Lundi matin, Longmont. Journée tranquille après ce superbe et dense week-end. Je passe un long moment au téléphone avec Arlette, qui commence à drôlement me manquer, puis écris en écoutant les perles classiques de la discothèque de Sylvie. Après le déjeuner, je profite du temps magnifique pour faire une longue promenade dans les environs, Vivaldi dans les oreilles. Les quatre saisons semble un choix plutôt adéquat, l’automne pointe le bout de son nez, la température est estivale, et au loin on devine un peu de neige au sommet des Rocheuses. Pour le printemps, il faudra revenir.

Nous nous rendons ensuite sur la terrasse d’un bar de Boulder, afin de retrouver les amis de Sylvie, comparses d’un « cercle français » construit au fil des années. Il y a là John, new-yorkais ayant trouvé refuge dans ces montagnes quelques décennies auparavant. Regard bleu, bienveillant et intelligent, John est curieux, et m’épate par l’étendue de ses connaissances, et l’humilité avec laquelle il les partage. Max, immense gaillard à l’accent chantant du Sud-ouest, a réussi au nouveau monde en faisant de la ferronnerie d’art. Lui aussi tout en simplicité, il respire le terroir et la bonhomie. Guita, américaine d’origine danoise, a apporté des fleurs pour la table, et des questions pertinentes pour le petit français. Son sens de l’humour égaye la conversation. Betsy nous rejoint un peu plus tard. Artiste elle aussi, elle me raconte avec douceur ses onze années passées en France, à monter pièces de théâtre et tournées en Europe. Ma sœur Marine aurait été si heureuse de la rencontrer ! Enfin, Jean-François, dit Jeff DLB, complète la tablée. De parents français, Jeff est arrivé à quatre ans aux États-Unis et parle ainsi un français parfait teinté d’accent américain. Nous passons un excellent moment en cette compagnie hétéroclite et cosmopolite !
Peut-être est-ce l’orgie musicale de la matinée, où la nostalgie des sonorités européennes après le « French apéro », mais nous avons l’envie subite de revoir l’Amadeus de Milos Forman. Sylvie et moi l’avons déjà vu plus d’une dizaine de fois chacun, mais ne nous lassons pas de ce chef d’œuvre…Sur les dernières notes du Lacrimosa, écrit par Salieri et Mozart sur son lit de mort, je m’éclipse et sombre dans un sommeil aussi harmonieux que les sonates du génie.

Mardi matin, Longmont. Encore une journée magnifique. Nous ne résistons ainsi pas à une nouvelle balade dans les montagnes surplombant Boulder. Nous laissons la voiture au trailhead et nous engageons dans le Gregory Canyon. Large et dégagé, il est une version ouverte du Shadow Canyon exploré Dimanche. De multiples sentiers se croisent entre les pins. Armé de mon fidèle maps.me, je trouve sans encombre celui que nous devons suivre. Sylvie, pas nécessairement rassurée sur mes compétences en orientation, demande son chemin aux sympathiques marcheurs que nous croisons. Notant mon agacement, elle s’amuse ensuite à me taquiner en feignant de ne pas me faire confiance. Nous trouvons néanmoins, en riant, le point d’orgue de notre randonnée : au sommet de la colline, un superbe amphithéâtre offre une vue splendide sur Boulder et la plaine. C’est ici, au Sunrise Amphitheater, qu’Arnaud et Lisa se sont mariés il y a 22 ans. Plutôt pas mal…


Nous rejoignions le parking par un sentier qui coupe la route à travers bois, et roulons jusque chez Mad Greens pour y déjeuner. Nous assistons alors à un remake des Temps Modernes. Les employés, aux gestes standardisés, sont en plein bug. La jeune fille qui prend ma commande me mitraille de questions dans son masque trop serré, sans prendre le soin d’articuler. Je lui demande gentiment de répéter. Elle s’exécute en accélérant la cadence de ses phrases incompréhensibles, le regard toujours aussi vide mais au bord de la rupture : il faut assurer le rythme. Mais le restaurant est vide et je m’agace à mon tour de son inutile empressement. Il me faut l’aide de Sylvie pour décrypter le « do you want your avocado spicy or mild ». Me reste à affronter une seconde employée, responsable de la sauce et de l’encaissement. Tel le lapin Duracell, elle agite les bras de bas en haut, des bidons dans les mains, en débitant des rengaines préenregistrées. Pendant que ma carte passe sur la machine, elle joue au Frisbee avec les saladiers en inox. Des piles de vaisselle tombent à grand bruit sur le sol carrelé, mais aucune émotion ne vient troubler le visage des deux ouvrières. La machine est clairement déréglée…Nous prenons nos plateaux et quittons ce monde beckettien. Nous dégustons nos salades sur la terrasse, puis passons chez Walmart faire le plein de provisions pour notre long week-end de camping. Mon cousin a en effet posé son vendredi pour nous emmener camper dans les paysages époustouflants de l’Utah ! Voilà près de dix ans que nous avions parlé d’explorer ensemble l’Etat, lors d’une réunion de famille en Floride, et depuis, les incroyables formations rocheuses de cet étonnant désert ont occupé mes rêves…

Nous déposons nos emplettes chez Sylvie et faisons route vers Denver. Ce soir, nous assistons tous ensemble (Arnaud, Lisa et Alex nous accompagnent) à l’Immersive Van Gogh Exhibit. Dans deux immenses sales, les œuvres du peintre néerlandais sont projetées sur les murs. Les effets visuels, mêlés à une musique judicieusement choisie, nous emportent vers l’univers de l’artiste, dans une douceur psychédélique. L’expérience est étonnante !



Toute la troupe est enthousiaste à l’heure de regagner la voiture. Nous laissons Alex chez lui, à ses révisions, et dînons tous les quatre dans un restaurant mexicain (ces derniers sont légion dans les parages…). Modernité toujours, les commandes s’effectuent sur nos smartphones. Ce qui livre sans surprise son lot de ratés…À vouloir se simplifier la vie à l’extrême, on se la complique bien souvent. Et pourquoi cette course folle à la suppression des contacts humains ? Bref, malgré quelques prises de becs avec la serveuse, la nourriture est bonne, et nous passons une très belle soirée ! Encore une journée riche et variée dans le foisonnant Colorado.
Mercredi matin, Longmont. Je me lève tôt, et en forme. Le soleil brille à travers les stores vénitiens. Les conditions sont parfaites pour une session running. Dans le petit matin clair, le long des arbres en métamorphose, la course est délicieuse.

Lorsque je regagne la maison, Sylvie est en train de préparer des muffins à la citrouille, et ça sent drôlement bon ! Je passe un long moment au téléphone avec Arlette, puis rejoint Sylvie dans la cuisine, accompagnant ses prouesses culinaires de mes bavardages.
En début d’après-midi, nous passons prendre Alex et roulons vers Denver. Nous nous rendons à « Meow Wolf ». Sylvie et Alex ont visité celui de Santa Fe il y a peu, et, apprenant qu’une « franchise » s’ouvrait ici, ils ne voulait pas perdre l’occasion de me faire découvrir le concept. Mais qu’est ce que Meow Wolf ? Je n’en ai aucune idée. La meilleure réponse reçue vient d’Alex : « it’s weird, and cool ». Fair enough, let’s check it out ! Nous faisons la queue, au milieu d’une petite foule hétéroclite, familles, couples, et bon nombre de hipsters. Une fois dans le bâtiment, un gros ascenseur nous dépose dans un hall indescriptible. Une sorte de Dolorean trône au milieu, dans une pénombre atténuée par des néons fluos. Le hall dessert un nombre incalculable de salles, chacune possédant une atmosphère unique : lavomatic du futur, boudoir renaissance version « destroy », batcave occupée par Goldorak…En suivant au hasard les issues parfois déguisées de ces obscures et absurdes chambres, nous débouchons dans un autre hall, un autre « monde » plutôt, sorte de fusion entre Dune, Star Wars, et Beetlejuice.


Un troisième univers, très pop art, d’inspiration 90s, réunis jouets vintage, superbes tableaux lumineux, et labyrinthe psychédélique. Les yeux écarquillés, nous flottons d’une face à l’autre de cette planète irréelle. Je suis fasciné par cette explosion de créativité, et par les milliers d’heures de travail nécessaires à la myriade d’artistes ayant construit cette « créature » impossible à nommer…Nous errons près de deux heures et demi à bord de l’OVNI Meow Wolf, enchantés, avant de retourner à Boulder.




Arnaud m’attend pour l’activité phare de la soirée : mon cousin m’emmène faire le tour des brasseries du coin ! Sylvie nous dépose à la première, où nous retrouvons Katie, une amie de Lisa et Arnaud, et ses jumeaux de deux ans. Très sympathique, Katie dégage une énergie incroyable, qu’elle déploie en partie à la gestion de ses petits anges, qui font voler quelques bières sur la table. Nous quittons rapidement la brasserie pour se rendre à l’Avery Brewery, une institution de la région. La stout vieillie en fût de whisky est à tomber par terre, et la double IPA, amère et fruitée, est un délice. En prime, Arnaud me fait visiter la brasserie, quelques vapeurs de houblons s’échappent des grosses cuves métalliques alors qu’un bras robotisé s’applique à aligner les canettes sur des palettes.


Lisa et Alex nous rejoignent pour le dîner alors que Katie s’éclipse pour nourrir ses petits, et nous dégustons nos bières dans un joli moment de partage. Lisa nous dépose ensuite, Arnaud et moi, pour un dernier verre dans une troisième brasserie. L’alcool délie les langues, et la conversation se fait plus intime. Un moment rare avec mon grand cousin, avec qui nous partageons valeurs fondamentales et amour de la nature. Je rentre en Uber, légèrement saoul, et très heureux de ce fabuleux « pub crawl » à Boulder.

Je vous embrasse !
Julien