Samedi matin, Casa Matsiguenka. Grasse matinée aujourd’hui. Il est 5h lorsque nous embarquons en direction de la lagune Cocha Salvador, pour y observer les rares et sauvages loutres géantes. Arrivés sur ce long lac en forme de point d’interrogation, nous prenons place à bord du “catamaran”, une plateforme de bois posée sur deux coques, mise en mouvement par les coups de pagaie énergiques de Hebert et Edwin. Alors que l’équipe scrute la surface à la recherche de ces drôles de mammifères, j’oublie très vite l’objet de notre quête : les rives du cocha sont un véritable paradis aviaire ! Je retrouve avec joie les hoatzins, ces oiseaux préhistoriques balourds, que William appelle judicieusement “the punk chickens”.


Mode toujours, le capped heron se distingue avec son mulet dépassant de sa nuque peroxydée. Les élégants jacanas se livrent à une démonstration de vol à basse altitude, pendant que les caciques aux yeux bleus exhibent leur derrière jaune vif.







Arlette m’invite gentiment à décoller mes rétines des berges boisées, pour porter mon regard sur le fond du lac : les loutres sont en vue ! Nous restons à distance raisonnable, de peur que celles-ci ne disparaissent vers la zone marécageuse où nous ne pourrions les suivre. Mais grâce aux jumelles, nous sommes aux premières loges pour assister à leur petit déjeuner. Vorace, l’une d’elle émerge de l’eau, une énorme truite entre les dents. Elle la dévore sans prendre la peine de regagner la rive, sous les regards envieux de ses congénères…


Les membres de la famille les plus hardies se rapprochent du catamaran, nous hurlant des politesses avec agressivité. Message reçu : nous laissons “les loups du fleuve” poursuivre leur sanglant festin en paix, et ramons jusqu’au débarcadère. Alors que, justement, je pagaie vivement (ayant relayé Edwin), William découvre, pataugeant à l’ombre d’un tronc mort, un sublime Agami heron. Je jette ma pagaie à Hebert, et saute sur la plateforme pour apercevoir le somptueux spécimen et sa robe métallique aux reflets d’argent. Le grand échassier figurait en effet très haut dans la liste des oiseaux que je souhaitais ardemment rencontrer dans les parages ! La créature vient clôturer une spectaculaire balade sur les eaux du Cocha Salvador.


Alors que nous retournons au bateau, une tâche rouge se meut dans les branchages. Un merveilleux band-tailed manakin salue notre départ, imité par un charmant petit serpent qui bronze au milieu du sentier.




Nous sommes bientôt de retour à la Casa Mataiguenka. Mais pas question de se reposer. Nous empruntons l’un des sentiers partant derrière les bungalows, et marchons une petite heure au travers d’une jungle dense jusqu’à la “collpa de Guacamayas”, un mur d’argile où perroquets en tout genre viennent faire le plein de minéraux. Hélas, aucun de ces oiseaux colorés ne viendra garnir la façade terreuse. Néanmoins, nous les apercevons survoler la zone, ou s’adonner à de drôles de rituels, comme ce fort agile couple de scarlet macaws…


Après une heure et demi d’attente pas si infructueuse donc, nous revenons vers le lodge. Pas de répit là encore, puisque nous remontons dans la lancha en direction de la lagune Otorongo. Éclairé par les rayons du soleil, le lac est superbe !

Nous marchons jusqu’à une première plateforme d’observation, l’occasion d’observer de superbes oiseaux, comme cet éclatant masked crimson tanager, et cet étrange petit corbeau, le smooth-billed ani.



Nous grimpons ensuite au sommet d’une haute tour, afin de guetter les éventuelles loutres nageant dans la lagune. Sans succès. Mais sur l’autre rive, nous assistons au spectacle acrobatique des singes hurleurs rouges, qui franchissent des ponts aériens d’une demi-douzaine de mètres ! Impressionnant.



En cette fin d’après-midi, les couleurs sont superbes. Après un dernier cliché de l’Otorongo, nous reprenons place dans le bateau, et regardons le jour tomber sur le rio Manù.



Alors que la nuit s’annonce, Herbert nous dépose au Cocha Salvador, et nous rejoignons le lodge à pied. L’occasion de croiser un superbe spécimen de three striped poison frog !



À la table du dîner, entre la dégustation des mets magiques de Bernardino, William nous conte l’histoire de ce petit indigène que tout le monde croyait disparu dans la jungle, mais qu’on retrouva sous les cuisines du lodge, ne souffrant que d’une grosse indigestion après avoir englouti quelques litres de yaourt. Les yeux des convives sont brillants de contentement, mais aussi de fatigue après cette nouvelle intense journée. Et nous regagnons notre bungalow, heureux de poser notre tête sur l’oreiller. Que de découvertes encore aujourd’hui !

Dimanche matin, Casa Matsiguenka. Le jour est à peine levé lorsque nous faisons nos adieux au lodge qui nous a si bien accueilli aux confins de la forêt tropicale. Une longue journée de bateau nous attend jusqu’au Bonanza lodge, notre point de chute de la journée. Heureusement, le niveau des eaux a légèrement augmenté depuis deux jours, et la navigation s’annonce plus aisée que lors du voyage aller. Partis sous un ciel brumeux, le soleil fait bien vite son apparition sur le Manù, et nous admirons une dernière fois les rives de cette rivière désormais familière. Nous retrouvons ensuite le rio Madre de Dios et ses plages de galets, avant d’atteindre le Bonanza lodge un peu avant 16h.







Nous saluons Don Serafo, resté ici pendant notre séjour sur les rives du Manù, et filons vers une tour d’observation située au bout d’un sentier très brut. La marche est ardue, sous un soleil qui transperce la canopée de ses rayons brûlants. Mais nos efforts sont très largement récompensés : la vue en haut de la tour est somptueuse !





Nous oublions bien vite les abeilles et autres moustiques, pour nous concentrer sur l’incroyable balai des perroquets. Scarlet macaws, blue and yellow macaws, chestnut-fronted macaws, blue-headed macaws…Ces majestueux oiseaux survolent en ordre aléatoire notre perchoir, à une telle fréquence que nous ne savons plus où donner de la tête…





Pour clôturer la fête, nous assistons à un étourdissant coucher de soleil, celui-ci disparaissant doucement derrière les branches d’un haut secropia, façon « Lion’s king »…





William doit insister plusieurs fois pour nous faire redescendre, tant nous sommes subjugués par ce que nous venons de voir. Sur le chemin du lodge, notre guide repère, enroulé sur une blanche, un fer-de-lance, méchante vipère parmi les serpents les plus dangereux au monde.

Nous arrivons néanmoins entiers à destination, et rejoignions après une rapide douche la troupe pour notre dernier dîner ensemble. L’heure est à la rétrospective, et chacun évoque ses impressions, ainsi que ses souvenirs favoris de ces invraisemblables jours ensemble. Un très chouette moment ! Après le dîner, nous partons pour une ultime exploration nocturne. Serpents, araignées, insectes…Tous sont de sortie pour nous offrir un dernier échantillon de vie noctambule.





Dans notre bungalow, nous prenons le temps avec Arlette de savourer nos derniers instants dans la jungle. Quelle chance nous avons eu de fouler ces fantastiques forêts, et d’être les témoins de cette explosion de vie !

Lundi matin, Bonanza Lodge. 4h30. La troupe, rompue aux réveils matinaux, rejoint la plage de galets et s’installe dans la lancha. Sous un ciel gris, nous regardons défiler les berges du Madre de Dios. Au détour d’un virage nous parviennent les rumeurs d’un brouhaha strident. Quelques douzaines de perroquets s’ébattent bruyamment sur les parois argileuses d’une « clay lick ». Une belle carte postale à l’heure de quitter la foisonnante rainforest. Même les pécaris sortent de leur cachette pour nous saluer.




Bien vite, l’horizon se couvre de vertes collines, et nous atteignons Atalaya. Là, nous remercions Herbert et Edwin pour leur service impeccable, et grimpons dans le minibus, conduit cette fois par William. Malgré l’appel du sommeil, Arlette et moi nous relayons auprès du chauffeur pour le maintenir éveillé : pour lui aussi la semaine, menée sur un rythme effréné, a été intense ! Il me raconte son enfance dans la jungle, puis la décision de la fratrie d’abandonner l’agriculture pour se lancer dans l’éco-tourisme. Puis la conversation dévie naturellement sur les oiseaux…D’ailleurs, alors que nous énumérons nos spécimens favoris, un superbe quetzal se pose sur les branches d’un arbuste, à une encablure de la fenêtre conducteur. Magique !

Plus loin, pendant que Bernardino prépare le déjeuner, nous nous promenons dans la forêt de nuages. Nous guettons mollement les oiseaux, qui se reposent généralement loin des regards à cette heure chaude du jour. Mais la balade est agréable, humant une dernière fois les vapeurs boisées émanant des vallons embrumés.


Après un déjeuner ponctué par d’émouvants adieux à nos compères aventuriers, Arlette prend son quart à l’avant, et je somnole en regardant défiler le paysage, jusqu’aux collines fauves de Cusco.

William nous dépose en début de soirée devant notre maison cusqueña, et nous nous saluons vigoureusement. Nous déposons nos affaires, et dînons d’un caldo de gallina dans une échoppe du coin. Les yeux emplis de sommeil, nous revenons tout de même avec passion sur les événements de cette semaine hors du commun. Mais c’est dans un silence religieux, méditatif, le regard perdu dans la forêt tropicale, que nous regagnons nos foyers. Cette épopée amazonienne restera un moment extrêmement fort de nos aventures américaines !
Je vous embrasse,
Julien