Jeudi matin, Longmont. Le réveil est difficile. Mais il faut me ressaisir : dans une paire d’heures, Carol et Mike arrivent pour une partie de mahjong, et je dois faire bonne figure. Une douche fraîche fait passer la langueur liée aux abus de la veille, et un café bien serré achève ma renaissance. Je suis alerte et concentré lorsque le sympathique couple s’installe autour de la table de jeu. Mais surtout sacrément en veine ! Après un coup d’éclat de notre maître ès dominos Sylvie, et une victoire chacune pour Carol et Mike, je fais « mahjong » six fois d’affilé, dont une fois avant même que ne commence le jeu…La fameuse chance du débutant. Sylvie s’agace, non pas de ma veine mais de la brièveté des parties…Je passe ainsi fort heureusement (et involontairement) la main pour deux ultimes manches d’avantage disputées. Nous jouons près de cinq heures, sans les voir passer. Décidément j’adore ce jeu ! Nous saluons Carol et Mike, chics partenaires, et bouclons nos sacs. Ce soir, nous partons pour l’Utah !

Nous nous rendons à Boulder, où Arnaud est en train de charger le pickup. À 18h, après avoir embrassé Lisa et Alex, nous mettons les voiles vers le San Rafael Swell où nous passerons le week-end. Avant cela, nous ferons étape pour la nuit dans la petite ville de Green River. Aux dires d’Arnaud, le panorama est exceptionnel tout le long de la route, mais la nuit engloutit bien vite le paysage, et je sombre dans un demi-sommeil, alors que mon cousin tente d’initier Sylvie au joies du dubstep. Vers minuit, la voiture s’arrête sur le parking d’un motel. Sans demander mon reste, je m’allonge sur mon matelas et m’endors, impatient que la lumière du jour dévoile les merveilles de l’Utah…
Vendredi matin, Green River. Moins de deux heures de route nous séparent de notre destination. Avant de prendre la route, sous un ciel maussade, nous nous arrêtons dans un joli établissement avec vue sur la rivière verte pour prendre le petit déjeuner. L’ambiance est celle d’un « diner » typique, et notre charmante serveuse, avec ses faux cils longs de dix centimètres, semble sortie d’un road movie des années 70. Je me régale d’un énorme « combo » bacon, eggs & pancakes, arrosé de café floteux. Puis nous partons à l’assaut de l’Utah. Les Book Cliffs accompagnent notre trajet. Ces formations si caractéristiques, avec leur toit plat, forment comme une gigantesque estrade aux moulures élégantes. Elles ont été nommées ainsi par une âme inspirée qui a cru y voir une rangée de livres posés sur la tranche. En plissant les yeux avec les mains dessus peut-être. Je vois plutôt une longue chaîne de pieuvres, et « octopuses garden » aurait sans doute été un nom mieux senti. Mais chacun ses hallucinations.

Nous arrivons bien vite au pied du San Rafael Swell, boursouflure longiligne aux parois inclinées vers l’intérieur. On devine de nombreux canyons creusant la roche pour pénétrer les mondes engloutis dans le ventre du swell.

Arnaud quitte l’autoroute et engage son pickup sur une route de terre menant vers l’un de ces canyons. Il gare le véhicule et nous marchons le long de l’énigmatique Black Dragon Canyon, qui serpente vers le cœur du swell. Sous un ciel gris, le paysage est presque uniformément brun, seuls quelques arbustes gris parsemant le lit apportent une relative touche de couleur. Les hautes parois portent les marques du temps, l’œuvre patiente et méticuleuse du vent et de l’eau.



Au détour d’un virage, Arnaud attire notre attention sur des formes rouges peintes à même la paroi. Ces pictographes ont été réalisés par des peuplades ayant habité ces lieux désolés il y quelques millénaires. Je vois dans le plus grand d’entre eux un héron, là où d’autres ont manifestement vu un dragon. Red Heron Canyon, ça aurait fait un joli nom aussi. A ses côtés se tient un fier guerrier Masai, flanqué d’un gros chien qui pourrait aussi bien être une vache. Ces dessins presque enfantins me ramènent à mes explorations en Basse Californie, où déjà ces peintures antiques m’émouvaient.



Nous rebroussons chemin, et roulons quelques minutes vers l’entrée d’un canyon à deux bras. Le premier nous conduit jusqu’à une superbe double arche, quand l’autre nous offre de magnifiques pétroglyphes d’inspiration bergère. La pluie commence à tomber, et nous regagnons la voiture. Nous déjeunons à l’intérieur en attendant une accalmie.




Nous nous rendons ensuite au Gobelin Valley State Park, à quelques kilomètres. Là, je découvre l’un des paysages les plus étranges que j’ai eu la chance de voir…Une grande plaine couleur glaise est recouverte de champignons difformes, de quelques mètres de hauteur. Comme si une bande de gamins géants et malicieux s’étaient essayés à la poterie. Il y’a du Dali dans cet univers. Du Miró aussi : ces drôles de dolmens sont autant de personnages fantastiques, comme les deux spécimens du parvis de La Défense.










Nous marchons dans ce bizarroïde village de schtroumpfs, en prenant soin d’éviter la chute : la pluie a transformé le désert en champ de boue. Les glissades rendent la balade ludique, nous déambulons, hilares, au milieu des figures irréelles sculptées par le temps. Nous rivalisons d’imagination pour voir ici un Cyrano, là un babouin, ou encore là une soucoupe volante. Le soleil fait une apparition timide alors que nous rejoignions le parking, revêtant le paysage de couleurs hallucinantes. Quel spectacle !









Il est temps de trouver un endroit où monter le camp. Nous roulons sur une route de terre accidentée le long d’une mesa aux contours tortueux. Nous trouvons une petite anse douillette, à l’abri des regards mais avec une vue splendide sur la mesa opposée. L’endroit dispose d’un foyer, de deux larges bandes de terrain plat (parfait pour les tentes), d’un coin toilette, de sa propre petite arche et même d’un totem de forme phallique. What else.

Sous le charme, je commence à monter ma tente. Arnaud, lui, a un meilleur sens des priorités : après avoir lancé le feu, il nous prépare trois manhattans corsés, servi dans…des verres à manhattans de camping. Nous prenons l’apéro en admirant les facéties du soleil. Tel un artiste rare, il nous aura fait languir toute la journée, pour ensuite nous éblouir le temps d’un show court mais intense.



Nous retirons les steaks de la grille et les pommes de terres du feu pour un repas quatre étoiles sous les étoiles. La soirée s’écoule merveilleusement, assis au coin du feu, sirotant de bonnes bières, refaisant le monde en musique sous la voûte céleste. Tard dans la nuit, après avoir gorgé ma rétine d’étoiles, je laisse Arnaud prendre des clichés du ciel sauvage, et m’éclipse sous ma tente.

La suite dans un prochain article !