Pérou – Étape 13 bis : Huayhuash Circuit, suite

Samedi matin, Huayhuash. Il a plu et neigé la majeure partie de la nuit. Mais rien ne semble tomber sur la tente alors que j’attends tranquillement que sonne le réveil. Néanmoins, je ne m’attends pas à ce que le test du “rideau” révèle un grand ciel bleu…Et en effet, à 6h, le ciel est plutôt lourd et menaçant. Une fine et fraîche couche de neige saupoudre les montagnes au sud. Néanmoins, quelques lueurs d’espoir éclairent le ciel dans le fond de la vallée. Sans s’accrocher à celles-ci, nous marchons jusqu’à l’annexe pour y préparer le petit déjeuner. En dégustant nos flocons d’avoine, nous scrutons le plafond céleste afin de savoir à quelle sauce nous allons être mangés. Mais les morceaux de bleu disparaissent bientôt tout à fait, et nous nous hâtons de plier bagages avant que la pluie ne recommence à tomber.

La petite maison dans la prairie
L’annexe

Nous avons choisi pour la journée la voie alpine, qui passe par le col haut perché du Trapecio (5080m d’altitude), quand la route “officielle” part plein sud vers les sources chaudes de la Viconga. Nous sommes peu nombreux à chercher l’aventure sur ce parcours sportif : seul les Darwin et un large groupe d’israéliens nous accompagnent. Nous dépassons ces derniers, sans qu’aucun réponde à nos bonjours. Pire, ils reprennent la route juste derrière nous, dans une musique agressive et assourdissante. Pas très esprit montagnard tout ça…

Resilience

Dans le brouillard, nous pataugeons sur un sentier boueux. Mes pieds restent pour l’instant néanmoins au sec, alors que ceux d’Arlette sont déjà trempés dans ses souliers moins robustes. Alors que nous gagnons de l’altitude, la pluie se transforme en neige, puis en grêle. Nous distançons le groupe, et marchons derrière leur muletiers. Sans quoi nous nous serions sans doute perdus à maintes reprises, tant la brume masque le chemin déjà peu distinguable dans ce paysage noir et gris. À l’approche du col, un vent glacial s’invite à la fête, nous fouettant le visage et s’infiltrant sous nos imperméables. Malgré les éléments contraires, je parviens à prendre un plaisir quelque-peu masochiste à évoluer dans cet univers apocalyptique. Arlette ne partage aucunement mon enthousiasme, et son regard est aussi noir que le ciel à l’arrivée au col.

Arlette dans la brume

Pourtant, la vue se dégage à quelques reprises alors que nous amorçons la descente, laissant deviner une succession de petits lacs turquoises au milieu d’une vallée magnifiquement désolée.

Bauxite

Mais le vent sévit toujours, et la jeune femme, frigorifiée, ne souhaite rien d’autre que d’arriver au plus vite. Nous pressons donc le pas, non sans admirer l’extraordinaire couleur de la lagune qui émerge du brouillard.

Bleu des mers du sud
Jaune de Damas

La laissant sur notre gauche, nous poursuivons la descente vers le sud-ouest. Enfin, le campement est en vue, posé au milieu d’une large steppe qui m’évoque curieusement une Mongolie où je n’ai jamais mis les pieds. Le soleil fait quelques apparitions furtives avant de de disparaître, et ses facéties ont le don d’agacer Arlette, épuisée par cette éprouvante journée de marche. Et c’est une nouvelle fois sous une pluie fine que nous montons la tente…

Steppe

N’ayant aucun toit sous lequel s’abriter, c’est assis dans la tente que nous regardons le ciel s’éclaircir. Et le temps est tout à fait clément lorsque nos amis arrivent, fatigués mais souriants, comme à leur habitude. Un peu de repos, et les rayons plus francs du soleil, ont redonné le sourire à Arlette, et nous poursuivons notre pause contemplative, en dégustant un thé sur notre terrasse. Je profite de la chaleur relative pour me doucher dans le ruisseau glacial qui coule au milieu du campement, bientôt imité par les frères Darwin. Dans une version andine du “cap ou pas cap”, ils se mettent au défi de se jeter tout entier dans la petite rivière, et s’exécutent un à un dans l’hilarité générale. Chouette moment !

Nomades
Terrasse

Nous amorçons la préparation du dîner tôt, afin de souper avant que le soleil ne disparaisse derrière les montagnes. Lorsque l’astre disparaît tout à fait, nous nous rapatrions dans la tente pour le thé et les douceurs. Biens au chaud sous la tente, nous étudions le parcours du lendemain, du Col de Santa Rosa à la célèbre lagune Sarapococha. Isolé et loin du sentier principale, le lac est mythique pour avoir hébergé sur ses rives le camp de base de Joe Simpson lors de sa presque fatale ascension du Siula Grande, racontée éloquemment dans le best-seller « Touching the Void ». Nous avons hâte de nous mettre en route, mais ne sommes pas fâchés d’avoir de longues heures de repos pour recharger nos batteries !

#2

Dimanche matin, Elefante campsite. Il fait un temps magnifique ! Et aucune goutte de pluie n’est tombée cette nuit, ce qui devrait faciliter la montée au col, et surtout la descente de l’autre côté. En revanche, encore d’avantage que les jours précédents, la tente et ses environs sont couverts de givre, preuve du froid qui règne dans ces contrées lorsque le soleil se cache. Après le petit déjeuner (les flocons d’avoine sont nos nouveaux frijoles), nous attendons ainsi un moment que la toile sèche, en bavardant avec les Darwin. J’apprends alors que la troupe se lancera à l’assaut du col San Antonio, réputé comme étant le plus beau du parcours, mais aussi pour la dangerosité de la descente vertigineuse vers la vallée opposée. Darwin a évalué consciencieusement les risques, et estimé que l’état du terrain rendait l’entreprise assez sûre pour y mener sa bande. Nous décidons donc nous aussi d’emprunter la route, en suivant nos camarades de près.

Kun Delitch

La montée vers le col est éprouvante, en particulier le dernier mur, sur une pente caillouteuse extrêmement abrupte, et qui se dérobe sous nos pieds. Mais le jeu en vaut la chandelle : la vue à l’arrivée est spectaculaire ! Nous voyons la ligne des sommets de la cordillère, cette fois sur son flanc ouest, et notamment le majestueux Siula Grande et ses 6350m d’altitude. Au premier plan, la lagune Juraucocha est posée comme une plaque solide d’un turquoise lumineux au pied du glacier du même nom. Les nuages forment des ombres passagères sur la surface du lac, intensifiant les contrastes. Prodigieux !

Vertigo

Plus loin le long de la chaîne de ces montagnes qui touchent le ciel, on aperçoit la lagune Sarapococha, notre destination finale. Le vent au col est froid et puissant, mais nous restons tout de même un instant à contempler le paysage. Je surveille également la progression de nos amis qui nous devancent sur le sentier, afin de repérer l’itinéraire le plus sûr. Alors que nous nous mettons en route, un condor survole le pic rocheux dominant le col, à quelques dizaines de mètres de notre poste d’observation. Je frissonne d’émotion à chacune de nos rencontres avec le légendaire oiseau…

Quilotoa

La descente est en effet vertigineuse…Mais la voie est sèche, et, à allure modérée, nous progressons sur la pente poussiéreuse avec prudence mais sans appréhension. L’inclinaison ne faiblit qu’aux abords directs de la vallée, et nous arrivons fourbus, les muscles éprouvés par la rude ascension aussi bien que par la difficile descente. Nous laissons les Darwin au campement de Cutatambo, en contrebas du Juraucocha, leur domicile pour la nuit, et nous mettons en route pour le Sarapococha.

Le sentier grimpe d’abord jusqu’à la première lagune, et nous admirons de près les invraisemblables couleurs aperçus tout à l’heure en haut du col. Splendide !

I’m blue

Arlette semble éprouvée, les jambes cassées par l’exigeant San Antonio. Elle manque ainsi tout juste de tomber à l’eau alors que nous traversons l’un des ruisseaux qui s’écoule du lac. Je propose alors de rebrousser chemin et de camper nous aussi à Cutatambo. Quel mal m’en a pris ! Je récolte les foudres de la jeune femme, qui n’a aucune intention d’abandonner notre rêve de camper sur ce lieu mythique. Vexé, je reprends la route, boudeur, Arlette me suivant à distance. Notre (relative) dispute m’a coûté de l’énergie, et je commence à ressentir moi aussi les signes de la fatigue. Les jambes sont plus lourdes, la concentration moindre. La tension est palpable dans cette impressionnante vallée, vide, austère, et inquiétante. Un couple d’aigles somptueux passe juste au-dessus de nos têtes, prônant la paix des ménages comme de grosses colombes andines. Les superbes rapaces dissolvent les rancunes passagères.

The endless valley

De nouveau copains comme cochons, nous convenons que la priorité est d’arriver à destination, et de monter le camp avant que le temps ne change tout à fait. Nous longeons un joli ruisseau, improvisant notre propre sentier en l’absence de chemin clair, jusqu’à un massif champ de pierres. Nous y laissons des forces considérables, mais, une fois franchi, il nous reste une courte et intense ascension jusqu’au petit plateau où nous souhaitons établir le camp.

Les cailloux

Au milieu de la montée, derrière une petite barrière rocheuse, nous découvrons la lagune Santa Rosa, cachée dans un écrin gris en forme de cratère, au pied d’un immense mur recouvert de glace. Nous restons bouche-bée devant ce miracle de la nature. Le Siula Grande mérite sa réputation, et le lac qui récolte le fruit de ses colères n’est pas en reste, d’un bleu si puissant qu’il semble d’une profondeur infinie.

Harpic Marine

La beauté du site nous offre l’énergie nécessaire pour atteindre notre lieu de villégiature : un triangle de terre jaune, plat, coincé entre les lagunes Santa Rosa et Sarapococha, au pied d’immenses montagnes presque verticales.

Nous déblayons un carré de terrain en shootant dans quelques bouses séchées, et plantons la tente à l’abri d’une grosse pierre. Je suis si heureux d’avoir atteint ce petit paradis ! Arlette douche momentanément mon euphorie. Il n’y a pas d’eau ici. Nous ne sommes donc pas totalement au bout de nos efforts, puisqu’il nous faudra aller la puiser dans le Sarapococha. Nous escaladons la glissante colline qui nous sépare du lac, et, en équilibre sur l’arrête étroite, nous sommes une nouvelle fois subjugués par l’exceptionnel paysage. Un immense glacier semble avoir dégouliné dans la moraine qui prolonge la lagune. La partie basse de ce monstre de glace, grise et figée, paraît avoir subi les foudres de Méduse. Le lac, tache émeraude et turquoise dans un univers sombre, semble avoir été peint par quelque titan romantique. L’endroit, magnifiquement désolé, est coupé du monde. Comme si aucun homme n’avait jamais foulé ce sol infertile.

Rough beauty
Private campground

De notre nid d’aigle, carte en main, nous tentons de reconnaître la route du lendemain. Nous identifions le col haut perché, sorte de trappe de secours de ce terrifiant cul-de-sac. Mais pas le chemin qui pourrait nous y conduire. Le fragile sentier qui part de la rive Ouest du lac s’arrête net après une centaine de mètres. Le chaînon manquant qui devrait mener au col a disparu dans un éboulement, récent à en croire la physionomie du terrain. Il nous faudra ainsi faire demi-tour demain matin, et rejoindre le sentier du Huayhuash à Cutatambo. Tant pis. Nous savions que cette partie de notre plan dépendait étroitement des conditions de sécurité, et étions prêts à y renoncer. Nous sommes déjà si heureux d’avoir atteint le mythique camp de base de Joe Simpson et son exceptionnel écrin.

Tâches

Nous descendons péniblement vers le lac, et Arlette, malgré le froid qui s’empare de la cuvette, décide de faire un brin de toilette. Je passe mon tour et me charge plutôt de remplir gourdes et bouteilles pour le repas du soir.

Ma Cristalline, elle est si bonne !
Ce bon bain m’a fait du bien !

Nous remontons la colline par l’ouest, pour avoir un nouveau point de vue, et regagnons le camp, exténués mais émerveillés. Nous regardons le soir tomber sur ce paysage hors du commun.

Touching the void
Grace
Walkyrie

Notre dîner est perturbé par les impressionnantes explosions du glacier, hypnotisés que nous sommes par les centaines de mètres cubes de neige qui dégringolent le long des parois du Sarapo. Nous n’avons pas froid ce soir. Nous restons longtemps à contempler la petite mer de glace qui se forme sur le Santa Rosa au fil des chutes de glace successives. Lorsque l’obscurité envahie le camp, nous levons les yeux pour admirer les innombrables étoiles. Le sommeil nous pousse à l’intérieur de nos duvets, après cette journée d’une rare intensité. Et nous résistons à l’envie de nous lever à chaque grondement des montagnes magiques, frontières grandioses de cet Atlantide andin.

Lundi matin, Sarapococha. Comme sur les pentes de l’Acatenango, le spectacle a duré toute la nuit, les avalanches de glace du Sarapo en lieu et place des éruptions de lave du Fuego. Après cinq nuits sous la tente, et peu de sommeil, la fatigue se fait sentir. Mais une fois de plus nous avons traversé la nuit sans souffrir du froid, malgré l’épaisse couche de givre qui recouvre le camp. Et c’est déjà pas mal. La porte de la tente s’ouvre sur un ciel magnifique. Nous restons allongés au chaud, à regarder les premières touches de lumière caresser les cimes. Nous petit déjeunons assis devant le festival des cascades de glace, qui vont et viennent comme les jets d’eau du Palais Royal.

Avant de repartir vers Cutatambo, nous escaladons une dernière fois la crête qui nous sépare du Sarapococha, afin de voir ce prodigieux paysage sous un nouveau jour. Baigné de soleil, le tableau dégage une trompeuse sérénité, sans perdre une once de sa majesté.

Les Simpson

Il est temps de se mettre en route pour une longue journée de marche vers le camp Huatica, loin à l’Ouest. Afin d’éviter le champ de pierres, nous décidons de descendre par le versant opposé. Mais l’entreprise s’avère compliquée. Nous progressons ainsi lentement jusqu’à atteindre enfin la petite rivière remontée la veille. Nous descendons la vallée le long de ses rives, en regardant s’éloigner le Siula Grande. En face, au loin, le col San Antonio paraît infranchissable, tant ses parois sont abruptes. Pourtant, nous étions là-haut hier midi…

Cliffhanger
Le col qui tombe à pic

Après quelques errements sans conséquences, nous finissons par atteindre le camp de Cutatambo. Nous retrouvons le sentier, qui s’engage le long d’une très longue vallée. Nous laissons derrière nous le mont Jurau, et suivons le cours paisible du rio Calinca. Le paysage change. Ânes et vaches broutent paisiblement sur les larges rives de la rivières, dans un décor alpin. De nombreux andean flickers couinent bruyamment au-dessus d’odorants buissons.

La cordillère Hueshuesh
L’âne et le bœuf

Puis la vallée se fait plus étroite, et le chemin se borde de plantes au parfum enivrant. Ce bouquet d’herbes de Provence me transporte loin des vallées andines, et active intensément ma mémoire culinaire. Des mets succulents se succèdent dans mon esprit, et mon estomac se contracte de frustration, protestant douloureusement après une semaine d’un régime austère. J’en perds ma concentration et une malencontreuse pierre manque de m’envoyer dans le fossé. Je me rattrape à un petit rocher, me hisse à nouveau sur le sentier, et, sans égard pour mon sauveur, m’assoit sur ledit rocher pour reprendre mes esprits. Arlette me rejoint et nous poursuivons (prudemment) notre route. Nous faisons le plein d’eau à une jolie cascade, et débouchons dans une vallée plus vaste, menant au village de Huayllapa.

Bouquet garni

Nous laissons le village en contrebas, et obliquons vers le nord. Le sentier grimpe fort le long d’une étroite vallée. Nous marchons depuis plus de cinq heures, à un rythme soutenu. L’ascension jusqu’au camp Huatica promet d’être laborieuse…Les jambes d’Arlette sont réfractaires, non désireuses de passer en mode grimpette. Mais nous venons finalement à bout des 800 mètres de dénivelé.

Huatica

Nous rattrapons même quasiment les frères Darwin, pourtant partis tôt de Cutatambo. Nous montons la tente sous le soleil, alors que les nuages se rassemblent au sommet du Nevado Diablo Mudo qui domine le camp. Nous prenons un thé, heureux de reposer nos jambes, en regardant le temps tourner. Fatigués, nous dînons tôt, et nous blottissons dans nos sacs de couchage. Alors que nous étudions le parcours du lendemain, Jan toque à la porte de notre tente. Nos sympathiques voisins nous offrent deux énormes parts d’un gâteau préparé par Hilario, leur cuisinier. Quel délicate attention ! C’est un peu comme si mes rêves éveillés de mets délicieux avaient été exaucés. Bon, le gâteau, beaucoup trop sucré, ne récolterait pas les félicitations du jury, mais cette inattendue diversification de notre régime nous réjouit. Repus, et heureux, nous nous allongeons pour la nuit. Épuisé, je peine néanmoins à trouver le sommeil…Demain, le chemin promet quelques merveilleuses vues sur les trois cordillères…

À suivre dans un prochain article !

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