les quelques arbustes poussant à ces altitudes. En toile de fond de ce « paramo », des monts enneigés renvoyant notre Mont Blanc dans la catégorie collines.


La route grimpe encore, et au moment où (spoiler alert) le second megalodon mange le premier, le paysage se couvre de neige. De grands et denses nuages blancs balayent les sommets des montagnes. Pas même l’epilogue ébouriffant de notre navet aquatique ne parvient à décoller nos yeux de la vitre tant la vue est époustouflante ! La route redescend à l’approche de l’entrée du Canyon de Colca, mais quelques traînées de neige s’accrochent encore aux montagnes qui bordent l’arrivée à Chivay.


Nous sommes accueillis dans la petite ville par une douce et légère averse de neige, signe avant-coureur du froid qui règne dans ces parages lorsque le soleil se cache. Nous trouvons le collectivo pour Cabanaconde, qui partira une fois plein. C’est à dire à une heure indéterminée, dans vingt minutes, une heure, ou cinq. Nous achetons un casse-croûte dans le froid et venteux terminal, l’occasion de discuter le bout de gras avec les commerçants locaux. Nous embarquons après seulement une heure et demi d’attente, et collons nos yeux à la fenêtre, côté canyon. Après quelques kilomètres, Arlette repère un grand oiseau noir au cou blanc flottant majestueusement au-dessus du précipice. Notre premier condor ! Colca est un sanctuaire pour l’espèce, rare et en voie d’extinction, et nous sommes ravis d’en apercevoir un spécimen, même de si loin ! Peut-être auront nous d’autres occasions d’observer le mythique rapace…Nous occupons le reste de l’heure de trajet à admirer la profonde et étroite vallée creusée par le Rio Colca, notre terrain de jeu pour les quatre prochains jours.

Cabanaconde est une petite bourgade de campagne, perchée à 3300m d’altitude. Modeste, le pueblo endormi est un quadrillage de rues en terre, dont la plupart rejoignent la plaza de armas. La placette, sans doute refaite il y a peu, détonne avec le caractère pauvre et poussiéreux du village. À deux pas se trouve l’hostel Pachamama. Nous n’y trouvons ni hôtes ni clients, mais une poignée d’ouvriers qui construisent à grand bruit une annexe. Le chef de chantier, brut mais serviable, appelle le propriétaire, qui m’incite à prendre possession de la chambre #7, simple mais douillette selon les standards ambiants. Nous nous y reposons un instant, repassant en revue l’itinéraire des quatre prochains jours. Alléchant programme ! À 18h, une étrange vieille dame, chapeau traditionnel vissé sur la tête et regard asymétrique, toque à la fenêtre : c’est l’heure du dîner. Nous la suivons dans les rues de Cabanaconde jusqu’à sa maison, et prenons place à table aux côtés de Colline et Benjamin, couple de Marseillais en vacances. Au regard du faible nombre de touristes européens ou nord-américains, les français sont légion au Pérou ! C’est bien simple, à part My, l’allemande de Paracas, nous n’avons pas croisé d’autre nationalité ! Le couple est fort sympathique, et, comme ils font le tour du Sud du pays dans l’autre sens, ils sont une mine de conseils pour la suite de notre voyage. Après une charmante soirée en leur compagnie, nous nous esquivons dans notre chambre, non sans avoir remercié l’énigmatique vieille femme pour son hospitalité.

Jeudi matin, Cabanaconde. La même équipe se retrouve au petit déjeuner, et nous poursuivons la discussion de la veille. La vénérable “abuela” est plus souriante qu’hier, mais néanmoins dépourvue de talent en mathématiques. Je l’aide à établir la cuenta, et nous saluons nos colocataires. Si tout va bien, nous devrions les retrouver le lendemain à l’oasis de Sangalle. Nous voilà parti à la découverte du Canyon de Colca ! Il est 7h45, et, déjà, le soleil sévit de ses chauds rayons. Nous marchons le long du canyon, sur un grand plateau couleur or. Nous y admirons l’agriculture en terrasse si typique des Andes, avant de descendre vers la rivière, en lacets à travers un encaissement étroit.



Nous traversons le Rio Colca, lent et peu profond à cet endroit, et remontons vers le hameau de Llahuar. Ici, le Rio Colca est rejoint par le Rio Molloco, au débit bien plus important. Nous souhaitons y faire une courte halte, afin d’acheter de l’eau et des vivres pour notre nuit sous la tente dans le village abandonné de Fure. Llahuar abrite seulement deux familles, possédant chacune sa “posada”, sorte de maison d’hôte rustique, pour accueillir les randonneurs. La première maison est déserte, mais Miguel et sa mère Virginia nous accueille dans la seconde avec le sourire. Devant la faible affluence en ces temps de pandémie, ils n’ont néanmoins pas grand chose à nous offrir. Mais, grâce à leur bonne volonté, nous parvenons à acheter du pain, un avocat, des biscuits secs et de l’eau, dîner quatre étoiles en perspective. Miguel nous apprend alors que Fure n’est plus abandonné, mais investi par les ouvriers d’une entreprise de BTP qui travaille à l’acheminement d’eau potable de la cascade Huaruro au village de San Juan de Chuccho.


Intrigués, nous remercions la mère et le fils, et nous engageons dans le canyon du Molloco. Mille mètres de dénivelé sont au programme de l’après-midi. Le sentier surplombe le petit canyon sur son flanc ouest, avant de traverser la rivière au niveau du village fantôme de Llatica, où le canyon fait un virage drastique à l’est. L’ultime montée vers Fure est éprouvante, après ces longues heures de marche en plein soleil. Le paysage, montagnes brunes et sèches aux reliefs ciselés, parsemées ça et là d’éclatantes poches de verdures, est superbe !


Las, et enchantés, nous arrivons en début d’après-midi à Fure. Le hameau, dont les rues ne sont autres que d’étroits sentiers accidentés, est tout à fait désolé. Mais surtout, nous nageons en pleine zone 51 : des dizaines de types en casques et combinaisons jaune fluo vont et viennent entre les huttes de terre décaties. Les gilets jaunes de Colca sont adorables, curieux, et serviables. Ils nous indiquent où trouver la tienda pour acheter de quoi se rafraîchir. Mais dans un tel labyrinthe, cela s’avère être un véritable jeu de piste…Nous finissons par acheter deux cocas chauds, et devons remonter à l’entrée du village pour trouver un coin d’ombre.

Là, sur la « terrasse » de l’hostel Furewassi, devenu caserne d’ouvriers, nous trouvons les seuls emplacements possibles pour planter notre tente, dans ce drôle de hameau escarpé. Encore faut-il obtenir l’autorisation de la propriétaire…Commence alors un second jeu de piste. J’apprends d’une charmante travailleuse que la taulière s’appelle Natalie, mais qu’elle ne se rend jamais à Fure. J’apprends aussi que le seul moyen de la joindre est de demander à la señora Lybia, qui dirige les opérations ici, de lui passer un coup de fil. Je pars donc à la recherche de Lybia. Au gré des informations erronées, je me retrouve à la tienda, à l’autre extrémité du village. Je remonte douloureusement la pente, jusqu’à trouver la cabane depuis laquelle la jeune femme dynamique gère tous ces hommes. Lybia est occupée, et n’est pas franchement enchantée à l’idée d’appeler Natalie. Mais, bonne pâte, elle s’exécute tout de même. Natalie s’avère du genre obtus (une sacrée chi-use même…), et me refuse le gîte. Motif : « l’auberge est pleine, et je ne suis pas là ». Devant mon insistance affirmée, l’acariâtre femme finit par me dire de me tourner vers la señora Victoria, qui elle possède un bout de terrain libre. Passablement échaudé par cette absurde chasse au trésor, me voici maintenant à la recherche de la dame Victoria. Quelques ouvriers devinent mon agacement, et se mettent en quatre pour trouver la dite señorita. Mais Victoria, pas vraiment ravie de s’être vu refiler la patate chaude, botte en touche. « Je n’ai pas de terrain et je ne peux pas prendre sur moi la décision de vous laisser camper chez Natalie ». Il me faut user d’une panoplie d’arguments pour arriver à mes fins : le terrain est disponible et les ouvriers sont heureux de nous accueillir / nous serons partis au petit matin comme si nous n’étions jamais passé ici / si nous ne campons pas ici où allons nous dormir, il fait déjà sombre et le prochain village est à plusieurs heures de marche.

Fatiguée de mes palabres, Victoria finit par abdiquer : « No hay problema, pueden quedarse aya ». Hallelujah. Cette heure à courir de haut en bas du village pour obtenir le sésame m’a flanqué un sacré mal de crâne, et je suis à bout au moment de retrouver Arlette, au Furewassi, alors en grande discussion avec un ouvrier. Je leur raconte mon absurde quête, et nous rions gaiment de la situation. Ce qui (avec l’aide d’un ibuprofène) fait passer la douleur. Il commence à faire froid, et nous montons la tente à la lumière des dernières lueurs du jour. Nous dînons, à 18h03, de sandwichs à l’avocat, arrosés de thé. Nous restons un moment à regarder les étoiles, alors qu’un à un les ouvriers vont se coucher. Nous en faisons de même, à 19h36, encore à moitié hilares de cette fin de journée surréaliste…

Vendredi matin, Fure. La nuit a été plutôt confortable, et clémente en termes de température. Nous n’avons néanmoins que très peu dormi, pourtant pas dérangés par les ouvriers, d’une discipline monacale. Un peu groggy, nous plions la tente et partons pour un aller-retour à la Catarata de Huaruro, première étape de notre journée avant de rallier l’oasis de Sangalle. La cascade se trouve au fond d’un étroit canyon, parallèle au Morollo. En chemin, nous découvrons une autre cascade, sublime, entourée de végétation luxuriante, îlot de verdure au milieu d’une paroi jaune et grise. La cascade de Huaruro, plus imposante, est magnifique aussi, dans un style plus industriel. Une massive colonne d’eau sortie d’une étroite fente de la montagne s’abat à grand bruit dans un petit bassin. Nous petit-déjeunons en regardant le soleil dévorer petit à petit la montagne. Les colibris verts et gris se régalent de fruits mûrs dans le fond verdoyant du canyon. Sans autre son que ceux émanant des oiseaux-mouches et des eaux galopantes, le moment est délicieux.





Nous reprenons la route, traversons Fure, déserté de ses habitants, et prenons la route de Sangalle. Sur le flanc est cette fois, nous longeons le canyon du Morollo dans le sens de la rivière. Après une paire de kilomètres, nous tombons sur les hommes en jaunes. Notre présence interrompt momentanément les travaux…Les chefs de chantier sifflent un à un, section par section, l’arrêt instantané du labeur. Nous courrons ainsi au milieu des pelles, générateurs, et sacs de sables, distillant des « disculpe » ou « lo siento » à tout va…La chaîne humaine s’étend sur plusieurs centaines de mètres, en montée, et ce sprint cocasse nous épuise…


Nous reprenons nos esprits en rigolant, puis continuons l’ascension jusqu’au hameau de Belen, où le sentier oblique à l’est, et retrouve le canyon de Colca. Au Mirador Apacheta, qui offre une superbe vue sur l’oasis luxuriante en contrebas, nous entamons notre descente vers Sangalle.


À mi-chemin, nous traversons un petit plateau agricole, où le vert clair des nopals tranche avec le blond des plans d’avoine. Là, Mauricio, beau et digne septuagénaire, nous accueille avec le sourire. Faucille à la main, il épouille les cactus à la recherche de cochenilles, ces petites chenilles dont les glandes fournissent un colorant naturel de luxe, utilisé dans les grandes maisons de cosmétiques parisiennes et japonaises. Il en écrase une sur l’ongle d’Arlette, et lui étale le liquide pourpre, heureux de nous offrir un échantillon de son savoir-faire.




La descente sur Sangalle est magnifique. De l’autre côté du canyon, une incroyable cascade coule, entourée d’un tapis vert épais, sur lequel on s’allongerait bien si la pente ne frôlait pas les 180 degrés…On se croirait dans Avatar !



Un peu plus bas, l’oasis n’est pas en reste, patch de végétation improbable dans un paysage si aride. Après avoir traversée le Colca, nous remontons jusqu’au « village », et trouvons refuge à l’Oasis Paraiso Ecolodge, attirés par sa magnifique piscine. Au bord de celle-ci, Colline et Benjamin, accompagné de Lauriane et Lorenzo, nouveau couple de français, paressent agréablement. Nous obtenons une chambre pour 40 soles (9€), et après une douche vivifiante, rejoignons nos compagnons dans la piscine. Quels bonheur de reposer nos membres éprouvés dans une eau pure et claire ! Et surtout, quel contraste par rapport à notre précédent campement ! Les parois abruptes du canyon, fauves à cette heure du jour, arborent des formations rocheuses insolites. Ces tubes gigantesques ressemblent, tantôt aux tuyaux d’un orgue, tantôt aux fanions des baleines.



Sensibilisés par nos amis voyageurs sur la pénuries de billets pour le Machu Picchu, nous passons un long moment à faire une chose si peu naturelle pour nous : planifier les deux prochaines semaines de notre voyage, afin de réserver nos places pour la montagne sacrée aux bonnes dates. La tâche s’avère finalement agréable, puisqu’elle nous donne un avant goût des merveilles que nous découvrirons sur le chemin du Machu Picchu. Fatigués mais heureux, nous prenons l’apéro au coin du feu, avant d’être rejoins pour le dîner par nos collègues aventuriers. Moment sympathique, d’autant que la plupart des convives fait l’effort de parler en anglais, pour qu’Arlette participe à la discussion. Nous prenons congés vers 21h, et je m’endors en regardant la finale de basket des JO, me réveillant juste à temps pour voir de courageux bleus décrocher l’argent, échouant à cinq petits points seulement de l’ogre américain…

Samedi matin, Sangalle. La journée de marche devrait être courte, nous profitons ainsi de la matinée dans ce petit paradis. L’occasion aussi d’appeler la famille, réunie pour le baptême de ma nièce Angèle. « La paupiette » est resplendissante, ainsi que ses frères, parents, oncles et tantes, et grands parents. Nous réservons nos billets pour le Machu Picchu, pour le 23 août. D’ici là, au menu des réjouissances, entre autre : El Chachani, lac Titicaca, et trek dans la région de Cuzco…

Pleins d’énergie, nous quittons Sangalle vers 11h, en direction du village haut perché de Tapay, d’où nous redescendrons au niveau du Colca, au hameau de San Juan de Chuccho. Le sentier passe à nouveau par le plateau magique, et Mauricio, toujours les mains dans ses chenilles, nous salue chaleureusement. Plus loin, un couple de ses collègues entame la conversation. Ces gens sont si authentiquement gentils ! Nous repartons de chacune de ces rencontres éphémères avec une sensation de chaleur et un sourire jusqu’aux oreilles. Un peu comme après avoir regardé un « feel good movie », en plus intense.


La sensation de chaleur, nous l’éprouvons aussi à marcher ainsi, sans ombre aucune, aux heures les plus chaudes de la journée. Mais le village de Tapay, à 3000m d’altitude, est une belle récompense. Avec ses rues fraîchement pavées, ses maisons soignées, et sa place de l’église pimpante, le pueblo déroge à l’esthétique utilitaire de ses voisins. Surtout, sa situation est exceptionnelle. Au balcon, une vue imprenable sur le canyon de colca. Derrière l’église, le fond rocailleux du petit canyon de Tapay, et derrière encore, de majestueux monts enneigés.


Nous faisons le tour du village, à la recherche d’une boisson fraîche, mais trouvons l’endroit désert. Au détour d’une ruelle, une enseigne indique une tienda, nous poussons la porte et trouvons dans une petite cour une abuelita âgée d’au moins 150 ans. L’ancêtre nous regarde en souriant, et commence une série d’incantations en langue quechua, entrecoupées de rires gutturaux. Effrayant ! De peur que la sorcière ne soit en train de nous jeter un mauvais sort, j’entraîne Arlette par le bras et nous nous échappons du repère de cette Madame Mime andine. Nous nous remettons de nos émotions sur la place de l’Eglise. Alors que nous contemplons le paysage, un jeune homme marche vers nous avec un pichet d’eau et deux gobelets en plastique. « Le bruit court que vous chercher un rafraîchissement, mais tout est fermé en ce moment ». Alors Rodolfo nous apporte tout naturellement à boire. Quelle incroyable hospitalité ! L’homme, qui vit à Lima, est venu avec toute sa famille rendre visite à ses grands parents qui habitent le village. Il s’enquiert de nos pérégrinations et nous raconte son amour de la région. Encore une rencontre formidable !

Nous prenons congé de notre bienfaiteur, et descendons tranquillement jusqu’à San Juan. Nous ne sommes pas arrivés qu’une petite dame énergique en contrebas nous invite à la rejoindre. Gloria a elle aussi aménagé un petit paradis dans le minuscule hameau. Elle nous offre le gîte et le couvert pour une prix dérisoire, et nous acceptons avec joie. Seuls clients de l’établissement, nous nous désaltérons d’une boisson fraîche dans notre jardin privé, puis partons à la chasse aux oiseaux le long d’un bucolique sentier, qui me rappelle les romans de Pagnols. Entre les arbres, la vue sur le canyon et époustouflante !


Golden grosbeaks et hirondelles sont au rendez-vous, mais ne se laissent pas photographier. Qu’à cela ne tienne, je pose mon matériel de « birder » en carton et m’assoie sur une grosse pierre, pour écrire. Arlette bouquine sur une pierre voisine. Lorsque le soleil disparaît derrière la montagne, nous regagnons la posada Gloria. Après une épatante douche chaude, nous prenons place sur la terrasse pour un dîner simple et savoureux. Il est déjà 19h30 lorsque nous terminons nos mates de coca, et nous allons ainsi nous coucher. Demain, le retour vers Cabanaconde se fera au prix de 1300m de dénivelé positif…


Dimanche matin, San Juan de Chuccho. À voir le soleil colorer doucement l’impressionnante montagne que nous devons gravir tout à l’heure, je me dis que, à crapahuter dans le canyon depuis trois jours, nous oublions parfois à quel point cet endroit est incroyablement beau. Sur ces considérations poétiques, après avoir chaleureusement remercié Gloria, nous partons pour Cabanaconde, afin de boucler la boucle. La descente vers le pont San Juan est rapide, et, une fois la rivière traversée, ne reste plus qu’un colosse de 1300m de haut à gravir. Nous progressons le long d’un sentier en lacets réguliers, parfois creusé à même la falaise ! La marche est superbe, nous bénéficions au fur et à mesure que nous prenons de l’altitude de vues magnifiques sur les lieux traversés les jours précédents. Tapay conserve notre préférence, et paraît si petit, posé au fond de son canyon.



L’objectif secret de la journée n’est pas d’atteindre Cabanaconde, mais bien d’apercevoir ces condors qui nous fuient depuis le début du trek. Et nous sommes servis à mi-chemin, quand quatre de ces majestueux rapaces, sortes de vautours en habit de lumière, se mettent à tournoyer autour des sommets, quelques 500m plus haut. D’une envergure phénoménale, ils sont facilement reconnaissables, même d’aussi loin, à la fourrure blanche à la base de leur cou. Le soleil fait scintiller d’argent les traînées blanches à l’endroit de leurs ailes. Je suis ému, derrière mes jumelles, de contempler ces rares bijoux de la nature. Heureux aussi, qu’ils bénéficient encore de quelques sanctuaires protégés pour faire respecter leurs droits de maîtres des airs. Nous continuons notre ascension, yeux écarquillés et sourire aux lèvres.


Le sentier contourne un arpent rocheux, et la vue s’ouvre encore d’avantage sur l’ouest du canyon de Colca. Il remonte à flanc de montagne jusqu’au mirador de Cusñirhua, point culminant de la journée. Nous faisons halte un long moment afin de contempler une dernière fois notre magnifique terrain de jeu des derniers jours. Cabanaconde est en vue et à une demi-heure à peine de marche. Quelques lamas bordent la route, et Arlette s’aventure à leur donner à manger. Je filme la scène en espérant évidement qu’elle subira le même sort que le capitaine Haddock dans Le Temple du Soleil, mais la jeune femme sait y faire avec les animaux et je ne repars qu’avec quelques jolies photos.




Sur la plaza de armas, nous trouvons le bus direct pour Arequipa. Il ne part qu’a 13h30, ce qui nous laisse le temps d’aller déjeuner. Le restaurant, familial, est à l’étage et dispose ainsi d’une vue splendide sur les montagnes enneigés de l’autre côté du canyon. Nous trinquons à l’achèvement d’une inoubliable randonnée dans le canyon de Colca. Nous avons rayonné dans un périmètre restreint, ce qui nous a permis de nous régaler du paysage unique. Et puis, nos trois campements ont été si différents qu’ils nous ont apporté une sacré dose de variété !



Dans le bus, alors que nous passons devant le Mirador Cruz del Condor, l’un de ces miraculeux oiseaux vole tout près, comme pour nous dire au revoir. Joli geste de la nature, qui fait écho aux salutations de cet autre condor (peut être le même ?) à notre arrivée dans la vallée il y a quelques jours. Nous regardons défiler le canyon jusqu’à Chivay, conscients de la chance que nous avons eu à l’explorer de l’intérieur. Sur la route du retour, lamas, alpagas et vigognes parsèment toujours le paramo. Mais un autre animal prodigieux s’invite à la fête : une vingtaine de flamants roses picorent dans une tourbière ! Le soleil se couche derrière les collines fauves des hauts plateaux, et la nuit recouvre les invraisemblables paysages neigeux d’un voile obscur.


A l’arrivée au terminal terrestre d’Arequipa, nous sautons dans un taxi vers le centre ville. Nous récupérons nos affaires au Foyer, mais l’auberge ne dispose pas de chambre disponible…Nous en trouvons une à deux pas, à l’Hostal Holliday, jetons nos bardas, et courons au Chelawasi Public House. La bière y est toujours aussi bonne, et l’atmosphère bon enfant. Nous revenons, yeux cernés mais sourire aux lèvres, sur la magie de notre épopée dans le Canyon de Colca, avant de reposer nos corps endoloris en vue des prochaines épreuves…
Je vous embrasse !
Julien