Vendredi matin, Huaraz. À la table du petit déjeuner, sur la terrasse du Caroline Lodging, nous bavardons avec le fantasque Tomas. Grand et mince, visage étroit aux grands yeux bleus rapprochés, tignasse improbable, le jeune homme semble sorti d’un cartoon de Tex Avery. Avec l’accent chantant de son Trentino natal, il nous raconte dans un mauvais anglais ses sorties d’escalade dans les parages. Fascinés tant par l’homme, théâtral, que par ses récits, nous passons un long moment à l’écouter. Puis nous quittons l’auberge, gentiment escortés par Paul et sa femme. Nous traversons la ville pour rejoindre notre appartement, situé dans un quartier calme et cossu de l’autre côté de la place d’armes. Maria nous accueille avec un large sourire, néanmoins dissimulé derrière une demi-douzaine de masques. Elle nous présente l’appartement comme on enseignerait l’espagnol à un enfant de quatre ans. Nous retenons une irrésistible envie de rire, attendant de longues minutes que notre hôte ait terminé de nommer l’intégralité des objets de la maison avant d’éclater. L’appartement est formidable, la pièce à vivre est lumineuse, et dispose d’une vue imprenable sur les montagnes. Nous allons être bien ici !
Nous nous reposons un moment, avant de sortir faire quelques courses. Nous sommes heureux d’avoir une cuisine pour se préparer de bons petits plats ! D’autant qu’après huit jours à marcher en altitude, nous avons besoin de nous remplumer…Nous faisons le plein de bonnes choses, et nous mettons aux fourneaux. Le repas est délicieux, et nous bavardons longuement, en dévorant à deux un crumble pour six personnes…
Samedi matin, Huaraz. La ré-acclimatation à la vie civile est difficile. Le contre-coup s’exprime chez Arlette d’une manière tout à fait désagréable. Sans doute, notre repas gargantuesque de la veille n’était pas l’idée du siècle…Sa nuit a été très perturbée, et la jeune femme souffre de maux de ventre, sans jamais se plaindre, comme à son habitude. Alors qu’Arlette se repose afin de récupérer, je travaille à la publication de quelques articles. Puis je sors prendre l’air dans les rues ensoleillées de Huaraz, flânant le nez en l’air, le regard posé sur les sommets environnants. À mon retour, Arlette va un peu mieux. Nous dînons (modérément), avant de nous allonger devant un film, et de nous endormir…

Dimanche matin, Huaraz. Notre longue nuit de sommeil a fait du bien. Arlette est encore un peu patraque, mais plutôt en forme. Assez en tout cas pour nous concocter un petit déjeuner trois étoiles. La matinée est studieuse. J’écris pendant qu’Arlette règle quelques détails relatifs à son prochain séjour en mer. Avec une émotion certaine, j’achète mon billet de retour en France. J’atterrirai à Paris le 14 octobre, soit un an jour pour jour après mon départ pour Quito ! Nous passons l’après-midi à nous balader dans les artères animées du centre ville, à la recherche de chaussures pour Arlette, dont les semelles ressemblent désormais à la coulée de lave du Pacaya. Mes “daddy’s shoes” sont au bord de la rupture, mais je décide qu’elles devront survivre encore quelques semaines. Rubrique mode toujours, deux t-shirts mis à part, tous mes vêtements sont couverts de trous. Toujours digne malgré ma mise, je ne serai néanmoins pas mécontent de retrouver une garde robe plus décente…De retour à la maison, nous cuisinons un long moment, en sirotant un vin péruvien tout à fait correct. Nous savourons le dîner aussi bien que le calme de notre appartement, heureux de passer ces instants précieux ensemble.
Lundi matin, Huaraz. Après trois jours plutôt sédentaires, l’appel de la montagne se fait sentir. Nous décidons donc de partir en balade, et retournons à la lagune Wilcacocha, découverte lors de notre premier jour à Huaraz. Nous y retrouvons la sérénité qui nous avait tant séduit la première fois. Les monts de la cordillère blanche forment toujours une impressionnante ligne de crête à l’horizon.

Je laisse Arlette en haut d’une petite colline, et m’offre une session photo autour du lac. Quelques andean ducks frappent à grand bruit leur bec turquoise sur leur poitrine afin d’attirer l’attention des femelles, sans succès…Les american coots, terreurs des bassins, prennent un malin plaisir à martyriser les autres habitants de la marre.




Je tourne autour du lac, recherchant désespérément un couple d’ibis vertes aperçu à notre arrivée. Je m’apprête à renoncer lorsque je les vois, enfin, tout prêt du point de départ de ma virée aviaire. J’aime voire le vert de leurs ailes scintiller au soleil.


Satisfait, je rejoins Arlette, m’allonge sur l’herbe, et m’endors presque instantanément. J’ouvre les yeux près d’une heure plus tard, réveillé par les plaintes sonore d’un âne, protestant mollement contre les ordres de sa maîtresse. Encore à demi assoupi, je jette un dernier coup d’œil au panorama hors normes, et nous descendons en bavardant.

Nous attrapons un collectivo qui nous dépose à quelques encablures du Caroline Lodging. Nous nous promenons encore une fois dans les rues de Huaraz, et passons au marché faire quelques achats pour le repas du soir. Que nous commençons à préparer dès notre arrivée à l’appartement. Cette routine gastronomique à quelque chose de réjouissant. Outre les plaisirs de la table, elle nous ancre dans le présent, faisant de cet endroit un véritable chez-nous, éphémère certes, mais familier. Nous profitons à plein de notre ultime soirée à Huaraz, prolongeant jusque tard notre dîner. Demain, nous prendrons la direction de Lima, rampe de lancement vers d’autres aventures…

Mardi matin, Huaraz. Le spectre du départ, et de nos au revoir, a hanté ma nuit. Je tente tant bien que mal de camoufler mon humeur maussade, mais Arlette perçoit très vite mon état de tension…Nous nous rendons, tôt, au centro medico Villa afin de réaliser nos tests covid. La danse erratique des infirmières, se débattant avec des procédés administratifs archaïques, est un divertissement bienvenu. Nous attendons sur place nos résultats, pendant près de 45 minutes. Négatifs. Nous n’avions pas beaucoup de doutes quant à l’issue des tests, mais la nouvelle apporte tout de même un léger soulagement…
L’opération a été plus longue que prévue, et nous disposons donc de peu de temps pour petit déjeuner, ce dont je m’accommoderais sans problème en temps normal. Mais aujourd’hui, drapé dans ma mauvaise humeur, cela me contrarie. Nous quittons notre nid douillet, puis sautons dans un taxi vers la gare des bus Rodriguez. Assis dans la minuscule salle d’attente, nous plaisantons avec Arlette et je me détends peu à peu. Confortablement installés juste au dessus de la cabine du chauffeur, avec une grosse demi-heure de retard, nous prenons la direction de Lima. La route est sinueuse, et l’air climatisé ne fonctionne pas. J’attends donc sagement que l’on atteigne l’océan avant de commencer à écrire. De la musique dans les oreilles, je repense aux moments incroyables passés ici ensemble et retrouve la paix intérieure. Nous faisons une halte bienvenue sur une aire d’autoroute d’un autre temps, rigolant avec Arlette du salon vieillot installé à l’autre bout du réfectoire, imaginant les gérants regardant la télé en famille à la fin de la journée de travail. Plus que quelques lacets et nous voilà sur la ligne droite de Huarmey à Lima. Je poursuis la rédaction de mon journal, et nous arrivons à la gare de Plaza Norte, située dans les sous-sols du centre commercial du même nom. Nous frayant un chemin entre les cohortes de locaux dans le « food court », nous trouvons un restaurant plus au calme. Nous arrosons nos caldos de pollo de Pisco Sour, célébrant la fin d’une aventure inoubliable. Nous prenons soin aussi de trinquer aux futures chapitres, qui livrerons sans nul doute leur lot de surprises…

Pour boucler la boucle, nous nous faisons rouler par un taxi, qui nous dépose à notre hôtel quelques minutes plus tard, pour une somme peu honnête. L’auberge est calme et sereine, et constitue ainsi un agréable ultime point de chute au Pérou. Demain, Arlette s’envolera vers l’Allemagne, tandis que je gagnerai les prometteurs paysages du Colorado…
Je vous embrasse !
Julien