Pérou – Étape 10: Parc National Manù

Mardi matin, Cusco. Objectif du jour : verrouiller notre séjour dans la jungle. Mais pas avant d’avoir petit-déjeuné, à la terrasse d’un joli salon de thé sous les arcades d’une petite place du centre-ville. Après avoir restitué le matériel de camping d’Arlette, et profité d’un panorama superbe sur la ville, nous passons à l’agence Bonanza, qui cherche toujours des candidats à son départ du lendemain. La négociation, rondement menée, aboutie à un résultat satisfaisant pour les deux parties. Nous sommes même véritablement heureux de prendre part à l’aventure ! Nous passerons six jours et cinq nuits dans la jungle, le long des rivières Madre de Dios et Manù, à la découverte de l’incroyable faune de la forêt amazonienne.

Arroseur arrosé

Rendez-vous est pris pour un test anti-génique à 14h, précaution obligatoire pour éviter toute contamination des populations locales. En attendant, Arlette part en balade, et je m’installe au balcon du Café Azul pour une session blogging. Nous nous retrouvons à l’agence, et passons brillamment l’épreuve du coton-tige. Le minibus passera nous prendre à 4h30 demain matin.

Ravis de voir nos espoirs comblés, nous nous promenons dans Cusco, et regagnons nos quartiers. Je poursuis la mise à jour du blog, puis, en début de soirée, nous redescendons vers la place d’armes pour y dîner dans un bon restaurant. Le repas au Limo est exceptionnel ! Le lomo saltado revisité est une merveille, le flanc au maracuia un délice, et le Pisco Sour au piment une expérience à part entière. Nous passons un superbe moment, sur notre balcon donnant sur la place, à bavarder en regardant les enfants du quartier jouer au foot sous les réverbères. Puis nous regagnons la maison, soucieux de ne pas se coucher trop tard pour être en forme demain. D’autres découvertes magiques nous attendent…

Hé Manu !

Mercredi matin, Cusco. Il est 4h30. Rysi, l’un des quatre frères qui gèrent l’agence Bonanza, nous attend dans son pick-up. Il nous dépose sur la place d’armes, où nous découvrons l’équipe de choc qui nous accompagnera pour cette semaine champêtre. Nous sommes cinq touristes à tenter l’aventure. Sarah, jeune médecin suisse, ainsi que Kate et Serguei, couple de trentenaires ukrainiens, seront nos compagnons de route. William, le plus jeune des frères Bonanza, sera notre guide. Il nous présente son « staff » : Alex, le chauffeur, et Bernardino, notre cuisiner. Don Serafo, le père de William, sera aussi du voyage. Pour l’heure, la troupe est faite de visages endormis, mais nous aurons tout loisir de découvrir nos acolytes au fil des prochains jours !

Les fameux sans-dents

Nous prenons place dans le combi, et William nous énonce le programme du jour. Après une paire d’arrêts culturels, nous prendrons la route sinueuse du Parc National Manù, y faisant de nombreuses haltes à la recherche des merveilleux oiseaux de la forêt de nuages. La route descendra ensuite vers les « lowlands » et la « rain forest », forêt tropicale de basse altitude. Nous achèverons la journée au Rainforest Lodge, avant de s’enfoncer plus profond dans la jungle le lendemain. Avec son regard parfois sérieux, parfois espiègle, son rire enfantin et son appareil dentaire, William, 39 ans, a des faux airs de Jamie Fox. On devine sans mal l’amoureux de la nature derrière le guide. L’homme est en particulier passionné d’oiseaux, et je me réjouis d’avoir un tel expert avec nous, à l’aune d’une formidable épopée aviaire !

Après deux heures de route, nous faisons une brève escale au site de Ninamarca, étonnant cimetière construit par les Lupacas, peuple indigène du XIIIème siècle. Les défunts étaient emmurés, debout, dans des petites maisons de pierre rondes. À 4000m d’altitude, la visite est un bon prétexte pour admirer les collines brunes et le páramo fauve, avant un changement de décor imminent.

Les Schtroumpfs

Nous petit-déjeunons dans la ville de Paucartambo, célèbre dans tous le pays pour son festival en l’hommage de la Vierge de Carmen, où toutes les communautés du coin se rejoignent pour des danses où l’humour joue une place prépondérante.

Shakira n’a rien inventé

Nous quittons alors les hauts plateaux pour descendre dans la forêt de nuages, sur le flanc est des Andes. J’y retrouve cette atmosphère douce et embrumée que j’avais découverte à Mindo il y a neuf mois de ça.

Nuages dans la forêt de nuages

Sur les côtés de la route étroite qui épouse les contours erratiques de ces montagnes vertes, la vie déborde. William, de son œil aguerri, fait office de vigie. Régulièrement, nous descendons de voiture et marchons quelques centaines de mètres, tous nos sens en éveil, à la recherche des habitants de la forêt. Comme pour marquer notre séjour d’un label d’exception, notre première découverte n’est rien d’autre qu’un couple de golden-headed quetzals, oiseaux-rois de ces contrées brumeuses. Robe bleu-vert étincelante et ventre rouge écarlate, le quetzal est une preuve tangible de la beauté du monde.

Maître Quetzal sur son arbre perché
L’oiseau Pokémon

Le groupe entier est sous le charme, et les sourires émerveillés de mes collègues aventuriers trahissent une belle émotion. Aussi enthousiaste que nous, William nous fait réaliser notre chance : il est rare d’observer d’aussi près ces superbes princes des bois. Rare aussi d’admirer son cousin, le crested quetzal. Pourtant c’est bien trois couples de ces fantastiques oiseaux que nous chassons des yeux pendant une demi-heure entre les arbres. Extraordinaire !

Quetzal à la mode
Autruche verticale

Alors que nous regagnons le van, comblés, des bruits de feuilles résonnent haut dans la canopée : une famille de woolie monkeys déjeune bruyamment. Ils sont loin, mais le télescope de William nous aide à contempler l’épais manteau de poils et la lourde dextérité de ces gros singes tropicaux.

Woolly wonka

Un peu plus loin, c’est à la recherche de l’icône de ces bois que nous partons. L’emblématique cock-of-the-rock est l’oiseau blason du Pérou, et une ligne de choix sur la « life list » des birders du monde entier. Avec ses yeux magiques, c’est Arlette qui repère le premier spécimen. Le rouge si éclatant de sa drôle de tête tranche magnifiquement avec le vert et le gris des arbres. Avec son allure à la fois élégante et cocasse, ses yeux irréels, et sa crête façon punk, je comprends immédiatement la fascination qu’il exerce. Nous trouvons les spécimens suivants grâce à leur chant guttural, sorte de vomissements douloureux, qu’on attribuerait d’avantage à un coq souffrant de gastro-entérite qu’au phénix des hôtes de ces bois…Mâles et femelles s’ébattent dans les arbres, fuyant notre regard. Mais notre persévérance nous permet tout de même de les observer dignement à travers nos jumelles. Somptueux spectacle !

Sans doute le seul coq que j’apprécie…
Rock star

Pendant que nous quêtions ces bêtes, Bernardino s’affairait à la préparation du déjeuner. En revenant au van nous découvrons ainsi une table remplie de mets délicieux ! Le début d’une épopée gastronomique qui rythmera nos journées d’aventures…Le ventre plein, nous poursuivons notre route. D’autres merveilles jonchent notre parcours, comme le surprenant blue-banded toucanet où l’harmonieux dusky-green oropendola.

Où est le toucanet ?

Nous arrivons au Rainforest lodge peu avant la tombée de la nuit. Situé juste au bord de la route, l’endroit n’en abrite pas moins quantité d’espèces animales, comme les délicats red-bellied macaws, premiers perroquets d’une liste infinie à venir, ou les gras canards de Muscovy.

Le péril jaune
Canards Muscovy. Quelqu’un a des nouvelles de Pierre ?

Il règne une chaleur moite ici, la rain forest ayant remplacé la cloud forest à ces altitudes bien plus basses. Après une douche fraîche, nous prenons place dans un immense réfectoire vide pour le dîner. William nous raconte qu’en temps normal le lodge accueille quatre à cinq groupes à la fois…Bernardino nous a à nouveau préparé un festin, auquel je fais honneur, abandonnant tout sens de la mesure. À l’issue du repas, William nous invite à faire le plein de sommeil, en vue du programme chargé des prochains jours. Nous nous exécutons donc, fatigués par les longues heures de route, mais surtout par le spectacle hors du commun auquel nous avons assisté aujourd’hui !

Doucement sur les prot’ quand même…

Jeudi matin, Rainforest lodge. Clément, le réveil n’a sonné qu’à 6h. À la table du petit déjeuner, les visages sont reposés et impatients des prochaines découvertes. Notre départ est salué par un couple de blue and yellow macaws, ces grands et magnifiques aras que je n’avais pas vu depuis le Cuyabeno.

Hé Josiane, vise un peu les trombines des nouveaux touristes !

Aujourd’hui, nous roulerons jusqu’au hameau d’Atalaya, d’où nous embarquerons sur le Rio Madre de Dios vers le Bonanza Lodge. Sur la route, William fait arrêter le véhicule devant un large ravin boisé. Là, en moins de vingt minutes, nous admirons pas moins d’une quinzaine d’espèces d’oiseaux différentes, véritable feu d’artifice aviaire ! Le long-tailed tyrant et sa longue queue noire, ainsi que le silver-beaked tanager et son bec argenté emportent ma préférence.

Festival de oiseaux !

Nous faisons ensuite une courte halte dans un jardin d’orchidées, visité par de nombreux colibris. Nous en recensons sept espèces différentes ! Nous sommes fascinés par ces oiseaux miniatures, qui tournent à plus de cent battements d’aile par seconde. Leurs délicates plumes sont comme des écailles, qui changent de couleur au gré des rayons du soleil.

Patrick Étoile
Jacobin
Memphis

William nous tire de nos rêveries : la journée est encore longue. À Atalaya, nous faisons la connaissance de Hebert et Edwin, nos bateliers, respectivement cousin et « sobrino » de William. L’agence Bonanza est décidément une affaire de famille…Nous chargeons le bateau, une longue barque à fond presque plat, sous les chants des nombreux caciques qui peuplent les arbres.

Sous les cocotiers

Le niveau de la rivière est bas, il faudra à Hebert beaucoup de prudence et d’habilité pour naviguer en toute sécurité. Nous progressons ainsi au ralenti, entre berges caillouteuses et rives arborées. Au second plan, les collines verdoyantes disparaissent peu à peu, laissant place à un horizon sans fin, la forêt s’étendant à perte de vue.

Shallow waters

Notre lancha est un formidable poste d’observation de la faune, à commencer par les oiseaux de rivière qui sont légion dans les parages. Entre les familiers cormorans, aigrettes, et hirondelles, je découvre le héron cocoi. Avec son béret noir et sa démarche lente sur les galets, il semble se rendre à la boulangerie. « The french bird » le surnomme ainsi Arlette.

The French Bird
Heure de pointe

Après deux heures de navigation, nous nous arrêtons un moment à une source chaude qui juxtapose la rivière. Il fait chaud, et l’eau, qui frôle les 40 degrés par endroit, n’est pas vraiment rafraîchissante. Je repense alors à la pauvre Julie et à la glaciaire Oxxo en polystyrène qui transportait ses pieds brûlés sur la route de La Paz…Rien de si extrême ici, le bain est agréable, et aussi l’occasion de constater que nous arborons une teinte de vacanciers au long cours, nos acolytes travailleurs étant eux blancs comme l’albâtre…

De n’importe quel pays, de n’importe quelle couleur

Nous grimpons à nouveau dans le bateau, et descendons le courant, frottant à répétition la coque sur le lit granuleux du fleuve, ou contre l’un des innombrables arbres morts qui dérivent sur le rio. Quelques capibaras, ces drôles de mammifères aquatiques entre cochons et castors, se cachent à notre approche.

Cuy géant

Les martins-pêcheurs (trois espèces différentes !) volent en rase-mottes au-dessus de l’eau, au milieu des moucheroles et des water tyrants. Dans le ciel résonne les cris rauques et stridents des perroquets, du piaillement énergique des dusk-headed parakeets au hurlement de mégère enrouée des aras bleus et jaunes qui traversent le fleuve.

Vaporetto

Après de longues heures d’un trajet magnifique mais rendu fastidieux par le faible niveau de l’eau, nous accostons à proximité du Bonanza lodge. Perdu au milieu de la forêt qui longe la rivière, le lodge consiste en de grands bungalows de bois aux toits de tôle. Les allées sont néanmoins soignées, bordées de haies joliment taillées.

Mais nous n’avons pas loisir d’en profiter, puisque nous partons immédiatement, retard oblige, vers notre prochaine attraction. Une bonne heure de marche dans la jungle nous mènera à la « Tapir clay lick », où nous passerons la nuit à guetter les mammifères venant faire le plein de nutriments en mangeant la boue. Ça promet ! La marche est l’occasion de retrouver les singes écureuils, incroyables d’agilité, et un sublime couple de trogons. Nous croisons même le chemin d’un petit fourmilier roux qui grimpe à la verticale le long d’un gros arbre !

Une femme moderne
Birdman
Fourmilier (si,si…)

Il fait presque nuit lorsque nous atteignons la clairière. Là se dresse un grande plateforme de bois ouverte aux vents, posée sur de haut piliers, et couverte d’un toit de feuilles de palmier tressées. Notre maison pour la nuit. En face, un tas de boue maintes fois piétiné, circulaire, entouré d’arbres. Nous étalons quelques matelas, installons les moustiquaires, et dînons des paniers-repas préparés par Bernardino en regardant l’obscurité tomber sur la clairière. Sans bruit.

Scène ouverte

Allongés, jumelles et lampes de poche à proximité, les yeux rivés sur le tas de boue, nous tendons l’oreille à l’affût du moindre mouvement animal. Les deux premières heures sont interminables. Je me sens comme Giovanni Drogo guettant l’horizon vide dans Le désert des tartares. Mais vers 20h30, alors que les aventuriers nocturnes luttent contre le sommeil, William braque sa lampe sur un gros tapir qui s’apprête à pénétrer dans l’arène. Mais celui-ci prend peur et s’échappe en courant…

Dans une confusion étrange, vers 21h, William pose la tête contre son matelas, bientôt imité par Kate et Serguei. Sarah récupère la torche et continue son observation, vaillante. Arlette et moi essayons tant bien que mal de repousser les assauts du sommeil. Une heure plus tard, Sarah me tend la lampe et je comprend alors que nous prenons des « shifts » à tour de rôle. Le brief est simple : guetter à l’oreille la présence d’un animal. S’il est confirmé par la lampe, réveiller discrètement les autres. Épuisés, nous prenons néanmoins le relai avec plaisir et excitation. Notre première prise : une biche trapue dont les grands yeux ronds brillent dans la nuit. La jolie bête s’habitue peu à peu à notre présence, et bientôt rejoint le milieu de la scène pour un festin nocturne. Néanmoins, elle dresse vivement l’oreille au moindre bruit suspect provenant de la forêt. Repue, elle repart après quelques minutes de l’endroit par lequel elle était arrivée.

Alors que, les paupières lourdes, je m’apprête à passer le flambeau aux ukrainiens, j’entends quelques craquements au milieu des bruissements des feuilles qui tombent régulièrement sur le sol sec de la jungle. Les craquements se rapprochent dans la pénombre. J’attends encore un petit moment, puis éclaire la clairière. Bingo ! Un tapir (peut-être le même) se tient au milieu du tas de boue, et commence à brouter la terre. Quelle étrange bestiole ! Ce cousin du cheval semble avoir été croisé avec un cochon et un éléphant…Nous sommes émus de voir cette bête si rare et difficile à observer. D’autant que l’animal, dont le stress est toutefois palpable, reste un long moment dans l’arène. Il finit par repartir, lui aussi s’éclipsant dans la direction par laquelle il était arrivé. Heureux, je cède la lampe à Serguei, reste un moment au balcon, puis cède finalement à la fatigue et m’endors lourdement.

Édouard Balladur

Arlette me réveille une heure plus tard, alors qu’un tapir se trouve à nouveau au cœur de la clairière. C’est sans doute le même individu, puisqu’il semble désormais parfaitement tranquille. Nous l’observons un long moment, et l’animal ne semble pas vouloir quitter l’endroit. Une aubaine pour les espions nocturnes que nous sommes, mais moins pour ma vessie qui menace d’exploser. Sur la pointe des pieds, je descends l’escalier de bois, enfile mes bottes, et marche à pas feutrés vers le coin latrines. En revenant, je ne peux m’empêcher de marquer une longue pause pour regarder le tapir. Il est à quelques mètres à peine. Il m’a vu, mais semble simplement avoir pris acte de ma présence, ne se sentant nullement menacé. Mon demi-sommeil rend le moment mystique, magique. Je suis comme hypnotisé par cette rencontre du troisième type. La bête finit par faire quelques pas, et je reviens à mois. Je regagne ma couche, et reste au balcon jusqu’au départ de l’animal, avant de m’écrouler sur mon matelas. Jamais je n’oublierai cette nuit si spéciale immergé dans la jungle, ni cette communion étrange avec ce mammifère kafkaïen…

Spider-tapir

Vendredi « matin », Tapir clay lick. 3h30. Le réveil sonne. La nuit refuse de me céder à un jour qui est encore loin. Hagard, je range moustiquaire et matelas, et prends ma place dans la fille indienne que forment mes collègues derrière William. Mes jambes s’activent mécaniquement, semblant suivre les ordres du cerveau d’un autre, pendant que le mien flotte encore dans les limbes.

Je ne suis pas encore tout à fait réveillé lorsque nous atteignons le Bonanza Lodge. L’heure n’est pas encore au repos puisque nous embarquons sans transition dans la lancha pour un très long voyage sur le fleuve. Le jour qui se lève, et la chasse aux oiseaux mettent un terme à mon somnambulisme, et je verse peu à peu dans le monde réel. Et ce dernier n’est pas exempt de merveilles : peu après le petit déjeuner, préparé par Bernardino à même l’embarcation, nous tombons sur un couple de scarlet macaws qui quitte le nid après la nuit.

Bernaaaaaard ! Ramène ta fraise !
Oui mon poussin ?
Y’a pas de poussin qui tienne, va chercher le petit-dej !

Après quelques heures de navigation, nous quittons le Madre de Dios et remontons le rio Manù vers le nord-ouest. Le paysage change. La rivière est plus étroite, et les galets laissent place à des berges de sable. Sur celles-ci, les facéties des black skimmers, et la concentration des large-billed terns en pleine pêche offrent un spectacle réjouissant. Plus haut, les acrobaties des swallow-tailed kites troublent la ronde des greater yellow-headed vultures.

Ça s’en va
Et ça revient

Au bout de ces péripéties aviaires, nous atteignons le poste de contrôle du Parc National. Nous sommes reçus par Don Ricardo. Sous son visage marqué et ses épaules tombantes, on devine l’homme robuste et vigoureux qu’il fut jadis. Ranger au parc depuis 25 ans, Don Ricardo a vécu un drame en 2011, que nous raconte William. Un poste de contrôle situé plus au nord, depuis abandonné, a été pris pour cible par une tribu d’indigènes. Des rangers ont été tués, et Don Ricardo a failli mourir lui aussi, le poumon droit percé par une flèche en bambou. Nous apprenons ainsi que le parc, dont l’accès est formellement interdit sur 80% de son étendue, héberge quelques communautés vivant totalement en marge de la société moderne. La communication est quasi impossible avec la plupart d’entre elles, et la mémoire des exactions atroces de « l’homme blanc » dans la région est si vive que les tribus défendent désormais leurs territoires par les armes, n’hésitant pas à tuer. Fascinant, et terrifiant ! Après nous avoir enregistré et recommandé prudence et bienveillance à l’égard de la nature, Don Ricardo nous souhaite un bon séjour, et nous remontons dans le bateau.

Pinocchio
Cocoi
Mean chick
Rentre le ventre Bernard, le niveau de l’eau est bas !
Merci Mireille

Sur les bancs de sable, difficilement distinguables au milieu des troncs d’arbres morts, caïmans blancs et noirs se prélassent, affalés sur la plage. Sur l’autre rive, une famille de tortues de rivière sèche paisiblement. Plus loin, un groupe de capucins se balance dans les hautes branches, le long de sentiers aériens qu’ils sont seuls à connaître. Alors que je me plains à Arlette de ne pas encore avoir aperçu de toucan, un magnifique spécimen à gorge blanche atterrit à la cime d’un secropia, avant de traverser la rivière pour rejoindre l’autre rive. Quel incroyable hasard ! Les heures défilent dans cet atmosphère éminemment calme, dont les drames ordinaires se déroulent en coulisse.

Bah alors José, tu t’es encore mis chiffon carpette hier soir ?
Non Jean-Claude, je suis tombé sur un pécari avarié…
Tenez-vous à l’écart de ces épaves, les enfants !
Tu peux sortir de ta cachette Roger, les caimans sont HS.
Toucan !

Après plus de onze heures de navigation, nous arrivons enfin, vers 17h, à la Casa Machiguenka, notre maison pour les deux prochains jours. Mais pas question de se reposer. Tout juste le temps de prendre une douche, et nous voici partis, lampe de poche au poing, pour une marche nocturne sur les sentiers du lodge. Quelques minutes plus tard, alors que nous balayons les bords du sentiers de nos torches à la recherche de serpents, une odeur nauséabonde nous parvient aux narines, mélange d’oignons pourris et d’excréments. L’odeur, et le bruit donc, puisqu’un vacarme terrible se fait entendre à mesure que la puanteur augmente. Grognements rauques, bois cassé, feuilles arrachées : les pécaris à lèvres blanches ne sont pas loin. Ces cochons sauvages ont la réputation d’être particulièrement voraces. Ils se déplacent de parcelles en parcelles. Une fois qu’ils ont consommé toutes les ressources naturelles ils repartent. La chasse au pécari s’avère plus ludique que celle aux aliens dans Independance Day, et nous finissons par en apercevoir une paire, furtivement entre les branchages.

Jungle night

Alors que nous retournons vers le lodge, William s’arrête devant un trou dans le sol, gros comme le poing. Il coupe une tige à proximité, et la glisse dans le trou. Une superbe et gigantesque tarentule en sort peu à peu, agrippant fermement la tige. Une fois tout à fait sortie, elle s’immobilise un moment, nous permettant de l’admirer, avant de se carapater à toute vitesse dans son terrier. Quelle jolie rencontre !

Harry !!!

À notre retour, un fumet autrement plus alléchant que celui des pécaris flotte dans le réfectoire. Bernardino a encore frappé. Une ribambelle de plats défilent, et nous nous régalons, après cette très longue journée. Les convives sont épuisées, mais la conversation est animée. Sarah, bavarde, aime à raconter ses voyages en Amérique du Sud. Kate, plus discrète, est néanmoins fort curieuse et pose nombre de questions à William. Serguei, qui ne parle pas l’anglais, reste muet, mais participe à la discussion de ses yeux rieurs. L’éclectique petite troupe va finalement se coucher après une ultime tasse de thé. Sans plus aucune force aucune, je m’écroule dans mon lit et m’endors instantanément, au milieu des bruits mystérieux de la jungle.

La suite dans un prochain article !

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