Samedi matin, Huaraz. Sans un salutaire sursaut de raison, j’aurai sans doute été arrêté à la sortie du bus, pour quadruple homicide. Nos voisins auraient presque mérité un si funeste sort, tant leur irrespect a atteint des sommets. Sans aucun égard pour les autres passagers, ils ont conversé au volume maximal jusqu’à 3h du matin. Je me suis bien levé de mon siège une paire de fois pour leur faire comprendre que nous n’étions pas dans leur cuisine, je n’ai obtenu que de très court répits.

Nous voilà ainsi fatigués et bougons, à 6h30, à parcourir au radar les rues déjà animées de Huaraz. Et nous avons faim, en particulier Arlette que les tripes de la veille n’ont pas repu. Nous trouvons le Café California, repère de randonneurs qui sert de copieux petits déjeuners, ouvert. Nous y passons un agréable moment, entouré de topo-guides de la région. Puis nous rejoignions le Caroline Lodging, notre maison pour les prochains jours. Nous y sommes accueillis en trois langues par un drôle de bonhomme, énergique et affable. Paul est belge, marié à une péruvienne, et à roulé sa bosse comme guide au Moyen-Orient avant de venir s’installer dans ces montagnes. Il en connaît les moindres recoins, et est une mine d’information pour les randonneurs de passage. L’hostel est d’ailleurs rempli de jeunes gens revenant de, ou sur le départ pour l’un des mythiques treks du coin. Paul nous mène à notre chambre, contiguë au salon-cuisine commun. L’état de propreté de l’hostel laisse à désirer, mais la gentillesse de notre hôte nous convainc d’y poser tout de même nos valises. Après un café pris dans l’effervescence du lieu, glanant au passage quelques précieux conseils sur les marches d’acclimatation à faire dans le coin, nous partons vers la Laguna Wilcacocha, première étape pour nous réhabituer à l’altitude. Huaraz est à plus de 3000m, et notre semaine dans la jungle nous a fait perdre notre résistance aux hautes sphères…

Un collectivo nous dépose ainsi en quinze minutes au pied d’une colline dorée. Une heure de marche en pente douce nous mène à un tout petit lac où se reflètent les quelques nuages qui décorent un ciel superbe. Ibis vertes, american coots et autres canards y pataugent paisiblement. Autour de l’étang, à la beauté si simple, quelques familles de locaux se reposent au soleil, en contemplant la spectaculaire vue sur les cordillères blanche, noire, et Huayhuash. Partout, des monts enneigées se détachent de l’horizon en dents de scie: la région compte plus de 50 sommets à plus de 5000m…Cet incroyable panorama stimule encore d’avantage notre envie d’en découdre avec les pentes escarpées du circuit Huayhuash !



Nous laissons touristes et oiseaux à leur oisiveté, et redescendons dans la vallée. Nous achetons une carte de la cordillère Huayhuash, déjeunons d’un sandwich trop gras, et regagnons l’hostel pour préparer notre itinéraire. Mais Paul douche notre enthousiasme : des conflits entre communautés menaceraient la tranquillité du circuit. Nous voici donc à intensifier nos recherches, fouillant les internets afin d’y déceler de plus fraîches informations. Fatigués, nous y mettons un terme provisoire, et sortons dîner. Je suis confiant, mais Arlette exprime une inquiétude réelle : huit jours de randonnée engagée, et à ces altitudes, ça ne s’improvise pas. Et puis cette escapade sera la dernière grande étape de nos aventures ensemble, et il nous faut aussi penser à la suite…Nous décidons ainsi de repousser notre seconde marche d’acclimatation au surlendemain, afin de consacrer la journée de demain à la préparation de notre périple. Épuisés après notre nuit sans sommeil dans le bus, nous rentrons nous coucher, en espérant que l’auberge sera calme…

Dimanche matin, Huaraz. Les israéliens, très nombreux dans l’auberge (Paul parle couramment l’hébreu et facilite ainsi leur séjour) ont braillé dans la cuisine jusqu’à une heure avancée, malgré les protestations du couple de français voisins de notre chambre. Après tant de mois à fréquenter les auberges de jeunesses, je n’arrive toujours pas à comprendre comment des voyageurs peuvent être aussi égoïstes…Bref, nous prenons notre petit déjeuner au soleil sur la terrasse, en compagnie de Willie. Trentenaire alsacien, l’ancien militaire est au Pérou depuis neuf mois, et est ravi de partager son expérience avec les convives de l’hostel. Il connaît bien les environs et nous rencarde sur notre randonnée du lendemain à la Laguna Churup. Paul se joint à nous et nous conversons longtemps, en écumant les tasses de café instantané. Mais nous avons du pain sur la planche. Ainsi nous prenons poliment congé, et trouvons une table au calme pour y étaler la carte de la cordillère Huayhuash. Forts des informations collectées les jours précédents, et grâce aux lumières de Paul qui nous rejoint peu après, nous parvenons à établir un itinéraire “draft”. Il nous manque quelques informations clés pour certaines étapes du parcours, et nous prévoyons alors de passer au California Café pour les glaner dans les livres mis à disposition de la clientèle. Nous établissons un calendrier, ce qui nous permet de déterminer notre date de départ. Ce sera le 22 septembre. En ce jour fatidique, Arlette rejoindra l’Allemagne, alors que je prendrai la direction de Denver pour y retrouver avec un immense plaisir ma chère tante Sylvie, mon cousin Arnaud, sa femme Lisa et son fils Alexander.

Après cette matinée productive, nous sortons prendre l’air. Première étape : le California Café. Qui évidement est fermé le dimanche. Nous passons alors à la seconde étape : trouver un duvet chaud et un matelas isolant pour Arlette. Le tour des agences de location s’avère fructueux, nous trouvons notre bonheur auprès d’une sympathique et compétente jeune femme, enceinte d’une bonne quinzaine de mois. Ceci fait, nous retournons à l’auberge afin d’avancer sur nos prochains fronts (Allemagne et US). Puis nous sortons dîner dans un restaurant sans prétention du quartier. L’atmosphère y est cependant électrique : le Pérou joue le Venezuela pour le compte des qualifications à la coupe du monde 2022. Les familles entières s’agitent à chaque occasion des blancs et rouges, et tout ce petit monde exulte lorsque les péruviens ouvrent le score. L’ambiance est si bonne que nous restons jusqu’à la fin du match, plaisantant avec notre sympathique serveur. Heureux d’avoir partagé cet instant footballistique avec les autochtones, nous regagnons le Caroline Lodging, satisfaits de notre studieuse journée.

Lundi matin, Huaraz. Il est 7h, et nous attendons que le collectivo pour Pitec démarre, en conversant avec le chauffeur et son père, tous deux experts ès cordillères. Nous atteignons Pitec une heure et demie plus tard, et nous engageons sur le sentier menant à la Laguna Churup, sous un ciel maussade. Le lac est situé à 4500m d’altitude, et la randonnée représente une belle occasion de tester notre acclimatation. Nous gravissons sans peine les quelques 800m de dénivelé jusqu’à un promontoire dominant une jolie flaque d’encre presque noire. Certes la grisaille ambiante n’offre pas le paysage de carte postale vendu par les tours operators en ville, mais les contrastes de textures constituent un joli spectacle.


En redescendant, notre énergie à peine entamée, nous convenons avec Arlette d’annuler notre troisième marche d’acclimatation prévue le lendemain, et d’avancer ainsi notre départ du circuit Huayhuash : nous sommes prêts !

Le chauffeur du collectivo nous attend, et nous regagnons Huaraz. Nous faisons une courte halte à l’auberge afin de passer quelques coups de fil et prendre des nouvelles de la famille. Et quelles nouvelles ! Ma toute petite sœur Laura (27 ans tout de même) m’annonce dans son inimitable et solaire sourire qu’elle se marie ! Il n’y a pas si longtemps je lui apprenais (dans la douleur) à faire du vélo, et voilà qu’elle se marie…Ému, je reste assis sur mon lit longtemps après avoir raccroché, des souvenirs furtifs de moments passés ensemble se bousculant dans mon esprit. Paris, Le Pouliguen, Milan, Lille, Berlin, Pekin, Bandol…Huaraz, terminus tout le monde descend. Arlette entre dans la chambre et me tire de ma rêverie. Je partage la grande nouvelle avec elle et nous décidons d’aller fêter ça au California Café (et d’y poursuivre nos préparatifs par la même occasion). La table pleine de livres, nous comblons les trous, et finalisons notre itinéraire. Satisfaits, et de plus en plus impatients d’en découdre, nous faisons ensuite nos emplettes. Neuf jours en autonomie, ça fait une sacrée quantité de pâtes, flocons d’avoine, barres céréales ou encore abricots secs ! Les bras chargés de provisions, nous nous rendons à la pizzeria « Mi Comida », pour un dernier repas civilisé avant les réchauds et gamelles en titane. Plein d’un enthousiasme juvénile, nous prenons le chemin de l’auberge. À nous le Huayhuash ! Mais surtout toutes mes félicitations et vœux de bonheur à Alexis et ma petite puce !
Je vous embrasse,
Julien